1976, une sécheresse qui a frappé les esprits
D’anciens agriculteurs témoignent de ce qu’ils ont vécu et racontent l’élan de solidarité qui s’est créé pour trouver des fourrages pour nourrir les bêtes. Retour 40 ans en arrière.

«Sur certaines parcelles, la terre ressemblait presque à de la cendre ; sur d'autres, elle formait de grosses mottes dures. » Julien Berne, ancien éleveur aujourd'hui octogénaire, cherche dans ses souvenirs. Lors de la sécheresse de 1976, il élevait environ 17 vaches laitières et une trentaine de chèvres dont s'occupait plus spécialement son épouse. Le couple était installé à Plats en Ardèche, où il réside toujours, un secteur « qui sèche très facilement ».
Quelques centaines de kilomètres plus au nord, dans l'Ain, Jean Merle alors président de la FDSEA se souvient : « les dernières précipitations sont tombées le 23 avril, sous forme de neige. Le maïs qui sera semé après cette date n'arrivera jamais à maturité. » La profession, parmi ses premières décisions, organise de grands chantiers d'ensilage de maïs après avoir évalué la valeur de chaque parcelle. « Certains éleveurs donnaient la coupe des haies à leurs bêtes... J'avais même vu lors d'un voyage en Normandie les cidriculteurs couper les branches des pommiers pour nourrir le bétail », se rappelle Jean Merle.
Les premières Unes de la presse agricole de l'époque datent de la mi-juin et titrent sur l'inquiétude de la profession. « Les bêtes ont commencé à manquer. Elles n'avaient plus rien à manger dehors, elles bousculaient les clôtures et avaient même pris la route, se remémore encore Julien Berne. On commençait à leur donner les stocks d'hiver ; on achetait des drêches. Les vaches produisaient moins de lait, qui n'était déjà pas payé bien cher. Si les chèvres se défendaient mieux, elles en faisaient tout de même moins, elles aussi. Nous avions plus de dépenses que de rentrées d'argent. » Ses arbres fruitiers souffrent également en l'absence d'irrigation.
Solidarité agricole et intervention de l'armée
Très vite les éleveurs devront piocher dans leurs stocks d'hiver pour aller nourrir les bêtes au pré. À l'heure du bilan dans l'Ain en juillet, les éleveurs sont très inquiets. Dans le cadre du « plan paille » mis en place par la FNSEA, un partenariat se noue alors avec les céréaliers de Seine-et-Marne. « Par dizaines les agriculteurs sont partis, avec leur matériel pour botteler, presser, charger et ramener le fourrage en Bresse, en Dombes et dans la montagne. Il faut se souvenir que le département comptait alors 11 000 agriculteurs contre 3 000 aujourd'hui. On ne manquait pas de bras ! Au niveau humain, cette expérience de solidarité a été très riche. Les relations avec les céréaliers de Seine-et-Marne ont duré pendant de longues années », témoigne Jean Merle.
Dans le Rhône, les éleveurs en appellent d'abord aux céréaliers du département pour trouver de la paille. Devant l'insuffisance des volumes, des chantiers s'ouvrent dans le Gard et dans le Loiret. L'armée aide les agriculteurs à mettre la paille en wagon. Le foin lui est acheminé du Sud de la France, le fameux foin de Crau, pour les besoins les plus urgents. Pour trouver d'autres volumes, le conseiller général René Trégouët organise un voyage en Yougoslavie mais les tractations semblent achopper sur le prix.
Nouvellement élu à la présidence de la chambre d'agriculture de l'Ardèche et encore président de la FDSEA, Gilbert Louis, arboriculteur à Saint-Fortunat-sur-Eyrieux, se souvient aussi de l'organisation de la solidarité. « Des convois militaires traversaient la vallée de l'Eyrieux afin d'acheminer le fourrage vers les secteurs de Saint-Agrève et du plateau. » L'État avait accordé une aide de 40 % pour l'acheminement de fourrages au-delà de 100 km. La SNCF, elle, consentait à un rabais de 15 %. Mais depuis trois ans, le département est privé du transport ferroviaire de passagers et les lignes secondaires, qui desservaient autrefois les territoires enclavés, sont hors service depuis longtemps, même pour le fret. « Les syndicats locaux faisaient remonter les besoins, cela a d'ailleurs permis d'en revivifier certains, un peu en sommeil. Des techniciens de la chambre, de l'Adasea, mais aussi de l'Ardéchoise et d'autres coopératives étaient sur les lieux pour coordonner les opérations. En Ardèche, il me semble que la mise à disposition de véhicules de l'armée s'était faite gratuitement. Certains agriculteurs prêtaient aussi leur tracteur et le conseil général avait financé le recours à des transporteurs privés », raconte Gilbert Louis.
