Histoire
Soixante ans après le Traité de l’Élysée,  quelles relations franco-allemandes ?

Le Consul général d’Allemagne pour les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Bourgogne-Franche-Comté, Thomas Pröpstl, estime que le moteur entre la France et l’Allemagne n’est pas essoufflé. Bien au contraire.

Soixante ans après le Traité de l’Élysée,  quelles relations franco-allemandes ?
Le 22 janvier 1963, la France et la République fédérale d’Allemagne avec respectivement à leur tête Charles de Gaulle et Konrad Adenauer scellent de façon solennelle et symboliquement leur « amitié ». © DR

Le 22 janvier 1963, la France et la République fédérale d’Allemagne ouvraient, par un traité, une nouvelle ère entre les deux nations. En quoi était-il historique pour l’époque ?
Thomas Pröpstl : « Avant toute chose, le Traité de l’Élysée jette les bases de la réconciliation et de l’amitié durable entre les deux « ennemis héréditaires » que sont la France et l’Allemagne. Ce texte est le fruit du rapprochement de deux hommes, le président français Charles de Gaulle et le chancelier ouest-allemand Konrad Adenauer. Ils avaient compris, avant d’autres, que l’amitié franco-allemande était essentielle pour le futur de l’Europe. Le traité jette donc les bases d’une coopération bilatérale accrue dans de nombreux domaines, dont notamment les affaires étrangères et les relations internationales, la défense, l’éducation et la jeunesse. Il prévoit également des rencontres régulières entre les chefs d’État et de gouvernement et les ministres des affaires étrangères. Toutefois, l’essentiel va plus loin : les deux dirigeants politiques souhaitent mettre en place un véritable rapprochement des deux peuples. Et chose assez inédite, les deux parlements, l’Assemblée nationale et le Bundestag, ratifient le traité en juin 1963 ».
Quels types d’actions concrètes sont nées de ce traité ?
T.P. : « Outre les rencontres régulières entre les chefs d’États, les ministres et les fonctionnaires des deux pays, le Traité de l’Élysée inaugure un rapprochement inédit entre les deux peuples, à travers notamment la signature de plus de 2 300 jumelages et un foisonnement d’initiatives de la société civile. Ce traité crée l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) ou Deutsch-französisches Jugendwerk (DFJW) qui, chaque année, réunit 45 000 participants autour de plus de 3 000 programmes d’échanges. Puis, sur le plan scientifique, ce traité permet la création en 1967 de l’Institut Laue-Langevin à Grenoble, d’Airbus Industries en 1970 et de la chaîne de télévision franco-allemande Arte en 1992. Régulièrement, les anniversaires du traité donnent lieu à d’autres initiatives avec le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité (en 1988) et le Conseil des ministres franco-allemand - lequel se réunit alternativement en France et en Allemagne - en 2003 ».
Comme tous les couples, le couple franco-allemand traverse des crises. Dernière en date, celle portant sur l’énergie. Peut-on toutefois parier sur une coopération durable ?
T.P. : « Le moteur entre les deux pays fonctionne très bien. Nous nous souvenons avec gratitude du chemin parcouru depuis le Traité de l’Élysée… Nous allons de l’avant en toute confiance. Nos liens bilatéraux se sont considérablement solidifiés. Surtout, nous travaillons ensemble pour une Europe plus forte et plus souveraine. Enfin, la coopération entre les deux pays, ce n’est pas seulement entre les deux gouvernements, mais  aussi entre les sociétés civiles. À ce titre, l’engagement des jeunes compte beaucoup ». 
Pouvez-vous nous donner des exemples de coopération particulièrement aboutis ? 
T.P. : « Auvergne-Rhône-Alpes a la chance de faire partie du réseau “ Quatre moteurs pour l’Europe ” avec la Lombardie, le Bad-Württemberg et la Catalogne. Les objectifs de cette collaboration étaient, en 1988, principalement liés à l’économie et à la recherche ainsi qu’à l’art et à la culture. Au cours des décennies suivantes, la coopération s’est considérablement amplifiée et intensifiée. Ces quatre régions sont des leaders européens en termes de performance économique et de recherche. Ensemble, ces quatre moteurs pour l’Europe représentent 36 millions d’habitants et environ 9 % de la production économique européenne. Des liens très forts se sont en effet créés entre les quatre régions depuis la création du réseau et ont permis d’aboutir  à de nombreuses réalisations. Ainsi, en 2016, 246 stages ont été effectués par des apprentis de la région et 344 étudiants ont reçu une bourse pour l’enseignement supérieur afin de se former dans les trois régions partenaires. Il existe également 30 accords entre universités de la région et du Land. En matière économique, 243 entreprises allemandes sont implantées en Auvergne-Rhône-Alpes tandis que 168 entreprises de la région française sont présentes en Allemagne. Preuve d’un certain aboutissement du réseau, certains de ses acteurs des filières de l’automobile, de la santé et de l’environnement répondent ensemble à des appels à projets européens. En 2018, des entreprises régionales du secteur automobile ont ainsi remporté un appel à projets fédéral de 3 millions d’euros pour mener à bien des projets sur l’innovation. L’innovation et le numérique sont d’ailleurs des secteurs où la coopération est particulièrement riche et reconnue. Par exemple, en 2018, le prototype d’un miroir connecté développé par de jeunes designers du Bade-Wurtemberg et d’Auvergne-Rhône-Alpes a été exposé durant le Salon international des Objets connectés (Sido) ». 

Propos recueillis par Sophie Chatenet

Aix-la-Chapelle, l’autre traité

Depuis janvier 2020, la France et l’Allemagne mettent en œuvre le traité d’Aix-la-Chapelle qui reprend et « complète » le traité de l’Élysée qui avait été signé entre le président Charles de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer. Il préconise un approfondissement dans l’ancrage européen et la solidarité européenne, le rapprochement des politiques économiques, diplomatiques et de défense des deux pays, une coopération écologique, l’encouragement de l’apprentissage de la langue et de la culture du voisin, ainsi qu’un renforcement de la coopération transfrontalière.

Le traité de l’Élysée. © DR

Consul, celui qui construit des ponts entre les peuples

Arrivé dans la capitale des Gaules en pleine épidémie de la Covid-19, Thomas Pröpstl a en charge le consulat d’Allemagne pour deux grandes régions qui abritent 15 000 ressortissants allemands. Il compare sa charge à celle d’une petite mairie allemande en France. Passé par Washington, Berlin, Paris… le consul général travaille désormais avec deux consuls honoraires, l’un basé à Dijon et l’autre à Grenoble. Son quotidien est rythmé par la gestion de nombreux dossiers de coopérations économique, scientifique et culturelle, des temps de représentations, mais aussi des affaires courantes, budgétaires notamment. Le titre de consul tel que nous le connaissons aujourd’hui remonte au Moyen Âge, lorsque des fonctionnaires ou conseillers étaient les principaux fonctionnaires municipaux de certaines villes du sud de la France et faisaient partie de ce qu’on appelait le « consulat » ou corps gouvernant. Au départ, on en référait à eux pour gérer les disputes entre les marchands.