Elevage
Des solutions à la marge

Ardèche Drôme Isère Conseil élevage (Adice) a tenu un colloque très complet sur l’amélioration des marges en élevage laitier.

Des solutions à la marge
Les experts en élevage ont apporté leur analyse lors du colloque organisé par Adice sur l’amélioration des marges en exploitation laitière.

Laisser les vaches manger la nuit, éviter de décapitaliser, limiter les pertes en compost : il existe encore de nombreuses pistes, parfois pointues ou spécifiques, pour améliorer la marge des exploitations laitières, bovines ou caprines. C’est le thème qu’a choisi Ardèche Drôme Isère Conseil Élevage (Adice) pour le colloque organisé le 2 février à La Côte-Saint-André (Isère). Plusieurs experts ont apporté pistes et réflexions autour de la problématique : « Hausse des intrants, viser la marge ! » 

Alimentation, troupeau et sols ont été passés au crible

Jean-Philippe Goron, conseiller Adice, s’est d’abord penché sur la marge alimentaire, c’est-à-dire le produit du lait moins l’achat des aliments. « Elle se calcule par an, par vache, par chèvre, aux 1 000 litres », explique le conseiller. Il donne un exemple significatif de cet indicateur de performance : entre une marge de 8 € et une marge de 7,50 € par vache, cela représente un gain de 11 000 € par an pour un troupeau de 60 vaches. Or, la marge alimentaire assure la rémunération des exploitants et finance les charges hors alimentation (énergie, carburant, engrais, frais d’élevage etc.). Jean-Philippe Goron insiste sur la connaissance du coût de ce que l’on donne aux vaches. L’éleveur peut s’appuyer sur trois leviers pour améliorer cette marge : la qualité du fourrage ; la gestion du troupeau et la reproduction ; ainsi que la rentabilité animale. « Les 
indicateurs traduisent la maîtrise technique. Travailler le volume de lait par vache passe par du confort », insiste le conseiller.

Produire et utiliser l’énergie

Patrice Dubois, directeur de Rhône conseil élevage, inscrit « le challenge de l’excellence animale » dans l’équation sol/plante/troupeau. Ses observations sont basées sur les données de la ferme Rhône. Les indicateurs sont le chargement à l’hectare ; le pourcentage du maïs dans l’assolement ; le rendement du maïs ; la pâture au printemps ; le rendement des prairies ; le lait produit par vache et à l’hectare ; l’achat de fourrages et de concentrés ; l’âge du premier vêlage ; le nombre de lactations ; les anuités ; la productivité du travail ; le revenu et l’excédent brut d’exploitation (EBE). 
« Le système de demain est celui qui sera capable de produire une plante pour un rumen capable de bien utiliser l’énergie », assure le spécialiste. Ce chemin, complexe et pavé de compromis, entre le fourrage et le rumen de la vache, débute au champ. Patrice Dubois liste les techniques culturales appropriées à la production de fourrages appétants pour les animaux comme l’allongement des rotations, l’implantation de dérobées ou de méteils. La ration de demain ? Maïs-ray grass-soja, suggère-t-il avant de délivrer deux conseils. D’abord la ration de fourrage relève du compromis entre les mélanges énergie et protéine, ensuite, il recommande « de faire attention avant de supprimer le maïs des systèmes ».
Du côté du troupeau, Patrice Dubois insiste « sur la phase cruciale de la préparation du vêlage » avec les apports nécessaires aux vaches taries. « Tout se joue le jour du vêlage : la santé de la vache et du veau », ajoute-t-il. Il recommande aux éleveurs d’être présents lors des vêlages ainsi que d’être vigilants aux apports d’énergie en post-partum. Il précise : « Dans le premier mois de lactation toutes les pathologies qui entrent sont difficiles à guérir ». L’objectif est donc que la bête arrive en forme au vêlage pour éviter mammites et boiteries par la suite. « Que 100 % du lait aille dans le tank, cela passe par de la conduite et de la présence. »

Du confort et du repos

Maximiser les marges passe aussi par le non nutritionnel, comme l’explique Yannick Blanc, conseiller Adice. Et le pilotage du troupeau commence par l’observation et le respect du rythme des animaux. Le cycle d’une vache laitière passe par de longues périodes de repos pendant lesquelles elle produit du lait, 
soit douze à quatorze heures par jour et par fractions de deux heures. Un indicateur pertinent est d’avoir 60  % de vaches couchées. Pour cela, elles ont besoin de confort. « Une heure de repos en moins, c’est un litre de lait en moins », illustre le conseiller. Une vache qui produit, c’est aussi une vache qui boit, donc l’abreuvement doit être accessible avec un débit suffisant. Le stress thermique peut également coûter cher, d’où la nécessité d’une bonne ventilation des bâtiments. Il insiste sur les boiteries, « un fléau grandissant » qui influe sur la production de lait, de même que les tarsites. Des sols doux, moins glissants permettent d’éviter les accidents. « Sur chacun de ces points, il y a une marge d’un litre de lait », rapporte Yannick Blanc.
Le management du troupeau est une question de priorités, indique Pierre Gonin, d’Adice. En trente-cinq ans de métier, il a vu les exploitations évoluer, s’agrandir « et les charges de travail et mentales augmenter ». Il ajoute : « La plus grosse contrainte est de récolter un fourrage de qualité et le pire, ce sont les ruptures de stock qui coûtent des litres de lait ». Adice dispose de toute une panoplie d’outils d’analyse. Mais Pierre Gonin conseille d’observer le troupeau, « avec des capteurs, avec ses yeux » et d’établir des tableaux de bord. « Il peut exister de grandes amplitudes de marge par vache », assure-t-il. Parfois, les détails font la différence, mais le confort est toujours gagnant.

