Irrigation sous contrainte, quelle stratégie adopter ?
L’agriculture est sujette aux aléas de prix et de rendements, ce qui engendre des risques financiers sur les exploitations. L’irrigation permet d’atténuer le risque climatique en tirant les rendements vers leur optimum. Si l’irrigation permet d’améliorer le chiffre d’affaires d’une culture, elle a aussi un coût. Il est donc nécessaire de calculer les marges des cultures pour valoriser au mieux la ressource.

Le volume d’eau disponible pour l’irrigation est généralement contingenté pour assurer une répartition de la ressource entre les usagers. Dans les situations où la ressource est limitante, la bonne répartition de l’eau et l’exploitation optimale de la réserve en eau du sol et des pluies sont indispensables pour valoriser au mieux l’irrigation.
Qu’entend-on par ressource limitée ?
L’irrigation en volume limité correspond aux situations pour lesquelles la conduite de l’irrigation ne permet pas de couvrir la totalité des besoins de la culture sur tout ou partie de la campagne d’irrigation.
Les causes peuvent être très variables :
- équipement limitant : le dimensionnement de l’équipement conditionne la capacité d’apport au champ. Il peut devenir limitant quand la demande climatique est forte,
- ressource initiale limitante : le volume attribué n’est pas suffisant pour couvrir l’ensemble des besoins des cultures,
- affectation de la ressource à l’échelle de l’exploitation : compte tenu de la ressource et des conditions météo, il y aura des choix à faire en termes d’assolement et/ou d’attribution des volumes d’eau entre les cultures. Dans ces situations, l’emploi d’un outil de pilotage, sous réserve de disposer des bonnes règles de décision et d’une estimation correcte de la réserve utile (RU), peut permettre d’améliorer significativement la productivité de l’eau.
Quelle stratégie d’irrigation adopter ?
Le raisonnement mis en œuvre dépend du type de restriction auquel la ressource est soumise. Si le volume est limité mais assuré, la stratégie consistera à répartir au mieux l’eau disponible. Si, en revanche, la limitation se traduit par un risque d’arrêt précoce, la stratégie consistera à utiliser l’eau disponible dès le début de la période d’irrigation pour préserver au maximum la réserve en eau du sol. En volume limité, il faut s’appuyer sur un calendrier prévisionnel de répartition des apports d’eau. Dans ce type de situation, en début de campagne, il faut bâtir un calendrier de répartition des apports qui visera à encadrer la période de plus forte sensibilité de la culture. En maïs, il est conseillé d’encadrer la période « floraison femelle, stade limite d’avortement des grains ». Pour valoriser au mieux les pluies éventuelles, le déclenchement est alors légèrement retardé, les doses par apport sont réduites.
Arrêt précoce
Dans cette situation, les apports visent à exploiter la ressource tant qu’elle est disponible en préservant au maximum la réserve en eau du sol mais en conservant la place disponible dans cette réserve pour valoriser au maximum les pluies éventuelles. Le rythme reste assez soutenu jusqu’à l’arrêt d’irrigation.
À l’approche du risque d’interdiction, la tentation peut-être de sur-irriguer pour remplir la RFU et valoriser le volume restant. Attention toutefois aux risques que cela peut engendrer : drainage avec perte de l’eau que le sol ne peut pas stocker ; lixiviation de l’azote avec carence possible au stade post-floraison ; ennoiement avec asphyxie racinaire en sol hydromorphe.
Attribution des volumes entre cultures, quelle est la stratégie payante ?
Sans connaître le climat à venir et l’état des ressources en eau d’irrigation, la répartition entre cultures d’hiver et cultures d’été est une première étape de la décision d’assolement. Ce choix intègre des contraintes de rotation et d’accès à des cultures contractuelles. Le choix d’assolement est un levier d’adaptation face aux risques, climatique et économique. Il s’agit d’une décision stratégique avec une orientation pluriannuelle, différente de choix tactiques comme le pilotage.
Vient ensuite l’organisation de la campagne d’irrigation avec le choix des cultures d’été et de leur conduite, toujours sans connaître le climat de la campagne mais avec une connaissance plus fine de l’accès aux ressources en eau. Selon la sensibilité des cultures, les caractéristiques des parcelles ou du matériel d’irrigation, ces choix auront une incidence directe sur les capacités d’irrigation, comme le choix des dates de semis.
