La Suisse organise un référendum sur l’interdiction des pesticides
Le 13 juin, les électeurs helvètes devront se prononcer sur une « initiative » visant à interdire l’ensemble des produits phytosanitaires tous usages confondus dans le pays à l’horizon 2030. Les producteurs bio défendent cette proposition alors que le soutien populaire semble diminuer.

du plan Ambition bio 2022, qui prévoit 15 % de SAU convertie.
Supprimer totalement les pesticides à l’horizon 2030, ou réserver les aides agricoles aux producteurs qui n’utilisent ni phytos, ni antibiotiques : les deux initiatives (propositions soumises à référendum) sur lesquelles les Suisses devront se prononcer le 13 juin pourraient transformer leur secteur agricole. Des mesures auxquelles la population semblerait pour l’heure plutôt favorable, comme l’ont montré les sondages diffusés par la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR) début avril. Dans les deux cas, le « oui » serait vainqueur de quelques pourcents.
Lancées dès 2018 pour récolter les 100 000 signatures nécessaires, les initiatives proviennent des deux côtés du « Rösti graben », ce fossé culturel séparant Suisse romande et Suisse alémanique. Lancée par des vignerons, des médecins et des scientifiques, l’initiative visant à supprimer totalement les pesticides est issue de Suisse francophone, alors que l’autre initiative est née dans les cantons germanophones de Berne et de Soleure.
Fossé paysan
Estimant que les initiatives vont « trop loin », le Conseil fédéral (exécutif) et le Parlement ont pour leur part recommandé aux citoyens de voter « non » aux deux mesures. Les deux instances se font l’écho des arguments déployés par le syndicat agricole majoritaire helvète, l’Union suisse des paysans (USP), qui prévient que les deux textes pourraient favoriser « des importations bon marché qui ne doivent pas répondre aux exigences imposées », face à un éventuel renchérissement des produits agricoles locaux.
Agacés par ces positions, quelques dizaines de producteurs bio jurassiens ont manifesté pour la première fois début mai en faveur de l’interdiction des pesticides. Comme l’explique Hanno Schimd, producteur bio à l’origine de la mobilisation, « l’initiative sur les pesticides est cohérente, parce qu’elle interdit les importations qui ne respecteraient pas ces conditions et qu’elle touche tous les secteurs, non seulement l’agriculture mais également les chemins de fer ».
Restée jusqu’ici discrète, l’organisation Bio Suisse, qui rassemble l’ensemble des acteurs du bio de la Confédération helvétique, a clarifié sa position le 7 mai dans un entretien avec Agra Presse. « Bio Suisse défendra le oui pour l’initiative fédérale contre les pesticides, affirme David Hermann, porte-parole de Bio Suisse. Toute la Suisse ne passerait pas pour autant au bio, puisque les engrais de synthèse seraient encore autorisés », souligne-t-il. Les dix ans accordés par l’initiative devront servir selon lui à la recherche d’alternatives, alors que « la betterave sucrière, le colza ou les myrtilles sont encore très difficiles à cultiver en bio ».
Les raisins de la colère
Tout en haut des membres du comité du soutien à l’initiative contre les pesticides figure un viticulteur du canton de Neuchâtel, Jean-Denis Perrochet. Une tête d’affiche moins surprenante qu’il n’y paraît, puisque, comme l’explique David Hermann, « la contamination aux pesticides dans le vin est un grand problème en Suisse, et chaque année de grandes quantités doivent être déclassées du bio vers le conventionnel ». Une évaluation détaillée du phénomène devrait d’ailleurs être bientôt publiée par son organisation.
La fin des pesticides pourrait être facilitée par la structure même de l’agriculture suisse, alors que les prairies permanentes représentent près de 60 % de la surface agricole utile du pays, contre 26 % pour les cultures. « Dans certains cantons de montagne, comme celui des Grisons par exemple, près de 60 % des surfaces sont déjà en bio. Mais dans les plaines, en grandes cultures, si le potentiel est là, le marché n’est pas encore prêt », souligne David Hermann. Autre force du pays pour cette transition : la présence du Fibl, un institut de recherche sur le bio fort de 200 salariés, à la réputation européenne solide.
Malgré ces atouts et les sondages favorables, le « oui » n’est cependant pas encore assuré sur les deux initiatives, souligne David Hermann. « Le soutien diminue depuis quelques semaines, et je crains que l’initiative n’aboutisse pas. Comme souvent, en Suisse, ce sera au moins l’occasion de poser le débat », prévoit-il. Reconnaissant que les fossés dans le secteur agricole ne se combleront pas d’ici le vote, le producteur bio Hanno Schmid s’en remet pour sa part à l’opinion.