ÉNERGIE
À quoi rouleront les tracteurs demain ?

La question devient plus pressante avec la flambée actuelle des prix des carburants : à quoi rouleront les tracteurs demain ? Électricité, hydrogène, méthane de ferme... tous les constructeurs explorent des alternatives au diesel. Mais de nombreux défis restent posés, en termes de coût, d’autonomie et d’approvisionnement. Tour d’horizon.

À quoi rouleront les tracteurs demain ?
John Deere propose l’électrification partielle de sa série 8, qui compte parmi les plus gros tracteurs de la marque. ©John Deere

Verra-t-on un jour des tracteurs chinois dans nos champs ? L’hypothèse est crédible, tant l’émergence d’alternatives au diesel peut changer la donne dans le machinisme. Électricité, hydrogène, méthane... les constructeurs explorent de nouvelles pistes de motorisation. Reste d’importants défis à relever, surtout en termes de coût, d’autonomie et d’approvisionnement. « L’usage du matériel est particulier en agriculture », souligne Guillaume Bocquet, responsable du pôle technique d’Axema (constructeurs). « Une première limite vient de l’approvisionnement en carburant alternatif : il manque des stations de méthane et d’hydrogène. La distance pour faire le plein est également un souci. Enfin, les débits de chantiers sont importants. Un tracteur a besoin de fortes puissances plusieurs heures d’affilée. » La solution électrique bute principalement sur l’autonomie. Dans un rapport diffusé en avril, la Cema (association européenne du machinisme agricole) pose les données du problème. Un tracteur moyen équipé d’un moteur diesel a besoin d’une réserve de 400 litres de carburant. Pour son équivalent électrique, la batterie lithium-ion pèse 9 à 10 tonnes et représente un volume de 5 000 litres. Cela pour exécuter les mêmes huit heures de travail. Conclusion de la Cema : l’avenir du 100 % électrique réside plus dans les petites machines, restant à proximité de la ferme pour une question de recharge, ou destinées au travail en intérieur. « Des tracteurs plus gros dépasseraient les limites de poids acceptables et créeraient par la suite un compactage du sol grandement néfaste et non-durable », indique le rapport. Les heures de recharge constituent un autre obstacle.

L’électrification

Certains constructeurs misent d’abord sur l’hybride. L’allemand Claas l’imagine comme une étape intermédiaire à l’horizon 2028. « On étudie des concepts, pour anticiper le scénario d’une norme antipollution drastique », explique Simon Loquais, directeur de la stratégie sur les tracteurs. « L’assistance électrique va permettre de réduire la consommation du moteur diesel avant le lancement du 100 % électrique, dont la technologie n’est pas assez mature. » Plus en avance, l’américain John Deere propose déjà l’électrification partielle de sa série 8, qui compte parmi les plus gros tracteurs de la marque. L’idée est d’équiper les engins supérieurs à 400 chevaux d’une transmission dont la partie hydraulique serait remplacée par de l’électrique, le moteur restant quant à lui thermique. « Un avantage est le gain de performance », souligne le directeur marketing Julien Saint-Laurent, annonçant les premières livraisons au printemps 2023. Cette technologie, baptisée eAutoPower, permet de répartir la puissance entre le tracteur et l’outil attelé. John Deere l’a d’ailleurs développée en partenariat avec Joskin, spécialiste du transport et de l’épandage. Concrètement, la boîte électrique alimente deux essieux supplémentaires et la puissance du tracteur est partiellement transférée à l’outil. Une économie de 5 % en consommation d’énergie est attendue. Si John Deere n’annonce « pas de surcoût important » à l’achat du tracteur, la facture est plus salée côté outils qui doivent être compatibles. Leur développement va par ailleurs conditionner le succès de cette première transmission électrique. « Peu d’équipements sont aujourd’hui compatibles », admet Julien Saint-Laurent.