Vers une politique d'irrigation
La pluie en Ardèche est revenue le 29 août. « Là, il a fallu semer les maïs, sorgho... Mais il ne s'arrêtait plus de pleuvoir. Quand il a fallu ensiler ce que nous avions planté en septembre, les épandeurs s'embourbaient », reprend Julien Berne. Pour Gilbert Louis, l'épisode a marqué un tournant : « Cela a provoqué la réflexion autour du stockage de l'eau, même si à l'époque l'irrigation n'était pas aussi contrainte qu'aujourd'hui. Au niveau de la chambre, l'objectif de mille lacs collinaires avait même été lancé ». Dans l'Ain, la pluie est finalement arrivée début septembre. Pied de nez de l'histoire, lors de la finale du concours de labour à Sandrans, des trombes d'eaux s'abattent et les voitures garées dans un pré se retrouveront embourbées. L'année se termine mieux qu'elle n'a commencé. « Nous avons fait une bonne arrière-saison. Nous avons pu semer et récolter des cultures dérobées pour passer l'hiver et nourrir les troupeaux », note Jean Merle.
Giscard fait voter l'impôt sécheresse
Le gouvernement a lui décidé de mettre en place un impôt sécheresse pour soutenir les agriculteurs, « mais il s'est révélé très impopulaire. Ce fut une mauvaise affaire, psychologiquement et politiquement. On se l'est fait reprocher pendant longtemps », regrette le président de la FDSEA de l'Ain. « Moi je soutenais plutôt l'idée de renforcer le fonds des calamités », rappelle Gilbert Louis. La population n'a pas compris cette décision gouvernementale et l'agriculture en a, d'une certaine façon, payé le prix. »
T. R. et D. B.
1976 : chronique d’une sécheresse historiqueAprès un automne 1975 un peu plus arrosé que la normale, l’hiver 1976 affiche un déficit moyen de plus de 30 %, plus particulièrement marqué à l’Est de la région : les deux départements savoyards ne reçoivent que 40 % des précipitations habituelles. S’ensuivent quatre mois d’une extrême sécheresse, la faute à un anticyclone des Açores bien accroché. Le printemps 1976 ne reçoit que la moitié des pluies habituelles, et le moins de juin, seulement le quart ! Il faut attendre le mois d’août pour voir revenir des précipitations sur l’Ouest de la région ; septembre sur l’ensemble du territoire. Les courbes de températures confirment le caractère exceptionnel de cette sécheresse. De début juin au 20 juillet, les températures, minimales comme maximales, dépassent largement les normes. L’indice d’humidité des sols traduit de manière implacable ce terrible manque d’eau. À l’échelle nationale, le premier semestre 1976 reste le plus sec de l’histoire récente (1959-2016). Sur la moitié nord, et plus particulièrement le Nord-Ouest, la sécheresse s’est prolongée jusqu’à la fin du mois d’août. Hors de l’hexagone, l’épisode a affecté le sud de l’Angleterre, l’Ouest de l’Allemagne, la Suisse, la Belgique et le Piémont. Plus au Nord, l’Écosse a vu passer 15 épisodes pluvieux entre le 22 juin et 6 juillet tandis qu’il ne tombait pas une goutte en France…Le coût de la sécheresseLa sécheresse aura marqué les esprits, et pas seulement des agriculteurs. 15 000 personnes ont manifesté devant la centrale de Creys-Malville suite à une rumeur selon laquelle la sécheresse provoquerait des explosions atomiques ; les conducteurs de la RATP refusaient de sortir des dépôts protestant contre une température de 59 °C à l’intérieur des véhicules ; EDF baissera la tension sur ses lignes la faute à des barrages à moitié vide. La sécheresse aurait privé le pays d’un demi-point de croissance (mais elle était alors de 6 %) et coûté 4 milliards de francs de l’époque. Jacques Chirac, alors Premier ministre de Giscard d’Estaing, démissionnera après avoir annoncé une aide de 2,2 Md de francs aux agriculteurs. La canicule aurait provoqué 5 000 décès, presque dans l’indifférence… Le quotidien Le Monde titrait sur le refroidissement de la planète, constatant que depuis 1940, la Terre se refroidissait peu à peu.1976, 2003, 2005 ou 2011Si 1976 a marqué les esprits, d’autres sécheresses et canicules ont depuis émaillé l’actualité, agricole - et pas seulement - à des niveaux dépassant 1976. En matière de précipitations, 2011 a été la plus sèche en Drôme, en Ardèche ou dans l’Ain. 2003 a battu tous les records dans l’Isère, la Loire et le Rhône. Seuls les départements savoyards ont été plus impactés en 1976.
