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EGALIM 2

Rémunération des agriculteurs : une loi mais encore beaucoup d’interrogations

Le 17 janvier, le député Grégory Besson-Moreau, qui a porté la loi du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs [dite également loi Egalim 2], est venu échanger avec des responsables agricoles drômois sur sa mise en œuvre.

Rémunération des agriculteurs : une loi mais encore beaucoup d’interrogations
Le député Grégory Besson-Moreau, ici avec la députée Célia de Lavergne, a échangé avec les responsables agricoles drômois, dont Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d’agriculture. ©AD26 -S.S.

Trois mois presque jour pour jour après la promulgation de la loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs, une quinzaine de responsables professionnels agricoles drômois étaient invités à rencontrer le député Grégory Besson-Moreau, rapporteur de ce texte. Parmi eux, des représentants de la chambre d’agriculture, de la FDSEA, des Jeunes Agriculteurs, des filières caprines, viticoles, arboricoles ou encore de la fédération régionale de l’agriculture biologique… La rencontre, organisée par Célia de Lavergne, députée de la troisième circonscription de la Drôme, a eu lieu à Montoison. Elle avait pour objectif d’échanger sur la mise en œuvre de ces mesures et sur leur éventuelle adaptation aux réalités du terrain.

Coût des matières non négociable

Pour rappel, la loi du 18 octobre 2021 introduit de nouveaux dispositifs de régulation et de transparence au profit d’une meilleure rémunération des agriculteurs français. Parmi eux : les contrats écrits et pluriannuels obligatoires entre le producteur et son premier acheteur, notamment en lait et viande. Ceux-ci doivent contenir une clause de révision automatique des prix afin que le producteur puisse répercuter les hausses des coûts de production. La loi prévoit également de rendre non négociable, entre les industriels et les distributeurs, la part du prix correspondant au coût des matières premières agricoles. 

Prenant l’exemple de la filière bovin viande, Grégory Besson-Moreau a illustré ce qu’apportent ces contrats : « Jusqu’à présent, c’était celui qui achetait qui faisait la facture. Aujourd’hui, on peut continuer de se taper dans la main mais on signe au bas de la page et on dispose d’un indicateur de coût de production ». En résumé, si le prix du tourteau augmente, le prix d’achat de la bête sera revu à la hausse. 

Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d’agriculture de la Drôme, a souligné que le monde agricole a mis beaucoup d’espoir dans cette loi Egalim 2. « Nous avons besoin d’une augmentation des prix à la production mais il ne faut pas que chaque fois que l’on récupère un centime sur nos produits cela fasse plus dix centimes pour le consommateur », a-t-il avertit. Une crainte que le député a souhaité dissiper. Pour lui, cette loi a créé « un canal direct entre l’agriculteur et le consommateur », permettant à ce dernier, s’il met 2 ou 3 centimes de plus sur un produit d’être certain que ça revient au producteur. 

Inquiétude sur les outils coopératifs

Parmi les autres sujets évoqués lors de cette rencontre, les négociations commerciales en cours [jusqu’au 1er mars, ndlr] entre les industriels et les distributeurs. Bien que désormais encadrées par la loi Egalim 2, celles-ci semblent être toujours aussi acharnées. Si les distributeurs respectent l’obligation faite par la loi de sanctuariser le prix des matières premières, pas question pour eux de prendre en compte la hausse des coûts de production subie par les transformateurs qui se voient donc pris en étau. « Il y a nécessité de travailler aussi sur un index du coût de production industriel », a reconnu Grégory Besson-Moreau. Il précise que la loi promulguée en octobre 2021 répondait à l’exigence « d’aller vite » pour que ce texte s’applique dès les négociations commerciales 2022 et protège la rémunération des producteurs. Au cours de cette réunion, on relevait cependant une certaine inquiétude quant aux outils coopératifs, notamment en lait de chèvre, qui pourraient être malmenés dans ce nouveau contexte. 

Autre sujet qui s’est invité dans les échanges : la saturation du marché pour certaines filières bio. « Comment va-t-on prendre en compte les coûts de production sur le bio alors qu’en termes de prix personne ne veut du bio ? », a alerté un des producteurs présents. « Nous avons toujours dit que nous étions pour le développement du bio mais c’est le marché qui doit faire le développement de la production et non les aides », a renchéri Jean-Pierre Royannez. La députée Célia de Lavergne s’est voulu rassurante, estimant selon les analyses de l’Agence bio qu’il s’agit d’une baisse conjoncturelle. « Avant de se demander si on est allé trop loin sur la bio, attendons de voir si cette baisse est durable », a-t-elle avancé. 

