Pastoralisme
Vente de l’alpage de Jiboui : deux mondes se comprennent

Grâce à une négociation bien menée et une compréhension mutuelle, l’alpage de Jiboui gardera pour au moins vingt ans une vocation agropastorale. Ce n’était pourtant pas gagné lorsque la montagne fut mise à la vente. Récit.

Vente de l’alpage de Jiboui : deux mondes se comprennent
Près de Châtillon-en-Diois, la montagne de Belle Motte accueille l’alpage de Jiboui.

Il y a de cela quelques années, la mise en vente sur le site du Bon Coin de l’alpage de Jiboui, situé près de Châtillon-en Diois, avait suscité une vive émotion. Faute d’acquéreur à même de financer ce bien proposé à plus d’un million d’euros, les propriétaires - une indivision familiale de cinq membres - confient en 2021 un mandat à une agence immobilière spécialisée dans les grands domaines. Quelques mois plus tard, en février 2022, une notification de vente arrive à la Safer : une SCI domiciliée à Paris se porte acquéreur de l’alpage de 370 hectares (dont 270 de bois pâturables). Le compte à rebours des deux mois avant la signature de l’acte notarié est alors lancé.

Un groupement en fragilité

L’inquiétude des sept éleveurs du groupement pastoral de Jabouit, utilisateurs de l’alpage de Jiboui depuis près de vingt ans, redouble alors d’intensité. Ils décident de solliciter la Safer. De cette rencontre, à laquelle participent aussi des élus locaux, il ressort que la situation du groupement est très fragile. D’une part parce que la Safer ne peut préempter sur le bien mis en vente, faute d’acquéreurs y compris institutionnels (communauté de communes du Diois, Département) et ce en raison du prix très élevé de la propriété. D’autre part parce que la convention pluriannuelle de pâturage dont bénéficie le groupement pastoral a été signée en 2003, soit deux ans avant la mise en place de la loi relative au développement des territoires ruraux*. Ainsi, bien que cette convention établie pour six ans ait été renouvelée par tacite reconduction, rien ne peut empêcher le nouvel acquéreur de donner congés sans délai au groupement pastoral.

La négociation lancée

Le 11 août sur l’estive de Jiboui, Laetitia Puyfaucher, nouvelle propriétaire de l’alpage de Jiboui et de la forêt alentour, et son amie Delphine De Sahuguet d'Amarzit ont rencontré les membres du groupement pastoral du Jabouit ainsi que Léo Girard (président de l’association foncière pastorale), Anthony Navon et Aline Guilhot (bergers), Eric Vanoni et Monique Orand (maire de Châtillon-en-Diois et première adjointe), Agnès Jaubert (conseillère départementale). La rencontre était organisée par Marc Fauriel et Damien Bertrand (président et directeur départemental de la Safer) ainsi que Philippe Cahn et Dominique Narboux (président et directrice de l’Adem).

Eleveurs et élus s’inquiètent d’une probable précarisation - voire d’un arrêt - de l’activité agropastorale sur cet alpage. Une solution est à trouver, mais laquelle ? Tout le monde est alors dans l’attente jusqu’au jour où, en mars 2022, le directeur Drôme de la Safer Auvergne-Rhône-Alpes, Damien Bertrand, rencontre le premier vice-président du conseil départemental, Franck Soulignac, au Salon international de l’agriculture (SIA), à Paris. « Je lui ai expliqué le dossier et les enjeux pour le groupement pastoral et plus largement pour tout le territoire alentour », confie Damien Bertrand. Franck Soulignac autorise alors la Safer à se prévaloir, dans les démarches auprès du notaire et de l’acquéreur, d’un soutien total du conseil départemental qui pourra aller jusqu’à une éventuelle préemption. Dès lors, la négociation entre la Safer et le notaire peut démarrer.

Ce dernier, lors d’un premier contact, se montre très surpris par l’engagement de la Safer et du Département. « Notre objectif consistait à accompagner l’acquéreur dans son projet afin d’éviter de préempter et de garantir sur une longue durée l’exploitation du site par le groupement pastoral du Jabouit, souligne Damien Bertrand. Nous avons aussi expliqué les enjeux de ce dossier pour tout un territoire et non pour un seul groupe d’agriculteurs. » En effet, la montagne de Belle Motte fait partie d’une association foncière pastorale englobant plusieurs groupements pastoraux avec la présence d’un berger salarié.

