Maraîchage
Remettre les sols maraîchers en vie

Adapté de l’agriculture de conservation des sols, le maraîchage sur sol vivant (MSV) regroupe un ensemble de pratiques qui remettent le sol au cœur du système de culture.

Remettre les sols maraîchers en vie
Observation des sols lors d’une visite bout de champ.

Depuis quelques années, on entend de plus en plus parler du « maraîchage sur sol vivant » (MSV) auprès des maraîchers et porteurs de projets à l’installation. Concrètement, cette technique cherche à réduire voire arrêter le travail du sol, à apporter des matières organiques pour nourrir et couvrir les sols, et à utiliser des couverts végétaux pour structurer les sols en profondeur. Le MSV, réseau de professionnels pour diffuser les savoirs et les innovations directement entre maraîchers qui testent chez eux des itinéraires techniques, n’a pas de cahier des charges et constitue une approche agroécologique et systémique qui prend en compte le contexte de chaque ferme.

MO/argile d’au minimum 0,24

Pour remettre les sols en vie, le MSV préconise d’apporter des matières organiques (MO) car plus leurs taux sont élevés, plus les fonctions des sols sont assurées (rétention de l’eau, cycle des nutriments, stockage du carbone…). L’objectif est d’obtenir un rapport de MO/argile d’au minimum 0,24. Cela correspond à la quantité de MO minimale pour obtenir un très bon niveau de structure des sols d’après une équipe de chercheurs en Suisse qui a étudié les sols de plus de 300 parcelles. Ainsi, dans un sol limono-argileux avec 20 % d’argile, le taux de MO minimal pour obtenir une très bonne structure de sol est de 4,8 %. S’il y a 2 % de MO dans ce sol, cela signifie qu’il manque 98 tonnes (t) d’humus à apporter, quantité à laquelle il faut ajouter la ration annuelle du sol pour compenser les pertes naturelles par minéralisation.

La méthode des bilans humiques permet de calculer les quantités de matières organiques à apporter pour redresser les niveaux d’humus, en fonction du potentiel d’humification des matières organiques. Plus il est élevé, plus la matière va se transformer en humus par humification dans le sol. À titre indicatif, pour apporter 98 t d’humus, il faut environ 650 t de matières sèches par hectare (MS/ha) de paille ou 160 t de MS/ha de compost de déchets verts.

Limiter les risques de faim d’azote

Les agriculteurs choisissent les matières organiques qu’ils ont à disposition localement à un prix abordable. Les matières les plus utilisées sont donc des broyats de déchets verts récupérés auprès d’élagueurs et du compost de déchets verts issu de plateformes de compostage. Bien qu’il soit difficile de s’approvisionner en compost de qualité (sans débris plastiques, avec un processus de décomposition contrôlé), c’est aujourd’hui ce qu’il y a de plus abordable et facilement disponible. De plus, lorsqu’il est suffisamment composté (compost mûr), le compost a un rapport C/N bas, ce qui permet de limiter les risques de faim d’azote sur les cultures.
Lors d’une étude réalisée sur l’effet des pratiques MSV sur les vers de terre au sein du GIEE MSV (qui comprend une dizaine de fermes) en Drôme-Ardèche, ont été mesurées des augmentations rapides et significatives de l’abondance, de la biomasse et de la richesse en vers de terre dans les parcelles où le travail du sol est fortement réduit ou stoppé et où les apports de matière organique sont importants et les sols couverts. Selon les parcelles, nous avons recensé entre 200 et 1 400 individus/m² regroupés entre 5 et 8 taxons, et mesuré des biomasses comprises entre 0,2 et 3 t de vers de terre/ha, alors qu’en maraîchage « classique » les moyennes se situent autour de 550 individus/m² et 0,7 t/ha.

Des apports de MO fractionnés

Les apports de MO sont généralement fractionnés, sauf dans les cas d’apports massifs pour régénérer les sols rapidement. Les matières organiques peuvent être enfouies pour accélérer leur dégradation, ce qui a pour effet d’accentuer l’immobilisation de l’azote lorsque les matières sont très carbonées (C/N > 25).
Pour limiter les effets néfastes du travail du sol, les matières peuvent être apportées en surface, ce qui diminue la vitesse de leur dégradation et permet de créer un paillage qui limite l’enherbement, l’évaporation et l’érosion des sols. Dans le cas d’apports carbonés, bénéfiques pour les sols car riches en énergie pour la vie du sol, il faut être particulièrement vigilant à ce que l’apport se dégrade bien et ajuster l’assolement et la fertilisation en fonction de l’azote disponible pour éviter les faims d’azote.
Il est, par exemple, préférable de faire les apports carbonés en fin d’été lorsque les reliquats azotés dans les sols sont élevés et de semer un couvert végétal à base de légumineuses qui sera restitué au sol au printemps avant la mise en culture, et de mesurer les quantités d’azote disponibles dans le sol pour ajuster la fertilisation.

Moins de désherbage

Apporter des matières organiques ne sert pas uniquement à redresser les taux de MO et à améliorer l’activité biologique et la fertilité des sols. Cela permet aussi de nourrir les cultures et de limiter le désherbage. Dans le cadre des essais menés par l’Association drômoise d’agroforesterie (Adaf) au sein d’une ferme (Les noyers à Bezaudin-sur-Bîne) du GIEE en maraîchage diversifié sur petite surface, le désherbage des carottes semées directement sur un lit de compost de déchets verts sans travail du sol était 76 à 93 % plus bas en comparaison des carottes sur sol nu.
Cependant, se lancer dans le MSV requiert de la réflexion et de nombreux changements (outils et équipements, calendrier de travail, pilotage de la fertilisation et de l’irrigation, rotations). Il est donc conseillé de se former et de se faire la main sur des petits essais. Malgré des résultats prometteurs, il reste plusieurs verrous techniques à lever (baisse de précocité, difficultés de plantation en sol non-travaillé, mécanisation, disponibilité et qualité des matières organiques, etc…) et des références technico-économiques à construire. L’Adaf y travaille notamment à travers un projet de recherche-développement en collaboration avec plusieurs maraîchers du territoire.

Planches de carottes (11 août) semées sur lit de compost de déchets verts sans travail du sol (7 juin).

Amandine Faury (chargée de mission maraîchage sur sol vivant à l’Adaf) ; André Sieffert (Adaf) ; Xavier Dubreucq (XDT)