Un tracteur au gaz de ferme

Faire rouler le tracteur avec du carburant produit sur la ferme, c’est la possibilité offerte par le gaz. New Holland s’y intéresse activement. L’italien est « le seul constructeur à produire en série un tracteur agricole non-diesel » qui fonctionne au GNV (gaz naturel pour véhicules). Une dizaine d’exemplaires ont été livrés en France au printemps et ils sont « une vingtaine en service depuis la rentrée », indique le responsable marketing Nicolas Morel. Le constructeur s’adresse notamment aux agriculteurs qui possèdent une unité de méthanisation. Après une étape de compression, leur biogaz sert de carburant. Encore faut-il disposer d’une station de recharge. L’investissement représente 50 000 à 60 000 euros pour de l’autoconsommation destinée à un ou deux tracteurs, selon lui. Cela peut aller jusqu’à 1 million d’euros dans le cas d’une station publique commercialisant le biogaz. New Holland parle aussi d’un surcoût de 20 % à l’achat du tracteur. Mais l’autonomie demeure le gros désavantage par rapport au gasoil. « Il faut un réservoir quatre fois plus gros, soit 800 litres pour une journée de travail », reconnaît Nicolas Morel. Au mieux, le constructeur propose quatre heures et demie d’autonomie avec son tracteur au gaz, contre un idéal de huit heures à pleine charge. Un réservoir additionnel de 270 litres est alors mis à l’avant de la machine, en plus des 190 litres sur la version standard. Le tracteur T6 Methane Power affiche par ailleurs des niveaux de performances, longévité et intervalles d’entretien identiques à ceux du diesel. New Holland promet en plus une économie d’environ 20 % sur la facture de carburant.

L’hydrogène entre en scène

Le britannique JCB investit quant à lui massivement dans l’hydrogène : pas moins de 110 millions de livres sterling (environ 125 millions d’euros) et une équipe de 150 ingénieurs sont mobilisés sur un moteur thermique reprenant les bases du diesel. Les premiers matériels fonctionnant à l’hydrogène - un tractopelle et un chargeur télescopique - doivent être lancés fin 2022. « C’est complètement réplicable aux tracteurs agricoles », affirme le directeur général Philippe Girard. « La technologie est connue. De l’hydrogène mélangé à de l’air est injecté dans une chambre de combustion pour faire tourner le moteur. En termes d’architecture, de poids, rien ne change par rapport au diesel. La seule différence est la couleur de nos machines : traditionnellement jaune, elle passe au vert et blanc. » Le prix est cependant plus élevé, de l’ordre de 10 % pour le moteur à hydrogène. JCB annonce par ailleurs une autonomie d’une journée de travail. Quant à la recharge, pas d’inquiétude chez le constructeur. « La France va très vite produire de l’hydrogène vert », estime Philippe Girard, notant au passage la contribution possible des agriculteurs grâce aux panneaux solaires et à la méthanisation.

La pile à combustible doit faire ses preuves

L’intérêt porté à l’hydrogène vient aussi d’une autre technologie prometteuse : la pile à combustible. « Pour les tracteurs de taille moyenne à grande, la pile à combustible semble intéressante, car sa durée de fonctionnement et sa densité d’énergie sont meilleures par rapport à la batterie électrique », avance Gaël Guégan, ingénieur de veille stratégique au Cetim (institut technologique). New Holland avait d’ailleurs fait sensation en 2009 avec un concept de tracteur équipé d’une pile à combustible. Problème, le coût d’acquisition est trois plus élevé qu’en version diesel. La durée de vie reste limitée, autour de 5 000 heures. Des obstacles qui semblent aujourd’hui difficiles à surmonter. « Cette technologie présente encore des défis à relever en termes d’intégration (refroidissement et conditionnement), d’infrastructure de ravitaillement et de coût total de possession (incluant prix d’achat et frais d’utilisation) », souligne Gaël Guégan.
J-C.D. 

BioGNV  : la filière demande l’aide de l’État
Le New Holland T6 Methane Power est alimenté à 100 % au méthane. ©New Holland

BioGNV  : la filière demande l’aide de l’État

En raison de la flambée du prix du bioGNV (biogaz naturel pour véhicules), réglementairement corrélé au prix du gaz, la plupart des stations et des flottes de camions de la filière réduisent leur activité, relate l’association française du GNV (AFGNV). Le plus souvent liés à la grande distribution, les transporteurs qui s’étaient équipés de véhicules bioGNV privilégient d’autres carburants devenus comparativement moins chers comme le diesel. Accompagnée des collectivités ayant opté pour des flottes de bus et autocars roulant au bioGNV, la filière demande à l’État d’intervenir en étendant le bouclier tarifaire appliqué aux particuliers et aux entreprises consommant du bioGNV, et en décorrélant les prix du biométhane et du GNV. En France, le nombre de stations bioGNV doit passer de 250 fin 2021 à 327 fin 2022, selon l’AFGNV. L’association des agriculteurs méthaniseurs de France veut créer 500 stations à la ferme d’ici 2025.