AGRICULTURE BIO
Changement climatique : l’importance  de maintenir la fertilité des prairies

Les chargements corrigés des fermes en bovin lait bio du réseau Bio références du Massif central sont passés de 0,96 UGB/ha en 2014 à 0,74 UGB/ha en 2020.

Changement climatique : l’importance  de maintenir la fertilité des prairies
La partie fertilisée au sulfate de potassium à droite des jalons a dynamisé la luzerne d’où une teneur en protéines améliorée de 40 %. CA15

Cette forte baisse du chargement traduit l’impact des gelées printanières et des sécheresses à répétition sur les exploitations à dominante herbagère. C’est aussi la conséquence de mauvaises pratiques qui ont engendré soit une perte de fertilité des sols et/ou une spécialisation de la flore, le tout exacerbé par le contexte de changement climatique. Pour enrayer la baisse de productivité des prairies, le premier levier est de veiller à maintenir un bon niveau de fertilité des sols afin que les prairies répondent vite et bien lorsque les conditions climatiques sont poussantes. Les pistes exposées ci-après sont pour certaines « gratuites », et relèvent de bonnes pratiques à la portée de tous. Il faut aussi accepter que chaque milieu ait son propre potentiel (faible, moyen, fort). S’il peut être amélioré dans une certaine limite (financière, temps…), il faut l’accepter et surtout ne pas le dégrader.

La fertilité biologique des sols

La fertilité biologique des sols dépend en premier lieu de la structure du sol. En effet, le développement de la faune et des micro-organismes du sol dépendent entre grande partie des conditions de la circulation de l’air et de l’eau (la moitié du volume d’un sol). Pour cela, il faut favoriser les prairies naturelles et les rotations longues, limiter le labour et tout ce qui peut tasser le sol en période humide (surpâturage, passage d’engins agricoles lourds), et enfin, veiller à restituer de la matière organique fraîche.
Si on respecte de bonnes conditions de structure de sol et de nourriture carbonée, on peut compter sur les alliés biologiques que sont les vers de terre, les bactéries et les mycorhizes. Réciproquement, une bonne activité biologique assurera une stabilité structurale du sol (cohésion des agrégats grâce à l’activité des bactéries, champignons). C’est un cercle vertueux.
Les racines produisent des exsudats (sucres) dont les micro-organismes sont friands, et qui servent aussi à stocker du carbone dans le sol. Elles fonctionnent en symbiose avec les micro-organismes et les champignons (mycorhizes).

La fertilité azotée

La fertilité azotée est améliorée avec le développement des légumineuses et des apports réguliers de matière organique en surface. Dans un écosystème naturel, l’azote n’est jamais un facteur limitant : 10 % des apports d’azote proviennent des précipitations ; 60 % de la fixation biologique ; 30 % du recyclage de la MO (minéralisation de l’humus). Ainsi, la teneur en azote des apports de matière carbonée est multipliée par cinq sous l’action des bactéries nitrificatrices. La restitution d’une simple paille contenant 3 unités d’azote/tonne et un rapport carbone sur azote (C/N) de 150, va se retrouver rapidement en une bouillie noirâtre contenant 16 unités d’azote/tonne avec un rapport C/N de 24 : et ce, à condition que la paille n’ait pas été enfouie (labour), car les bactéries responsables de la dégradation de ces pailles auront besoin d’azote dans un premier temps. L’objectif est de mobiliser des bactéries capables de fixer l’azote atmosphérique pour effectuer ce travail.
Afin d’optimiser les apports d’engrais de ferme, il faut privilégier :
- Les composts jeunes (à moins d’un mois de fermentation, début de dégradation des pailles), car ils contiennent encore du sucre et de l’azote soluble, favorables aux bactéries du sol.
- Couvrir les tas de compost si vous devez les laisser dehors tout l’été. Un essai conduit par la chambre d’agriculture du Cantal en 2015 a mis en évidence qu’après 130 mm de précipitations, le tas de compost non couvert avait perdu 40 % de sa potasse et 12 % d’azote !
- Le lisier, c’est excellent en montagne. Contrairement aux idées reçues, il n’acidifie pas et apporte du sucre et de l’azote disponible aux bactéries du sol qui pourront à leur tour s’attaquer à l’énorme stock de carbone contenu dans la matière organique des sols (plus de 200 tonnes/ha en montagne.) 
- Avec le changement climatique, épandre les engrais de ferme en fin d’automne (les plantes referont des réserves) ou en fin d’hiver pour favoriser le tallage de la prairie. En tout cas, n’attendez pas le reverdissement de la prairie, c’est déjà trop tard !
- Valoriser le carbone d’origine microbienne car c’est un engrais gratuit qui contient 15 % d’azote et 25 % de phosphore. Dans le cas de longue période de sécheresse estivale, avec le retour d’un sol chaud et humide, on peut estimer la libération 200 unités d’azote et 300 unités de phosphore pour la plante et la relance de l’activité microbienne. La pousse soutenue des prairies à l’automne 2022 (herbe vert foncé) et les taux d’urée élevés dans le lait attestaient de cette fourniture gratuite et abondante de N/P/K.

Le phosphore Olsen des analyses de sol !