Éviter les pertes d’azote

Enfin, Clément Divo, conseiller Adice, a proposé un focus agronomique sur l’optimisation des intrants et le travail du sol pour réduire sa facture d’engrais, azote, potassium, phosphate. Les principales pertes d’azote sont dues à la volatilisation de l’ammoniac ou à la dénitrification. Elles peuvent s’élever jusqu’à 30 % des apports. L’urée et le sulfate d’ammonitrate sont les plus à risque. Pour cela, il conseille « d’éviter les apports d’azote dans les conditions sèches et venteuses » ou « sur des sols saturés », ou encore « en dehors des périodes de croissance de la plante ». Les recommandations sont donc des apports fractionnés, lors d’une pluie modérée et au début d’une période de pousse. En cas de problème, enfouir l’engrais permet d’éviter les pertes par volatilisation, soit avant le semis, soit en utilisant une herse étrille ou en binant.
Les apports d’effluents méritent aussi une incorporation la plus rapide possible pour éviter les pertes. « Elles peuvent représenter jusqu’à 80  % de la partie ammoniacale d’un lisier », note Clément Divo. En ce qui concerne le compost, il indique que la première phase de compostage est importante, qu’il ne faut pas le laisser vieillir trop longtemps, que le brassage provoque des pertes d’ammoniac, lesquelles sont évitables en conservant de l’humidité.
D’un point de vue agronomique, les légumineuses dans les cultures fourragères (vesce et/ou trèfle annuel) favorisent la fertilité naturelle. C’est le cas aussi pour les méteils avec des mélanges avoine, pois fourrager et vesce. La valorisation des couverts d’interculture pour une restitution optimale de l’azote passe par une implantation de préférence à la fin de l’été, juste après la céréale et une destruction en fin d’année. Ainsi, « un couvert composé de légumineuses ou d’un mélange avec des légumineuses pourra restituer jusqu’à 30 unités d’azote », indique le conseiller.
Fort de ces éléments quant au pilotage du troupeau et des sols, Thierry Deygas, vice-président d’Adice, déclare en conclusion : « Il ne faut pas être dogmatique, mais savoir s’adapter sans se laisser porter, réfléchir à sa stratégie et savoir où on va pour éviter les détours. C’est l’éleveur qui fixe le cap ».

Isabelle Doucet

Indicateurs

Bien analyser  les charges

Cerfrance Isère s’est penché sur plusieurs hypothèses, mettant en perspective prix du lait et marge d’orientation. 

« En 2021, un tiers des exploitations avait une marge d’orientation* négative. Autrement dit, les exploitants n’arrivent pas à se rémunérer. » Olivier Marcant, conseiller Cerfrance Isère a analysé les charges de production pour les mettre en perspective avec les charges opérationnelles des exploitations.
Il part de l’indice Ipampa lait de vache (prix d’achat des moyens de production) qui observe une augmentation de 18  % sur un an et 32  % sur deux ans. Dans la même période, le prix du lait en conventionnel a augmenté de 17  % en un an et 21  % depuis deux ans.
Sur la base de l’exercice comptable 2021 de 274 exploitations laitières et sur les projections 2022 et les hypothèses 2023, le conseiller formule plusieurs remarques. « En 2021, nous observons une amélioration des résultats avec un prix de vente du lait à 376 € alors que le prix critique d’équilibre est à 335 €, ce qui permet de dégager une marge d’orientation de 21 € par 1 000 litres, sur la base d’une rémunération de 1,5 Smic. » À deux Smic, cela ne passe déjà plus. Il décrit une situation fragile et hétérogène avec encore « des exploitations systématiquement négatives ».

La clé du prix du lait

Le conseiller propose deux projections pour les années 2022 et 2023. La première table sur un maintien des volumes avec des charges opérationnelles qui grimpent. Le prix d’équilibre s’établit à 438 € en 2022. Le deuxième scénario vise « un ajustement des pratiques » avec une baisse de 5  % des volumes. Dans ce cas, le prix d’équilibre se situerait à 448 €. L’explication réside dans une augmentation des charges fixes (ramenées au volume de lait livré), qui n’est pas compensée par la diminution des charges opérationnelles. « Avant de prendre une décision, il faut considérer la part des charges opérationnelles qui représentent 37  % des charges de l’exploitation, alors que les charges fixes sont de 63  % », souligne Olivier Marcant.
En 2023, le prix d’équilibre devrait se situer à 460 € pour 1,5 Smic, voire 480 € en cas d’aléa climatique. Les défis à relever seront donc nombreux. Une attention particulière devra être portée sur la gestion de trésorerie des exploitations. Par ailleurs, Olivier Marcant ne cache pas le risque d’un effet ciseau où le prix du lait baisserait alors que celui des intrants est toujours à un niveau élevé. 

I. D.

* La marge d’orientation est calculée sur l’excédent brut d’exploitation (EBE = produits de l’exploitation - charges de l’exploitation). Les pré­lèvements privés et les annuités retirés, elle représente la consolidation de trésorerie et l’autofinancement.