Cosmétique
Le grand retour du savon artisanal

Les savonneries artisanales se multiplient en France et dans la Drôme. Leur spécialité : la saponification à froid. Une technique qui nécessite passion et savoir-faire. Rencontre avec l’un des précurseurs drômois dans ce domaine, Franck Peiffer.

Le grand retour du savon artisanal
Les savons de la marque Gaiia sont élaborés à partir d’huiles végétales issues de l’agriculture biologique. Ils bénéficient d’une certification par l’organisme Cosmécert dans le cadre du référentiel européen Cosmos Organic.

Certains ne jurent que par lui pour ses propriétés cosmétiques. D’autres y viennent d’abord pour des questions environnementales, soucieux de limiter les emballages et d’utiliser des matières naturelles. Quelles que soient les motivations, le savon artisanal séduit de plus en plus de consommateurs. Preuve en est le nombre de nouveaux savonniers qui se lancent dans l’aventure. « En 2009, quand j’ai commencé mon activité, nous étions moins de dix savonniers à froid en France. Aujourd’hui, nous sommes 450 », affirme Franck Peiffer, co-fondateur avec Philippe Maradan de la savonnerie Gaiia. L’entreprise artisanale, qui compte quatre salariés en plus des deux fondateurs, s’est installée depuis 2018 à Montélier, entre Valence et Romans. Elle fabrique 140 000 savons par an. Si internet a longtemps été le seul canal de vente pour l’entreprise, depuis cinq ans, la demande s’est développée du côté des magasins bio ou épiceries vracs, mais aussi des pharmacies. Elles sont trois cents aujourd’hui à commercialiser des savons Gaiia.

Philippe Maradan (à g.) et Franck Peiffer, co-fondateurs de la savonnerie Gaiia, qui a rejoint ses nouveaux locaux à Montélier sur la ZA des Tilleuls en 2018.

Alors pourquoi ces savons à froid attirent autant de nouveaux adeptes, tant du côté de ceux qui les fabriquent que de ceux qui les utilisent ? Peut-être parce qu’il s’agit tout simplement d’un produit essentiel. « La tradition du savonnier artisanal s’était perdue en France. Mais elle a perduré dans de nombreux pays anglo-saxons où le savonnier a toujours fait parti du tissu local, comme le boulanger ou l’ébéniste », explique Franck Peiffer. La fabrication artisanale du savon est une histoire presque aussi longue que celle du fromage, entre 4 et 5 000 ans* pour le premier, 7 000 pour le second. Autant dire que les techniques et recettes utilisées sont aussi variées pour l’un que pour l’autre.

La touche du terroir

« La saponification est un processus très simple qui consiste à mettre en présence un corps gras, d’origine animale ou végétale, une base alcaline - la soude - et de d’eau. On obtient ainsi du savon et de la glycérine », résume l’artisan. La particularité du savon artisanal à froid est de conserver les deux, là où les techniques industrielles séparent la glycérine pour l’utiliser comme hydratant dans les crèmes. Si le processus est présenté comme « simple », il exige un savoir-faire particulier. Le savonnier va développer ses propres recettes pour créer un savon ou une gamme de savons répondant à des attentes bien spécifiques de ses clients. « Chez Gaiia, nous utilisons l’huile d’olive, l’huile de coco, le beurre de karité, l’huile de tournesol, l’huile de ricin, l’huile de chanvre et le beurre de cacao, détaille son fondateur. Chacune de ces huiles a des pouvoirs différents : nettoyant, moussant, émollient, onctueux… Par exemple, l’huile d’olive n’a pas de pouvoir moussant, c’est pourquoi on ajoute de l’huile de coco lorsqu’on veut obtenir un produit qui mousse. » Chaque savonnier va apporter sa patte, voire son terroir, en utilisant des huiles locales, comme la noix, le lin, le colza. Celles-ci restent cependant minoritaires. Fragiles, elles peuvent provoquer des phénomènes de rancissement du savon. Certains savonniers du Sud-Ouest utilisent également des matières grasses animales comme le saindoux ou la graisse de canard, signale Franck Peiffer.