La méthode Olsen dose le phosphore rapidement disponible dans le sol, sous l’action d’un acide organique très faible (acide nitroperchlorique). Or, dans un sol vivant, le phosphore est solubilisé par les bactéries et les champignons du sol.
Pour le démontrer, la chambre d’agriculture du Cantal a réalisé au printemps 2018, 48 analyses de sol couplées avec des indices de nutrition dans la plante (prairie naturelle à dominante graminée). Les 48 analyses de sol avaient une teneur moyenne en P Olsen de 44 mg/kg, donc déficitaire, alors que la moyenne des indices de nutrition dans la plante était de 117, soit très excédentaire.

Les apports de soufre et potasse

Surtout sur les prairies riches en légumineuses et fauchées plusieurs fois, il ne faut pas oublier les apports de soufre et potasse. Une luzerne fauchée deux fois va exporter 250 unités de potasse/ha (35 unités/t de MS) et 105 unités de soufre/ha (15 unités/t de MS) pour un rendement de 7 t de MS/ha. Avec une dose de 30 m3 de lisier de bovins non dilué/ha, vous n’apporterez que 60 % des exportations. Pour le vérifier, la chambre d’agriculture du Cantal a conduit un essai en 2021, avec un apport de 150 kg/ha de sulfate de potassium, sur une luzerne et dactyle de deux ans. Les rendements entre témoin et apport de sulfate de potassium au 19 mai 2021 étaient très proches (3,7 t de MS/ha), mais la teneur en protéines était nettement améliorée de 5 points. (18,1 % de MAT pour la partie sulfate et 13,2 % de MAT pour le témoin). Ces observations confirment les résultats d’essais d’Arvalis, des chambres d’agriculture et de Coop de France de 2014 et 2015, sur l’effet d’apport de soufre et de potasse sur luzerne.

Vincent Vigier, CA 15 et Stéphanie Lachavanne, CA Savoie Mont-Blanc, référents techniques régionaux « Fourrages biologiques » du réseau des chambres d’agriculture Aura.

Observer ses parcelles

Grâce à un test à la bêche dans une parcelle, on détecte rapidement les problèmes de structures (mottes dures, anguleuses) ou inversement de très belles structures (mottes granuleuses, agrégats racinaires). Il faut ensuite chercher à comprendre d’où vient le problème. Comparez vos parcelles (vieille prairie naturelle, céréales, prairies temporaires), faites-vous l’œil. Les plantes bio-indicatrices peuvent venir en complément, apprenez à les reconnaître : 
- Manque d’air (tassement, battance): présence de brome mou, brunelle commune, cardamine des prés, capselle bourse à pasteur, flouve odorante, pissenlit dent de lion, renoncule âcre, renoncule rampante, rumex feuille obtuses, plantain moyen.
- Bonne aération (et généralement bonne activité biologique) : plantain lancéolé, lotier, luzerne, marguerite, mouron blanc, fétuque des prés, knautie des champs, trisète dorée…
Il ne faut pas paniquer de voir quelques plantes indésirables par endroits (non représentatives) mais surveillez simplement leur évolution.
L’analyse de sol permettra d’affiner la connaissance du statut acido-basique (préalable à toute opération de chaulage), et l’indice de nutrition herbe sera l’outil adapté pour la partie P, K.
Enfin, ne pas oublier qu’il existe aussi d’autres leviers, en lien avec les pratiques comme la gestion du pâturage, le report d’herbe sur pied, les fauches tardives, le topping et le hersage… qui peuvent contribuer à préserver le potentiel des prairies en fonction des aléas climatiques.

Sources : données scientifiques sur la vie du sol : « Vie microbienne et production végétale » Davet P. Inra éditions 1994 et « Sol : interface fragile » Stengel P. et Gélin S. Inra éditions 1994 ; études Arvalis et chambres d’agriculture.

Le pH et la saturation de la CEC  
Modalité sur semis de trèfle violet, à gauche du jalon. ©CA15

Le pH et la saturation de la CEC  

Le pH eau du sol d’une prairie est un levier important pour améliorer l’activité biologique des sols et l’abondance des légumineuses. Idéalement, le pH eau doit être supérieur à 6 et la saturation de la capacité d’échange cationique (CEC) supérieure à 70 % pour optimiser l’activité des bactéries fixatrices d’azote atmosphérique et éviter les intoxications aluminiques. Avant de chauler, il faut s’assurer que la flore de la prairie valorisera cet 
investissement et qu’une trop grosse CEC ne constitue pas un gouffre financier.
Un essai à deux modalités (chaulage et sursemis de trèfle violet) a été conduit de 2017 à 2019 par la chambre d’agriculture du Cantal sur une prairie naturelle à 750 m d’altitude. La flore était à forte dominante de graminées (pâturin des prés, RGA, dactyle, fétuque rouge/ovine et houlque laineuse). Le sol d’origine volcanique est profond, frais et avec une CEC très importante. La saturation de la CEC de 28 % était très faible et le pH eau était de 5,5 en mars 2017. Deux apports de 1000 unités de CaO/ha ont été réalisés en 2017 et 2018. Le pH eau est remonté à 6,3 en juillet 2018. Le sursemis de 18 kg/ha de trèfle violet a été réalisé le 29 mars 2017 à la herse étrille réglée au maximum de son agressivité et passée deux fois. Les résultats mesurés sur une moyenne de trois coupes en 2018 et 2019 montrent : une augmentation de 39 % du rendement et de 30 % de légumineuses pour la bande semis de trèfle + amendement calcaire ; + 23 % de rendement  et 18 % de légumineuses pour la partie amendée ; un taux moyen de 12 % de légumineuses sur le témoin.