Le ministère français des Affaires étrangères a organisé, mi-novembre, un point de situation sur l’approvisionnement d’engrais pour les pays africains. Les 260 000 tonnes d’engrais russes qui « dorment » sur le territoire européen vont être acheminées dans les prochaines semaines vers ce continent.
L’accord d’Istanbul conclu le 22 juillet dernier a été prolongé le 17 novembre, de 120 jours. Les céréales ukrainiennes peuvent ainsi continuer à emprunter le corridor maritime, maîtrisé par les Russes, pour être exportées. D’ores et déjà 11 millions de tonnes de céréales ukrainiennes ont pu approvisionner quelques ports africains, européens et moyen-orientaux, permettant d’atténuer la crise alimentaire mondiale. Cependant, le continent africain souffre toujours de sa dépendance vis-à-vis des deux pays belligérants, notamment pour les engrais. Leur prix a été multiplié par six en Afrique et leur rareté pourrait engendrer une perte des récoltes d’environ « 30 % pour 2023 », estime-t-on au Quai d’Orsay. L’initiative « Save Crops » (Opération sauvetage des récoltes) lancée en septembre dernier a mis du temps à se mettre en place. Un accord a été trouvé avec le Programme alimentaire mondial lors du Forum de Paris pour la paix les 11 et 12 novembre dernier. Ce dernier est missionné pour acheminer les 260 000 tonnes d’engrais russes qui sont actuellement stockées sur le continent européen. « A court terme, il faut faciliter leur transport vers les pays les plus vulnérables ». Un premier navire transportant 20 000 tonnes d'engrais a quitté le port de Rotterdam le 21 novembre en direction du Malawi, un pays très déficitaire en engrais.
Mutualiser la demande
Les 260 000 tonnes sont cependant bien loin de couvrir les besoins réels des agriculteurs, notamment dans les zones vulnérables. A titre d’exemple, l’Éthiopie qui a prévu de consommer 1,5 million de tonnes d’engrais est déjà déficitaire de 210 000 tonnes. Le Tchad en importe, bon an mal an, entre 45 000 et 50 000 tonnes. « La Somalie, le Soudan et d’autres pays sont dans le rouge » confirme-ton au Quai d’Orsay. L’Afrique importe actuellement 56 % de ses besoins en engrais de l’étranger. Le continent affiche un déficit annuel d’approvisionnement estimé à 2 millions de tonnes selon la Banque africaine de développement (BAD). A moyen terme, le programme « Africa Trade Exchange » (ATEX) inclus dans l’initiative Save Crops entend mutualiser la demande des partenaires africains, à réduire les prix d’achat et à privilégier l’achat de la production africaine d’engrais. L’objectif est de renforcer le commerce intra-africain et l’Europe y voit aussi une opportunité de grignoter quelques parts de marchés à ses concurrents, dans la mesure où elle va accompagner ce développement en mobilisant ses outils de financement et de garantie. A plus long terme, « nous envisageons d’accélérer la production d’engrais durables en Afrique, en favorisant des solutions innovantes comme les pratiques agroécologiques, le recyclage de l’urine humaine, la valorisation des légumineuses et des arachides », explique un haut-cadre dirigeant du Quai d’Orsay.
Christophe Soulard