Une fois le choix des huiles établi pour chacun des savons – chez Gaiia, la gamme en compte une vingtaine -, l’artisan peut ajouter à sa recette des huiles essentielles et des adjuvants : ocre, rhassoul ou autres argiles par exemple. Objectif, colorer mais aussi répondre à un besoin de la peau.

Un mois ou plus d’affinage

Commence alors la fabrication. Toujours en petite quantité pour conserver tous les bienfaits du savon à froid. « Nous fabriquons au maximum 300 à 500 savons à la fois », révèle l’artisan. Chez Gaiia, tout se passe dans une cuve de cinquante litres qui accueille le mélange d’huiles, la soude et l’eau (selon les recettes, environ 7 litres d’eau pour 27 kg d’huiles). La préparation est travaillée avec un mixeur, puis à la main. Le mélange devient alors une crème. Peuvent alors être ajoutés les colorants naturels. Les huiles essentielles n’arrivent qu’en toute fin de mélange, juste avant de couler la préparation dans un grand moule. « Chaque savonnier a sa propre appréciation du moment où cela doit se faire », confie Franck Peiffer. La réaction de saponification va se poursuivre dans le moule durant trois à quatre jours. L’artisan obtiendra alors un bloc de 35 kg, qu’il va découper, au fil, en barres qui reposeront encore une journée, avant d’être détaillées en savons.

Puis, direction la zone de cure, sorte de salle d’affinage, qui va permettre à l’eau de s’échapper et au savon de terminer sa maturation. Cette cure durera un mois pour les savons de 100 grammes et jusqu’à quatre mois pour les cubes de 250 grammes de savon de Marseille. Une fois sortis de l’affinage, les savons verront leurs angles arrondis pour plus de douceur.

« La fabrication d’un savon à froid est toujours réalisée manuellement. La plupart des savonniers travaillent seuls. Nous ne sommes qu’une dizaine d’entreprises en France de la taille de Gaiia », rappelle son dirigeant, qui est l’un des fondateurs de l’association nationale des nouveaux savonniers. Celle-ci compte 250 adhérents qui peuvent être repérés par le logo « Saponification à froid » apposé sur leur produit.

Sophie Sabot

* Les premières traces de savon à base de graisse animale ont été retrouvées en Mésopotamie. Pour le fromage, il faut se tourner du côté de la Pologne pour identifier les premiers témoignages archéologiques de sa fabrication. 

Qu’est ce qu’un savon surgras ?

Les peaux fragiles se voient souvent conseiller un savon surgras. Mais quèsaco ? Comment est-il fabriqué ? « Ce savon contient des huiles qui restent en l’état et ne sont pas saponifiées. Nous mettons dans la recette plus d’huile que la soude ne peut en transformer. Pour cela, il y a deux façons de procéder : soit la quantité de surgras est calculée au départ dans la formule, soit l’huile est ajoutée en fin de processus avant de couler le savon. On peut utiliser l’une ou l’autre des méthodes, soit les deux en même temps selon le résultat recherché. Par exemple, pour des huiles précieuses comme le jojoba ou l’argan, nous les ajouterons plutôt en fin de processus pour les préserver au maximum », explique Franck Peiffer.

En Drôme

Une dizaine de savonniers drômois adhèrent à l’association des nouveaux savonniers : Franck Peiffer et Philippe Maradan (Gaiia) à Montélier, Nathalie Padee à Eurre, Barbara Chabut (Bulles et Formules) à Bourg-lès-Valence, Caroline Deceglie (savonnerie Kolibri) à Valence, Mélanie Mongnot (savonnerie Toscadine) à La Touche, Lou Bonvallet (Les bulles de Lou) à Aouste-sur-Sye, Sandrine Cammilleri (Po Plume) à Montélimar, Nathalie Descurieux (Rebelle de Nature) à Eurre, Sonia Herrera (savonnerie Calleis) à Marsaz.

En savoir plus : saponification.org