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Le café colombien, fort en goût, mais si fragile !

Renommée dans le monde entier, la production de café en Colombie se révèle pourtant très artisanale. Rencontre avec les gérants de la finca MilAgro, une ferme familiale où l’art du café se transmet de génération en génération.

Le café colombien, fort en goût, mais si fragile !
Dans la région cafetière colombienne, on cultive en majorité le Castillo, une variété adaptée aux terrains volcaniques et au climat, tout en étant résistante à la rouille. © MC

Ici, pas une journée ne commence sans une tasse de café fumant pour s’extirper des nuits, fraîches en cette saison. à la finca El MilAgro, une petite ferme nichée dans les hauteurs de Roldanillo, à la pointe de la région cafetière colombienne, il est préparé avec un peu de « panela », du sucre de canne non raffiné connu pour sa douceur. Depuis de nombreuses années, Don Erasmo, 71 ans, partage ce rituel matinal avec toute la famille, jusqu’à son petit-fils Samuel qui, du haut de ses 9 ans, sait déjà l’apprécier. Le café est cultivé et transformé ici, à la ferme, où l’on trouve aussi de multiples variétés de bananiers et d’orangers, des haricots, des tubercules, du maïs, des légumes, des épices et un peu de cacao, le tout disséminé sur cinq hectares de terrains montagneux. La famille élève également quelques cochons d’Inde, lapins et poules. « Acquérir de la terre, en Colombie, est un chemin de croix », explique Martha, qui gère le domaine familial aux côtés de son père Erasmo. « J’ai travaillé en France pendant huit ans pour pouvoir acheter ces terrains, en 2004. Pour ma famille, la naissance de la ferme a représenté un miracle. D’où son nom, El MilAgro ! » Et pour cause : en Colombie, 0,4 % des exploitations concentrent 70 % des terres agricoles*. « Dans la région, la plupart des agriculteurs travaillent comme journaliers chez de grands propriétaires ou multinationales pour un revenu de misère », ajoute-t-elle. Journalier, son père Erasmo l’a longtemps été. La famille d’Erasmo est arrivée dans la région durant les années 1970, au cours des déplacements forcés liés aux conflits armés. Des années durant, il s’est abîmé au travail dans de grandes exploitations, entre canne à sucre et café. « Je travaille toujours durement ici, mais je le fais pour moi et pour ma famille », sourit-il aujourd’hui.

Le café, à l’épreuve du changement climatique

A la finca El MilAgro, la grosse saison du café s’achève à la fin du mois d’octobre. La cueillette se fait ici à la main et en famille, sans recours à de la main-d’œuvre extérieure. Et cette année, la récolte n’est guère abondante. « La faute à un hiver trop long », indique Don Erasmo. « Le froid et les pluies tardives ont mis à mal la floraison. Avec le changement climatique, cela fait quelques années que le scénario se répète, et cela nous inquiète beaucoup. Non seulement pour nos cultures, mais aussi pour les risques d’inondations et d’éboulements qui sont de plus en plus fréquents à cause des pluies », alerte-t-il. Malgré tout, le café récolté à la finca est de bonne qualité. Une fois cueillis, les fruits sont dépulpés grâce à une petite machine qui permet de séparer le grain de la couche externe de la peau. Après une fermentation de vingt-quatre heures, ils sont soigneusement lavés avant d’être étendus au soleil - ou dans une petite serre lorsqu’il pleut trop - pour le séchage. Une fois séchés, les grains sont torréfiés sur place dans le four de la cuisine, ou chez un torréfacteur. Ils sont enfin moulus à la main.

Une agriculture familiale en voie d’extinction

A El Milagro, le café est cultivé sans intrants chimiques, à l’ombre des bananiers et des orangers. Il reçoit pour fertilisant le fumier animal mais aussi humain des toilettes sèches installées sur place. Ce système vertueux n’est toutefois pas la norme dans la région cafetière où les 870 000 ha de café sont majoritairement cultivés de manière intensive, bien souvent en monoculture. « Une grande partie du café que nous produisons est consommée par la famille et les proches, il est même parfois vendu via le bouche-à-oreille », indique Martha. « Le reste est vendu à la Fédération nationale des cafetiers. Mais les prix proposés, très fluctuants, sont aussi très faibles. C’est pourquoi, nous essayons toujours de garder du café en stock pour le vendre hors saison, lorsqu’il n’y en a plus sur le marché ». Dans le pays, la majeure partie du café colombien est destinée à l’étranger, quand les Colombiens consomment du café importé de pays voisins, de piètre qualité mais à moindre prix. à El Milagro, la vente de café représente la principale source de revenus de la famille. Pour le reste, elle vit des produits de la ferme et se procure d’autres denrées via le troc. « L’agriculture familiale d’autosubsistance telle que nous la pratiquons est en voie d’extinction », souligne Martha. « Les jeunes ne veulent plus travailler la terre, ils fuient la campagne et sa pauvreté. » Ses deux frères travaillent d’ailleurs à l’extérieur pour ramener un peu d’argent. « Malgré tout, nous continuons à défendre ce modèle paysan qui est porteur de sens et préserve nos paysages et nos écosystèmes », revendique-t-elle. Il suffit de goûter à la soupe de maïs, aux crêpes à la farine de bananes, aux truffes de cacao ou bien sûr au café de la finca El MilAgro pour lui donner raison !

Mylène Coste

* Selon l’ONG Oxfam.

L’avocat, nouvelle menace  pour les paysans colombiens

Face à la précarité des revenus tirés des cultures du café, du cacao ou de la banane, certains paysans cèdent aux sirènes du narcotrafic et cultivent la coca, destinée à devenir de la cocaïne vendue aux « pays riches ». Cultivée avec de nombreux intrants, la coca offre en réalité des revenus élevés et réguliers aux paysans. Outre cette production, illégale, une autre « alternative » empoisonnée s’offre dans la région de Roldanillo : la culture de l’avocat Hass, qui grignote chaque année de nouvelles terres. C’est le cas près du MilAgro. « De nombreux petits paysans vendent leur bout de terrain à de grandes entreprises qui produisent l’avocat Hass. Nous avons ainsi vu d’immenses étendues de forêts ou de terres agricoles se transformer en monoculture d’avocat, cultivé en recourant à de grandes quantités de produits chimiques », déplore Martha. « C’est un crève-cœur. » La Colombie compte aujourd’hui 25 000 ha plantés d’avocats Hass, pour une production de 149 000 t*. Les volumes exportés ne cessent d’augmenter. Après le Pérou, la Colombie serait le plus important fournisseur d’avocats Hass à destination de l’Europe. Le paradoxe, c’est que les Colombiens n’en consomment presque pas. 
* Selon l’Unité de planification agricole rurale de Colombie.