Aléas climatiques
Chauffage, brassage d’air, dépôt de brouillard ou aspersion : les moyens de lutte antigel

A l’occasion d’une journée technique organisée en Haute-Savoie, une cinquantaine d’arboriculteurs avaient assisté à des conférences et démonstrations de matériels assurées par des fabricants et distributeurs de solutions de protection. Retour sur les principaux enseignements à en tirer.

Chauffage, brassage d’air, dépôt de brouillard  ou aspersion : les moyens de lutte antigel
Présentation du Fog Dragon 1550. © BF

Gelées noires et gel advectif : danger

Nicolas Drouzy, technicien fruits de la chambre d’agriculture Savoie Mont-Blanc, est d’abord revenu sur l’épisode exceptionnel d’avril 2021, qui s’est caractérisé dans le secteur par des pointes à -7 °C en bas-fonds et de -3 °C sur les coteaux avec des pertes de récolte allant jusqu’à 95 % de poires et 50 % de pommes. Il a également rappelé que dans le contexte de changement climatique, le risque d’une gelée au stade sensible restera exacerbé pendant la première moitié de ce siècle en raison de l’avancement des dates de floraison et de la forte variabilité des dates de dernières gelées. Il a par ailleurs détaillé les différents types de gel affectant les vergers. Le gel de printemps, le plus courant, est un gel de rayonnement. Le sol perd de l’énergie par rayonnement infrarouge et cette perte n’est pas équilibrée par une restitution atmosphérique les nuits de ciel clair sans nébulosité. En cas de gel de rayonnement et de forte hygrométrie de l’air, le givre se forme donnant une gelée blanche. Plus rare au printemps, le gel d’advection est causé par la brusque arrivée d’une masse d’air froid et sec plus froide que le sol. Dans ce cas de figure, la couverture nuageuse ou une forte hygrométrie de l’air ne jouent plus leur rôle de régulateur dans les transferts d’énergie. Un troisième type de gel existe, le gel d’évaporation qui est causé par un flux d’air froid et sec avec l’évaporation d’eau présente sur les fruits. On peut observer ce type de gel lorsque le ciel se dégage en soirée après des épisodes pluvieux de fin de journée. En cas de gel d’advection ou d’évaporation, l’air est sec et il n’y a pas de formation de givre, c’est la gelée noire. Parfois, ces phénomènes peuvent même se combiner...

Générer de la nébulosité

Pour limiter les pertes de chaleur par rayonnement, il est également possible de générer de la nébulosité en créant un brouillard artificiel dans les plantations. La fumée n’arrêtant pas les infrarouges, il est indispensable que les particules en suspension constituant le brouillard aient une taille supérieure ou égale à la longueur d’onde des infrarouges pour absorber le rayonnement terrestre. Des nébulisateurs à glycérine végétale comme le Viti-Protect de Pulsfrog, distribué par la SARL Deuterand Mécanique, permettent d’obtenir un épais dépôt de brouillard inerte. Cette « vapoteuse géante » nécessite toutefois une absence totale de vent pour fixer correctement le nuage sur les plantations. Véritable chaudière à biomasse embarquée, le Fog Dragon est un outil tracté qui peut de son côté, à partir de combustible (bois, foin ou paille) humidifié avec de l’eau vaporisée, pulser à la fois de la chaleur et de la fumée.

Démonstration du Viti-Protect de Pulsfrog : dépôt de brouillard, sous condition d’absence totale de vent. © DR

