La filière forêt-bois se cherche face au changement climatique
Températures excessives, manque d’eau, la forêt souffre du changement climatique. L’été 2022 a aussi montré sa vulnérabilité face aux incendies. C’est dans ce contexte alarmant que se sont déroulées, début octobre, les 5e assises de la filière forêt-bois organisées par les conseils départementaux de la Drôme et de l’Ardèche.

Avec 658 000 ha de forêts, 339 000 en Drôme et 319 000 en Ardèche, ces deux départements représentent à eux seuls un quart des surfaces boisées de la région Auvergne-Rhône-Alpes (près de 2,6 millions d’ha – source Fibois). Plus de 1 800 entreprises, scieries, seconde transformation, bois énergie y emploient plus de 4 000 salariés. Le chiffre d’affaires généré par la filière forêt-bois en Drôme-Ardèche avoisine les 450 millions d’euros. « Nos forêts et filières locales sont à la croisée de nombreux enjeux, à la fois environnementaux, énergétiques, économiques et sociétaux », rappellent Marie-Pierre Mouton à la tête du Département de la Drôme et Olivier Amrane, de celui de l’Ardèche.
Pourtant, la forêt souffre. Températures excessives, manque d’eau, incendies de plus en plus spectaculaires... l’année 2022 a confirmé, si besoin en était, que le changement climatique est à l’œuvre. « L’avenir de certains peuplements est remis en question et, avec lui, celui des filières de transformation qui en dépendent », redoutent les deux collectivités départementales. C’est pourquoi elles ont souhaité axer les 5e assises Drôme Ardèche de la filière forêt-bois (événement qu’elles organisent conjointement depuis 2008) sur ces questions. D’autant que l’une et l’autre préparent leur prochain « plan bois » et qu’elles souhaitent accompagner au mieux la filière, « sur le long terme, dans le cadre d’un développement durable et non avec des solutions pansements », affirme Marie-Pierre Mouton.
La forêt de plus en plus agressée
Jérôme Gaudry, adjoint au chef du pôle santé des forêts de la Draaf Aura, a confirmé que « les forêts subissent de plus en plus d’agressions, climatiques et biotiques ». Selon lui, « les enchainements de stress sont parfois inédits et il est difficile d’en voir les conséquences ». Sécheresse et gel touchent les forêts en Drôme et Ardèche mais aussi d’autres problèmes sanitaires : processionnaire et sphaeropsis sur pin, coroebus sur chêne, chancre et cynips sur châtaignier, pyrale du buis…
Alain Fonton, directeur de l’agence territoriale 26-07 de l’office national des forêts (ONF), insiste : « Nous avons connu le temps long en forêt. J’ai bien peur que cette stabilité ne soit finie. Nous entrons dans une période d’incertitude et de choix ». D’où une crainte exprimée par Patrick Desormeaux, dirigeant des établissements Beaume en Ardèche et vice-président de l’interprofession Fibois 07-26 : « Nous avons en Ardèche et en Drôme des forêts de montagne, plutôt destinées au bois de construction. Pendant des années nous avons cru que nos sapins étaient à l’abri mais le dépérissement peut arriver rapidement. Nous pourrions être confrontés à une baisse importante du volume exploitable qui mettrait en difficulté nos entreprises. »
Cèdre et pin d’Alep : pari gagnant ?
Alain Fonton insiste sur la nécessité de tester dès à présent de nouvelles essences et techniques sylvicoles, tout en reconnaissant que les réponses de ces tests ne seront disponibles que dans dix ou quinze ans. L’ONF s’y emploie avec ses « îlots d’avenir », pour évaluer en conditions réelles de gestion forestière de nouvelles essences (lire encadré).
Léane Quernec, chargée de mission développement des filières locales pour Fibois Sud (Paca) a présenté les travaux en cours dans sa région pour valoriser le cèdre de l’Atlas et le pin d’Alep en bois de construction. Ces deux essences naturellement présentes dans le sud-est de la France peuvent, selon elle, représenter « un pari gagnant pour l’avenir de la filière forêt-bois en Drôme-Ardèche dans un contexte de changement climatique ».
Citant l’exemple des nouveaux collèges inaugurés récemment dans les deux départements, Frédéric Blanc, dirigeant de la scierie Blanc à Marches (26), reconnaît que l’utilisation du bois dans la construction devient « évidente », certainement « le matériau de demain ». Mais il avertit : « Les normes à venir vont multiplier par quatre les volumes de bois utilisés dans les bâtiments. Nous, transformateurs, allons nous donner les moyens de traiter ce surplus de demande mais comment la forêt française pourra-t-elle répondre ? » Alain Fonton rappelle que l’ONF s’est déjà engagé à augmenter les volumes en bois bord de route pour les scieurs, via des contrats d’approvisionnement.
Sauf qu’en Drôme et Ardèche, les forêts exploitées par l’ONF représentent moins de 20 % des surfaces. Le reste est aux mains de propriétaires privés (90 % des surfaces en Ardèche et 73 % en Drôme), dont la plupart ne dispose que de petites surfaces et ne se pose pas la question de la valorisation de la ressource.
Nouveau « plan bois » en préparation
Gilles Bernard, technicien du centre régional de la propriété forestière (CRPF) en vallée de la Drôme, rappelle que le travail de structuration de l’amont de la filière passe par des regroupements de propriétaires, de la gestion forestière, la création de dessertes… « Il va falloir se donner les moyens d’aller chercher ce bois dans des endroits difficiles », estime Frédéric Blanc. Et surtout, explorer tous les leviers d’adaptation au changement climatique, qu’il s’agisse de pratiques sylvicoles, de choix et de mélange d’essences… En résumé : plus question de planter sans se tourner vers des conseils avisés de professionnels pour connaître les préconisations liées à chaque station.
Autant d’échanges qui vont alimenter la réflexion des conseils départementaux de la Drôme et de l’Ardèche dans l’élaboration de leur futur plan bois respectif. La nouvelle mouture, attendue pour 2023 et qui s’étendra sur une période de cinq ans, pourrait représenter en Drôme un montant de 4 M€ selon Christian Morin, conseiller départemental délégué à la filière bois.
Sophie Sabot
L’ONF teste des îlots d’avenir
Les îlots d’avenir expérimentent de nouvelles essences ou provenances d’arbres susceptibles de présenter une meilleure adaptation aux évolutions climatiques. Ces tests concernent de petites parcelles d’un demi à cinq hectares, en forêts domaniales ou communales. Début 2020, une dizaine d’îlots était en cours d’installation en Auvergne-Rhône-Alpes. Parmi les premiers îlots, plusieurs concernent la forêt domaniale de Mazan-l’Abbaye en Ardèche, peuplée en grande partie de sapins pectinés. Selon l’ONF, il semblerait intéressant que cette espèce locale s'hybride avec un sapin méditerranéen comme le Bornmüller (originaire de Turquie) pour renforcer sa capacité de résistance à la sécheresse. Le Bornmüller a également été introduit dans le Vercors et la Chartreuse, ainsi que le Cèdre de l’Atlas et différentes provenances de Douglas. Des essais sont également en cours dans les Baronnies drômoises avec l’implantation de pin pignon.
Source : www.onf.fr