Si le travail d’explication et de quasi justification des filières agricoles et agroalimentaires en direction de l’administration et de la société civile est parfois délicat, il ressort parfois des signes encourageants dans les régions habituées à gérer le manque d’eau.
« Le débat sur les utilisations de l’eau est irrationnel. Nous devons mener des démarches d’explication », a déclaré Dominique Chargé, président de La Coopération agricole, lors d’une rencontre sur le thème « Enjeux de l'eau dans les filières agricoles et agroalimentaires ». « Nous devons faire appel aux données rationnelles et à la science. Le changement climatique nous amène à changer notre approche de la gestion de l’eau. L’eau tombe de façon plus aléatoire. » Preuve en est : pour la dernière saison de recharche des nappes phréatiques (du 1er septembre au 31 mars), un déficit de 12 % par rapport à la normale est enregistré. La sécheresse 2022 a été selon Simon Mittleberger, de la direction de la climatologie à Météo-France : « La deuxième sécheresse la plus longue (dix mois) depuis 1959 ». La température de 2022 deviendrait la normale en 2050 en France métropolitaine, selon le scénario RCP8.5 du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), a-t-il cité.
Des filières ont soif
« En Bretagne, nous sommes en capacité d'irriguer seulement 39 % des surfaces de légumes pour l'industrie, contre 80 % dans les Hauts de France et 100 % en Nouvelle-Aquitaine », a regretté Jean-Claude Orhan, président de l'organisation de prodcuteurs (OP) légumes à la coopérative bretonne Eureden. De nouveaux projets de création de réserves sont dans les cartons dans sa région, juste « pour maintenir la production légumière existante ». Il faut en effet davantage d’eau qu’avant. L’évapotranspiration des plantes a augmenté de 80 millimètres entre les périodes 1959-1988 et 1989-2018 dans la région de Bignan, située dans le Morbihan, a cité Jean-Claude Orhan. Malgré cela, sur 78 projets de réserves étudiées en Bretagne, six seulement ont abouti à des créations effectives de retenues. « Il n'y a aucun projet de réserve en partie basse d'un bassin versant. Car tous les projets doivent être des réserves collinaires hors zones humides, nécessitant obligatoirement des géomembranes. » Les seuls projets possibles sont donc situés sur des hauteurs et coûteux. Le coût de construction d’une réserve avec géomembrane est de 10 à 12 € le m3, contre 3 à 3,5 pour une réserve standard, selon Jean-Claude Orhan. « Si nous ne pouvons pas davantage stocker l’eau, nous risquons de perdre notre production, puis notre outil industriel, et enfin notre savoir-faire », a-t-il conclu.
Respect de principes
Confrontées depuis plus longtemps à la sécheresse estivale, des filières de la moitié sud de la France sont parvenues à marquer des points dans leur travail d’explication. Ainsi, la coopérative de production de noisette Unicoque, située dans le Lot-et-Garonne, a signé une convention avec l'État, les associations de pêche et de protection du milieu aquatique, les experts techniques et les gestionnaires de bassins en avril 2010. Cette convention a abouti à la création de 60 réserves, a rappelé Jean-Luc Reigne, directeur général de la coopérative. Elle engage la coopérative à respecter plusieurs principes, dont la garantie d’une utilisation économe et transparente de l’eau stockée et aucun prélèvement dans le milieu naturel en période estivale. Elle a promis de développer ces vergers « à pression phytosanitaire faible et en implantant 70 % des surfaces en couvert enherbé permanent » sur des surfaces agricoles majoritairement utilisés autrefois pour les cultures céréalières. La production d’Unicoque, qui représente 90 à 95 % de la production française de noisette, devrait passer de 12 000 tonnes en 2022 à 15 000 tonnes en 2025. En grande partie grâce aux retenues d’eau. L’irrigation des noisetiers est indispensable de juin à août pour la qualité de la noisette.
Actuagri