Un cahier des charges de vingt ans

Quelques jours plus tard, le notaire de l’acquéreur appelle la Safer pour lui dire que la proposition est validée. La nouvelle propriétaire, Laetitia Puyfaucher (voir encadré), accepte le cahier des charges qui prévoit de louer l’alpage au groupement pastoral de Jabouit (ou à un autre groupement en cas de cessation) pendant vingt ans. Toutefois, Laetitia Puyfaucher s’inquiète sur un point. Lorsqu’elle a visité l’alpage, elle a trouvé que sur certains secteurs, « l’herbe était très rase. N’y aurait-il pas trop d’animaux là-haut ? »

Pour la rassurer, la Safer propose de faire réaliser une expertise sur la conduite et la gestion de l’estive. L’Association départementale d’économie montagnarde (Adem 26) est alors sollicitée et le 11 août dernier, tous les acteurs de ce dossier étaient réunis sur l’alpage pour le lancement de l’étude. Autour de Laetitia Puyfaucher, « tout le monde était là, ou presque, en plein mois d’août, se rappelle le directeur départemental de la Safer. Certains étaient dubitatifs, ils n’avaient pas encore le cœur à la fête, ils voulaient des garanties. »

« Respect et intelligence »

Dominique Narboux (directrice de l’Adem 26) et Damien Bertrand (directeur départemental de la Safer Auvergne-Rhône-Alpes) lors de la présentation de l’activité pastorale de l’alpage de Jiboui - Col de Menée.

Lors de cette rencontre, le président et le directeur de la Safer ont apporté toutes les précisions sur la portée et la durée des engagements souscrits dans le cahier des charges (voir encadré). Quant aux président et à la directrice de l’Adem, ils ont présenté à Laetitia Puyfaucher l’histoire très riche du pastoralisme sur ce secteur. Ont aussi été évoqués le loup, l’eau, la chasse… « Laetitia Puyfaucher a fait preuve d’une très grande curiosité et d’une ouverture d’esprit dans ces discussions, confie Damien Bertrand. Elle a montré qu’elle n’avait pas la volonté de retirer la montagne au groupement pastoral. C’est une personne ouverte, facilitatrice dans la négociation. Elle a écouté et compris la réalité des éleveurs. » Comme l’écrira plus tard Betty Lagier, éleveuse du groupement pastoral de Jabouit, « deux mondes se sont rencontrés avec respect et intelligence ».

Christophe Ledoux

* La loi DTR de 2005 prévoit un renouvellement des conventions de pâturage par tacite reconduction sur la durée initiale des conventions.

Le cahier des charges Safer c’est quoi ?

Lors de toute cession, il est inclus dans l’acte notarié un cahier des charges (engagements) qui comprend :

- un pacte de préférence au profit de la Safer ;

- l’interdiction de revente, de morceler, d’apport en société ;

- l’obligation d’exploiter personnellement le bien ou de louer le bien à un agriculteur désigné par la Safer ;

- en cas de non-respect des engagements par l’attributaire, la Safer pourra annuler la cession.

« Rendre l’écosystème plus résilient »

Questions à Laetitia Puyfaucher, nouvelle propriétaire de l’alpage de Jiboui, situé sur la montagne de Belle Motte.

Pourquoi avez-vous acheté l’alpage de Jiboui ?

Laetitia Puyfaucher : « J’habite Paris, suis passionnée d’écologie et souhaite confronter le monde des idées, auquel j’appartiens, à celui des réalités du terrain. La lecture du livre “Manière d’être vivant”, de Baptiste Morizot, a été déterminante dans l’achat de la forêt de Belle Motte. Dans son ouvrage, l’auteur invite à repenser nos relations avec tous les êtres vivants. Et une partie du récit se passe dans le Vercors où l’auteur piste les loups. En tombant par hasard sur l’annonce du bien mis en vente, en 2020, il était spécifié qu’il se situe dans le Vercors. J’ai donc immédiatement voulu le visiter. »

Quelles ont été vos impressions lors de cette première visite ?

L.P. : « La vente a pris deux années au cours desquelles je me suis rendu plusieurs fois sur place. C’est un endroit magnifique. Cette région du Haut-Diois est très émouvante. Pour ne rien vous cacher, je craignais que ce soit un endroit avec beaucoup de randonneurs et peu de gens du cru. Grâce à la Safer, j’ai pu découvrir une vie locale plus riche que je ne l’imaginais. C’est un endroit nourri d’une vie sociale avec des gens passionnants et de l’entraide. »

Que comptez-vous faire de cet alpage et de la forêt qui l’entoure ?

L.P. : « Mon projet est de laisser faire ou d’aider, si cela est possible, à rendre l’écosystème plus résilient. Je n’ai pas eu de problème à accepter le cahier des charges proposé par la Safer. Désormais, je suis dans l’attente de l’étude de l’Adem et je verrai alors s’il faut ou non la compléter. »

Une dernière question plus personnelle : qui êtes-vous ?

L.P. : « Il y a deux ans, j’ai revendu l’entreprise de communication que j’avais créée il y a vingt-deux ans. Aujourd’hui, je consacre mon temps à œuvrer bénévolement dans la recherche de solutions d’intérêt général, notamment énergétique. »

Propos recueillis par C. Ledoux