Évaluation économique maïs / blé
Pour illustrer les conséquences économiques des différentes stratégies, Arvalis-Institut du végétal a simulé l’incidence des conduites d’irrigation sur les potentiels des cultures.
Pour cela, quatre scenarii ont été définis et simulés sur une sole irrigable de 100 ha (deux tiers maïs et un tiers blé) en sol de graviers sur la station de Pusignan (Rhône) :
- volume non limitant : dans ce scénario, le volume est non limitant, mais le débit d’équipement de 5 mm/j peut être potentiellement limitant vis-à-vis de la demande climatique ;
- volume limitant : dans ce cas de figure, le volume attribué est connu (ici 160 000 m3 pour 67 ha de maïs et 33 ha de blé). Le producteur est libre de choisir la répartition entre les cultures à l’échelle de l’exploitation ;
- débit limité : l’irrigation est limitée dans le temps (5 jours sur 7). Le tour d’eau est ainsi allongé à 9 jours pour apporter 35 mm, mais le volume n’est pas limitant.
Sur la figure 1, nous pouvons constater les volumes apportés par culture, ainsi que l’évolution des rendements.
- sur le scénario en volume non limitant, on observe des baisses de rendement des maïs sur certaines années (2003, 2010, 2015). Si la ressource n’est pas limitante dans ce scénario, c’est bien le débit d’équipement qui va limiter la capacité d’apport. Ainsi, certaines années, les besoins de la culture ne pourront pas être satisfaits.
À noter également la forte variation des volumes apportés pour couvrir les besoins des cultures chaque année (de 0 à 70 mm/ha pour le blé et de 140 à 350 mm/ha pour le maïs).
- sur les scenarii en volume limitant, on observe que la limitation de ressource ne permet plus d’atteindre l’optimum de rendement 17 années sur 20. Les potentiels sont ainsi dégradés. Les baisses de rendements sont, bien entendu, très liées aux stratégies adoptées. Lorsque la priorité est donnée au maïs, la dégradation des rendements de maïs est contenue entre 10 et 13 t/ha. Pour le blé les rendements oscillent entre 5,4 et 8 t/ha. Lorsque la priorité est donnée au blé, les rendements du blé sont préservés. Le potentiel des maïs est quant à lui fortement pénalisé. Enfin, sur le scénario en débit limité, on constate que l’allongement du tour d’eau ne permet pas d’apporter les volumes nécessaires assez rapidement pour satisfaire les besoins des plantes qui accusent de ce fait des baisses de rendements.
Sur la figure 2, le calcul des marges brute par culture et à l’échelle de la surface irrigable de l’exploitation montre les conséquences économiques des stratégies adoptées. Lorsque la priorité de couverture des besoins par l’irrigation est donnée au blé, les accidents sont plus fréquents sur les maïs et peuvent ponctuellement être lourds de conséquences certaines années. L’analyse de ces marges brutes montre que la contrainte du débit limité (irrigation 5 j/7) est certes pénalisante, mais permet néanmoins de couvrir les besoins de fin de cycle, ce qui sera toujours moins impactant qu’un arrêt précoce. Enfin, en volume limité, prioriser le maïs est une stratégie payante en pluriannuel.
Figure 1 et 2 à téléchargez en cliquant ici
Simulations réalisées sur la base d’une exploitation type de 160 ha de SAU (240 €/ha d’aides découplées)
- 100 ha irrigables dont 67 ha de maïs et 33 ha de blé
- Station météo à Pusignan (Rhône)
- Sol homogène sur l’ensemble de l’exploitation (graviers)
- Débit d’équipement 5 mm/j (35 mm tous les 7 jours)
- Maïs : variété tardive, semis 10 avril, RU/RFU = 130/65, irrigation de 10 feuilles à humidité à 45 %, rendement max sans stress hydrique 130 q/ha
- Blé tendre : variété arezzo, semis 20 octobre, RU/RFU = 140/70, irrigation de 2 nœuds à grain laiteux, rendement max sans stress hydrique : 80 q/ha