Brasser et chauffer l’air ambiant

Nicolas Drouzy a ensuite listé la panoplie des moyens de lutte antigel disponibles sur le marché avec leurs avantages, leurs inconvénients et les choix à faire en fonction de la disponibilité d’une ressource en eau suffisante, de la fréquence et de l’intensité des aléas et des caractéristiques topographiques de la parcelle. L’air froid étant plus dense que l’air chaud, il a tendance à stagner au niveau du sol et de la frondaison des arbres. La température augmente ensuite sur une épaisseur de quelques mètres avant de décroître à nouveau : c’est le plafond d’inversion. Par temps clair et en absence de vent, on peut rencontrer un brassage de l’air qui réchauffe les fonds froids. Ce brassage de l’air peut être obtenu artificiellement en utilisant des tours à vent ou lorsque les surfaces à protéger sont importantes par des survols de verger en hélicoptère. Les hélices permettent de rabattre l’air d’altitude plus chaud et d’homogénéiser les couches thermiques. Des brise-vent fixes comme des hautes haies en amont des plantations peuvent aussi réduire naturellement la force des courants d’air catabatiques. Plus largement diffusées en verger de fruits à noyau mais relativement peu utilisées en verger de pommiers ou poiriers, des chaufferettes ou des bougies de paraffine peuvent aussi être installées tous les dix mètres environ, un rang sur deux, pour réchauffer l’air ambiant. 

 

Présentation des chaufferettes à bûches calorifiques. © BF

L’aspersion d’eau

Si l’eau est disponible sur l’exploitation (besoin minimum de 40 m3/h/ha) et que le parcellaire s’y prête, les arboriculteurs utilisent la technique de l’aspersion d’eau. Le principe consiste, en arrosant le verger, à maintenir les organes végétaux à 0 °C sous une couche de glace humidifiée en permanence car l’eau, en passant de l’état liquide à l’état solide, libère de l’énergie qui réchauffe l’atmosphère ambiante à proximité. « Il s’agit d’un investissement lourd (10 000 à 12 000 euros/ha pour l’équipement complet) à raisonner sur la vie complète du verger mais qui est souvent rentabilisé dès la première récolte sauvée et qui peut servir l’été pour l’irrigation », a rappelé Laurent Primard de la société Rolland Sprinklers. Ce dernier a présenté des modèles d’arroseurs spécifiquement conçus pour la lutte par aspersion d’eau sur frondaison. « Plus il fait froid, plus il faut de l’eau et de la calorie pour être sans arrêt en formation de glace », a-t-il conseillé, évoquant des consommations maximales de 8 mm/h/ha à -8 °C (80 m3/h). Le réseau doit être bouclé et bien dimensionné pour une circulation homogène. Le gel n’entrave pas l’arrosage si la pression d’eau est suffisante et si les arroseurs sont complets et révisés. La maintenance du réseau est essentielle pour éviter les bouchages au niveau des arroseurs : rincer en début et en fin de saison, entretenir les canalisations et vérifier les nichages d’insectes est indispensable. En cas de risque de gel, le système d’aspersion doit être démarré très tôt « en position humide ». Il convient d’attendre la glace fondante décrochant des branches pour le couper.

Bertrand Coffy avec Nicolas Drouzy

Des capteurs  de précision

Pour piloter au plus juste sa protection antigel et exploiter tout le potentiel de ces matériels, les professionnels doivent disposer d’un système d’alerte météo en temps réel afin de déclencher au bon moment les mesures de lutte antigel. A été présenté l’outil Weenat, composé d’une gamme de capteurs gel connectés à une application pour suivre en direct l’évolution des températures sur son smartphone. La sonde de précision mesure toutes les onze minutes les températures sèches et humides, ressenties au plus près du végétal. L’alerte paramétrable est automatiquement envoyée par SMS à l’utilisateur pour qu’il puisse piloter précisément l’irrigation et mettre en route les systèmes de protection. À noter que le capteur est doté d’une pile au lithium remplaçable d’une autonomie garantie de trois ans sans aucune recharge pour plus de fiabilité. Testé en conditions réelles dans les vergers de Chevrier depuis le printemps, ce matériel de fabrication suisse répond parfaitement aux attentes de précision et de durabilité. Weenat peut être couplé à Weefrost, un algorithme de prévision d’aléas à quatre jours, basé sur un historique de points GPS de l’exploitation. Ce système ultra-local affine grandement les prévisions de Météo France, dont les modèles sont parfois aléatoires en zones de relief.