Un lait drômois plutôt bien valorisé à travers la fabrication de fromages
Depuis 2004, Yannick Blanc, conseiller élevage en bovin lait chez Adice*, sillonne les routes drômoises à la rencontre des éleveurs laitiers du département.

Comment de votre point de vue a évolué la filière bovin lait en Drôme ces vingt dernières années ?
Yannick Blanc : « Depuis vingt ans, on a assisté à une forte diminution du nombre d’exploitations. Entre 2000 et 2010, ce sont essentiellement les plus petites d’entre elles, avec des troupeaux d’une dizaine de vaches, qui ont disparu. Ces dix dernières années en revanche, l’arrêt de l’activité laitière a concerné tout type de structure, que ce soit suite à un départ en retraite, une perte d’intérêt pour la production laitière ou un ras-le-bol lié à l’accumulation de contraintes. Ce sont ces disparitions qui ont fait le plus de mal à la filière. Au niveau d’Adice conseil élevage, nous l’avons constaté avec une augmentation du nombre de vaches suivies jusqu’en 2016 puis une chute depuis. Dans un premier temps, les arrêts ont été compensés par l’augmentation de la taille des exploitations et par celle de la productivité ».
Ce n’est plus le cas ?
Y.B. : « Non, aujourd’hui nous arrivons à un plateau en termes de productivité. Quand j’ai démarré mon activité de conseiller d’élevage il y a presque vingt ans, nous étions à 150 000 litres produits par unité de main-d’œuvre (UMO). Aujourd’hui nous sommes plutôt à 260 voire 270 000. Pour atteindre ces niveaux, on a assisté à une robotisation des élevages et, bien souvent, en plus de l’exploitant il y a une main-d’œuvre familiale (parents, conjoint, oncle…) non comptabilisée. Or d’ici une dizaine d’années, celle-ci risque de disparaître. C’est pourquoi je pense qu’on ne pourra pas aller au-delà en termes de productivité par UMO. En parallèle, nous atteignons également un plateau en termes de productivité par vache. Ces dix dernières années, certains éleveurs ont cherché à augmenter la productivité par vache plutôt que la taille du troupeau parce qu’ils étaient limités par les bâtiments. Ainsi, nous comptons en Drôme un certain nombre d’élevages à plus de 10 000 kg par vache. Mais produire plus pourrait s’avérer un objectif de plus en plus compliqué à atteindre d’autant qu’il est antinomique avec celui d’aller vers davantage d’autonomie alimentaire. »
Qu’en est-il justement de l’évolution en termes d’autonomie alimentaire ?
Y.B. : « Il y a dix ans, pour nourrir 50 vaches laitières, on avait besoin en Drôme de 100 ha. Aujourd’hui il en faut 120 à 130 ou alors avoir une bonne partie de ses terres irriguées. Cela augmente la charge de travail et nous renvoie à la problématique de la disparition à terme de la main-d’œuvre familiale. Il faut aussi avoir en tête que produire des fourrages de super qualité, qui permettent d’atteindre 18 à 20 kg de lait par vache et par jour, n’est pas évident. »
La filière lait de vache en Drôme est toute petite comparée à celles de départements voisins comme l’Isère, la Loire… Quelles sont cependant ses atouts ?
Y.B. : « Le lait de vache drômois est plutôt bien valorisé car destiné pour l’essentiel à la fabrication de fromages : que ce soit l’IGP Saint-Marcellin, l’AOP Bleu du Vercors-Sassenage ou, même s’il n’est pas sous signe de qualité, le Saint-Félicien. Le second atout de la filière, c’est la bonne dynamique entre éleveurs, un lien entre eux qui a motivé les troupes même si la disparition d’exploitations freine un peu cela. On a eu aussi un bon renouvellement des générations, notamment dans le Nord-Drôme et sur le Vercors. Mais une question se pose : ces jeunes installés resteront-ils éleveurs laitiers toute leur vie ?
Enfin, un dernier atout en Drôme, c’est la capacité d’approvisionnement en céréales ou protéines locales grâce aux nombreuses exploitations céréalières du département ou de la plaine de la Bièvre. Ces filières locales correspondent aux attentes du consommateur. Reste cependant à les développer en assurant un juste prix des matières, à la fois pour le céréalier mais aussi pour l’éleveur. »
Si la filière veut perdurer, quels seront les points de vigilance ?
Y.B. : « La Drôme est l’un des départements les plus au sud en production laitière. Avec le changement climatique, les deux principaux enjeux vont donc être de maîtriser le stress thermique des animaux et de limiter les pertes de productivité sur prairies. En matière de stress thermique, quelques adaptations des bâtiments pourront parfois suffire, sans gros investissements. J’invite les éleveurs à rechercher au maximum des ventilations naturelles, à appliquer des peintures d’ombrage sur les translucides... Il faut impérativement éviter les éclairages par soleil couchant car le stress thermique le plus important pour la vache se situe entre 16 h et 19 h. Quant à la perte de productivité herbagère, par exemple sur le Vercors, il faudra modifier les pratiques, notamment renouveler plus souvent les prairies. Pour les autres systèmes qui ont la possibilité d’irriguer, se posera la question de comment optimiser l’utilisation de l’eau pour assurer les besoins alimentaires. Désormais, le troupeau est sur sa ration hivernale huit mois sur douze, contre sept auparavant. Enfin, au-delà des coûts de l’alimentation, j’invite les éleveurs à surveiller toutes les autres charges (assurances, EDF, services…) et éventuellement à renégocier leurs contrats. En résumé, pour tenir, il faudra être bon partout. Les éleveurs n’ont plus le droit à l’erreur. »
Propos recueillis par Sophie Sabot
* Adice : Ardèche Drôme Isère conseil élevage.
Prix du lait
Le prix moyen payé aux producteurs drômois en 2020 (source Agreste) était de 400 € / 1000 l, alors que dans les autres départements de la région (hors les Savoie), il s'est échelonné entre 364 et 394 € / 1000 l.