Seuil de revente à perte

Au cœur de cette rencontre, il a aussi été question des fruits et légumes frais. Un secteur dont Bruno Darnaud, président de l’AOP pêches et abricots de France, a rappelé qu’il était « plutôt réservé sur cette loi ». « La filière n’a pas souhaité de contractualisation obligatoire mais nous ne nous opposons pas à une contractualisation volontaire », a-t-il redit. Dans les jours à venir, il sera aussi question sur les fruits et légumes du seuil de revente à perte. La loi prévoit, à titre expérimental, de sortir un ou plusieurs produits (à définir parmi pomme, carotte, fraise, melon ou asperge) du relèvement du seuil de revente à perte introduit par la précédente loi Egalim.

S’adressant à la filière viticole, Grégory Besson-Moreau a regretté que celle-ci ne soit pas rentrée dans le cadre de la contractualisation. Il a invité les responsables présents à reprendre le travail « en segmentant s’il le faut » les produits. 

Au vu des multiples interrogations et situations qui ont été abordées ce 17 janvier, il reste du pain sur la planche, tant pour faire appliquer cette loi que pour en décliner les contours qui répondront aux spécificités des filières. Le tout, en prenant en compte la flambée des coûts de production, à la fois chez les producteurs mais aussi chez les transformateurs. Un point a tout de même semblé faire l’unanimité : la défense de l’origine France. La loi du 18 octobre 2021 interdit désormais de faire figurer un drapeau français, une carte de France ou tout symbole représentatif de la France sur les emballages alimentaires lorsque les ingrédients primaires ne sont pas d’origine française. 

Sophie Sabot

Coûts de production / Eric Barnier, éleveur caprin, témoigne

Coûts de production / Eric Barnier, éleveur caprin, témoigne
Eric Barnier a témoigné de l'explosion des charges en élevage caprin. Il était accompagné de Cécile Contessi, salariée de l’exploitation, qui pourrait prendre la relève lors du départ en retraite d’Eric Barnier en décembre prochain. © Lou-Ann Aubin

Après Montoison, le député Grégory Besson-Moreau s’est rendu à Aouste-sur-Sye, sur l’exploitation d’Eric Barnier. L’éleveur caprin (280 chèvres, 230 000 litres de lait en AOP Picodon livrés à Eurial, 50 ha de SAU destinés à l’alimentation du troupeau) a livré une démonstration implacable de l’engrenage dans lequel sont pris les producteurs avec l’augmentation des coûts de production. Chiffres 2019 et 2021 à l’appui, il a décortiqué ses postes de charges : +20 % sur les engrais (+79 % sur le seul ammonitrate), +6 % sur les semences et plants, +17 % sur la poudre de lait pour les chevreaux, +23 % sur le maïs pour l’alimentation des chèvres, +26 % sur le carburant, sans oublier le coût du matériel, de l’entretien, des réparations… En face, en comparant ces deux années, le prix du lait a connu lui une augmentation de 8 %, celui des chevreaux de boucherie de 6,8 %.

Autant dire que le compte n’y est pas pour garantir la protection de la rémunération des agriculteurs comme le prévoit la loi du 18 octobre 2021. « La seule chose dont je suis sûr, c’est qu’avec l’augmentation des charges [qui se poursuit en 2022, ndlr], mon revenu va baisser », affirme Eric Barnier. Selon la Fédération nationale des éleveurs de chèvres (Fnec, lire notre édition du 13 janvier), il faudrait une revalorisation du prix du lait d’au moins 60 euros/1 000 l pour couvrir cette hausse des charges. Dans un contexte aussi tendu, comment va s’appliquer la clause de révision des prix répercutant les coûts de production et avec quelles conséquences pour les entreprises de la transformation ? Eric Barnier craint que les outils coopératifs ne soient mis à mal. Ce serait un coup dur pour la filière qui s’est pourtant engagée dès la loi Egalim de 2018 pour contractualiser et valoriser les prix.

S.Sabot