GESTION DES RISQUES / Dans un contexte où les aléas climatiques sont de plus en plus fréquents, la profession souhaite ardemment la mise en place d’un système d’assurance-récolte pour pallier l’insuffisance du fonds national de garantie des calamités agricoles.
Aller vers un système assurantiel
En 1976, le fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA), mis en place douze ans plus tôt, avait déjà montré ses limites quand bien même les accidents climatiques étaient alors plus rares. « Le fonds des calamités agricoles n’a jamais pris en charge les pertes agricoles à 100 %, reconnaît Jérôme Volle, administrateur à la FNSEA, il a néanmoins eu le grand mérite d’être un amortisseur en cas de perte de récolte majeure, d’aider les exploitations les plus en difficultés. »
Au plus près de la réalité économique des exploitations
Mais aujourd’hui, le contexte a changé. « Nos exploitations sont de plus en plus diversifiées, les valeurs ajoutées sont très différentes d’une culture à l’autre, d’une région à l’autre ; c’est pourquoi nous travaillons depuis longtemps sur un système d’assurance-récolte qui aille au plus près de la réalité des entreprises et des pertes économique subies. »
La première des difficultés à surmonter est que le mécanisme soit acceptable, avec un prix d’adhésion qui ne soit pas prohibitif pour l’agriculteur. « Il faut aussi que les assureurs aient la capacité d’évaluer les dégâts précisément pour toutes les cultures ; ce n’est pas le cas aujourd’hui, notamment pour les fourrages », précise Jérôme Volle.
Objectif Pac 2020
Les montants élevés en jeu obligent en outre les assureurs à se « réassurer » auprès des pouvoirs publics qui, bien entendu, demeurent un peu frileux sur ce point. Si plusieurs entreprises, Groupama et le Crédit agricole pour ne pas les citer, ont déjà mis en place un système multirisque, « il est encore perfectible, estime Jérôme Volle. Il faut améliorer le dispositif car c’est ça l’avenir ! Non seulement les aléas sont plus fréquents mais qui plus est, ils touchent désormais toute la France. » L’éventualité de rendre obligatoire la souscription de cette assurance a déjà été imaginé. Le Sénat avait voté contre ce projet en 2009. « Mais pour rendre l’assurance obligatoire, il faut qu’elle soit acceptable financièrement. Ce qui est sûr, c’est que plus on est nombreux, plus le système sera mutualisé et supportable », renchérit Jérôme Volle.
Le regard des responsables professionnels est déjà tourné vers l’après Pac 2020. La FNSEA a donné ses orientations. « Nous voulons dans un premier temps consolider l’existant (100 M € pour les aléas climatiques et 40 M € pour le sanitaire) et ensuite aller plus loin dans la démarche. » Stéphane Le Foll a fait plusieurs propositions en ce sens, notamment de compléter les dispositifs existants par un outil de prise en charge des aléas économiques, du type assurance chiffre d’affaires ou stabilisation des revenus, qui serait néanmoins soumise à la souscription d’une assurance récolte et à la contribution au fonds de mutualisation. La France propose également la mise en place d’une mesure d’épargne de précaution obligatoire : une partie des aides directes reçues par les agriculteurs serait mise de côté durant les bonnes années pour constituer une réserve mobilisable lors des années difficiles. Elle remplacerait la réserve de crise européenne, qui serait alors supprimée.
D. B.