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DÉBAT

Eaux usées et irrigation  : la vallée de la Drôme en quête du bon compromis

Jeudi 9 novembre à Eurre, l’association Biovallée a réuni le comité de pilotage du projet de schéma territorial d’économie circulaire de l’eau. Au cœur de cette réunion : les études sur la réutilisation des eaux usées traitées (Reut ou « Réut ») pour l’irrigation en vallée de la Drôme. 

Eaux usées et irrigation  : la vallée de la Drôme en quête du bon compromis
Le comité de pilotage réunissait des représentants des communautés de communes, du Département, du syndicat mixte de la rivière Drôme, du syndicat d’irrigation drômois, de la chambre d’agriculture, de l’Agence de l’eau, des services de l’État... De g. à d. : Jean Serret, président de la CCVD, Véronique Simonin, sous-préfète de Die et Philippe Lagrange, vice-président de l’association Biovallée. ©S.S.-AD26

Les eaux usées traitées des communes de la vallée de la Drôme seront-elles demain utilisées comme nouvelle ressource pour l’irrigation agricole du territoire ? L’association Biovallée, en partenariat avec le syndicat mixte de la rivière Drôme et l’Inrae1, porte depuis 2020 un projet en ce sens. Le 9 novembre à Eurre, avait lieu la restitution des études d’avant-projet menées par le bureau d’études Ecofilae sur trois sites potentiels  : Allex-Grâne, Crest et Luc-en-Diois. Des sites qui pourraient ensuite jouer un rôle de « démonstrateurs » pour d’autres projets en zone rurale.

Dans les trois cas, le principe est le même : capter, en période hivernale, tout ou partie des eaux usées traitées (EUT) issues des stations d’épuration pour la stocker et la réutiliser pour les besoins des cultures en période estivale. Les ressources estimées par Ecofilae sont de 490 000 m³ pour le site de Crest, 320 000 m³ pour celui d’Allex-Grane et 40 000 m³ pour Luc-en-Diois. Ces volumes représenteraient un peu plus de la moitié des volumes annuels d’EUT des trois stations, le reste étant rejeté à la rivière pour soutenir son débit en période estivale.

Stockage : des freins à lever

Rémi Declercq et Ophélie Pratx, du bureau d’études, ont présenté les sites potentiellement identifiés pour créer les ouvrages de stockage de ces EUT à proximité des réseaux d’irrigation existants. Ces propositions sont issues d’une réflexion avec les agriculteurs locaux et le syndicat d’irrigation drômois (SID) et visent à limiter l’impact sur le foncier agricole tout en privilégiant une alimentation gravitaire des réseaux pour limiter les coûts énergétiques.

Toutefois, si les sites proposés présentent tous les avantages requis par le « bon sens paysan », comme le confirme Olivier Carsana, en charge de la gestion quantitative et qualitative de l’eau à la DDT2, ils ne cochent pas forcément toutes les cases réglementaires pour obtenir une autorisation de l’État. Il invite donc les porteurs de projet à se rendre sur le terrain avec l’OFB3, les services de l’État, les représentants des collectivités pour examiner les points bloquants et trouver comment « faire converger bon sens paysan et souplesse administrative ».

Autre enjeu de taille : celui du financement de ces ouvrages de stockage. L’association Biovallée et ses partenaires avaient invité l’Agence de l’eau à ce comité de pilotage. Ses représentantes ont rappelé que l’Agence ne pourrait en aucun cas financer des projets s’il n’est pas démontré qu’ils permettent de résorber le déficit quantitatif pour la rivière Drôme. En résumé : si l’objectif est d’offrir une ressource supplémentaire pour augmenter les prélèvements, l’Agence de l’eau n’accordera pas de crédits.

La souveraineté alimentaire s’invite au débat

Un message difficile à entendre pour bon nombre d’acteurs présents lors de ce comité. Sur le secteur de Crest-Sud par exemple, la Réut est considérée comme un moyen d’offrir aux agriculteurs une ressource qui leur fait cruellement défaut aujourd’hui. Jérôme Veauvy, pépiniériste à Crest, qui a initié le projet de Réut avec l’Inrae en tant qu’administrateur de l’association Biovallée, a rappelé que ces réflexions s’inscrivent dans un enjeu de souveraineté alimentaire. « Nous sommes en pleine mutation de nos territoires. On ne peut pas demander aux agriculteurs d’investir dans des systèmes de goutte-à-goutte pour économiser la ressource si par ailleurs on ne sécurise pas l’approvisionnement », a averti Jérôme Veauvy. Il souligne que les agriculteurs de la basse vallée sont engagés dans des réflexions « pour une utilisation optimale de l’eau ». « Laissez-nous un peu de temps, le temps d’ajuster les briques », a-t-il plaidé auprès de l’Agence de l’eau, à qui il demande d’examiner la capacité globale du territoire et de ses agriculteurs à économiser l’eau plutôt que de s’appuyer uniquement sur un bilan quantitatif de la Réut.

« Nous devons aller vers une solution de compromis. Si la production agricole diminue dans la vallée de la Drôme, nous verrons les livraisons par camions augmenter. Nous devons aborder le projet en identifiant l’ensemble de ses points positifs et négatifs et être ambitieux pour avancer vers sa réalisation », a soutenu Ludwig Blanc, agriculteur à Chabrillan, qui siège au SID.

Jean Serret, président de la CCVD4, s’est montré encore plus radical dans son analyse. « Combien rapporte un m³ d’eau d’irrigation au bassin versant ? Si nous n’avons pas ce m³ combien cela coûte-t-il au PIB5 du territoire ? Je pose solennellement la question : sommes-nous prêts en vallée de la Drôme à organiser un deuxième exode rural ? », a-t-il interrogé.

Flou réglementaire

Sans imaginer un départ massif des populations de la vallée faute de possibilité de produire, Pascal Molle, directeur de recherche à l’Inrae, a tout de même insisté : « La Réut est un levier parmi d’autres pour optimiser les pratiques agricoles ». Mais de nombreux freins restent à lever avant de voir sortir une eau usée traitée des bornes d’irrigation du territoire. Comme l’ont souligné Rémi Declercq et Ophélie Pratx, en France, les projets de Réut naviguent toujours dans un flou réglementaire. Depuis la parution du décret cadre le 29 août dernier visant à simplifier la Réut, les arrêtés spécifiques, notamment celui sur l’irrigation des cultures, ne sont toujours pas sortis. D’où de nombreuses questions en suspens, à la fois sur les exigences en matière de traitement des eaux avant irrigation ou sur la possibilité de mélanges des EUT avec les eaux claires. Enfin, au-delà de ces pré-études, une question doit à présent être tranchée : si des infrastructures destinées à la Réut voient le jour, par qui seront-elles portées ? Collectivités et syndicats devront s’entendre sur la gouvernance d’un tel projet.

Sophie Sabot

1 Inrae : Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement.
2 DDT : direction départementale des territoires.
3 OFB : Office français de la biodiversité.
4 CCVD : communauté de communes de Val de Drôme.
5 PIB : produit intérieur brut.