Pastoralisme et prédation
À récit commun, responsabilités communes
Le Parc naturel régional du Vercors est à l’origine du « récit commun » destiné à un meilleur dialogue entre usagers de la montagne.
«Quand il y a de la prédation, la misère, c’est pour les éleveurs ; quand il y a des problèmes avec un chien de protection, la misère, c’est pour les éleveurs. Depuis plusieurs décennies, tout le monde est favorable à la présence du loup mais seuls les éleveurs ramassent les morceaux. » Pascal Ravix est éleveur à Lans-en-Vercors. Son troupeau de 1 000 brebis gardé par six chiens de protection monte en alpage au pic Saint-Michel, un lieu ultra-fréquenté par les randonneurs. Il a fait le choix de participer aux travaux pilotés par le Parc naturel régional (PNR) du Vercors et destinés à élaborer un « récit commun » afin de faire face aux situations de tension générées par les moyens de protection des troupeaux face à la présence du loup. Il s’agit surtout des difficultés liées aux chiens de protection.
Pascal Ravix, éleveur à Lans-en-Vercors. ©TD
« Face au nombre de loups, il faut équilibrer avec des meutes de chiens, assure encore Pascal Ravix. Mais quand on est éleveur, que l’on a des chiens de protection et qu’on habite dans un village, on passe pour le gros con qui emmerde tout le monde. » Il explique qu’un chien de protection a beau être sociabilisé, habitué à l’homme, une fois qu’il subit un affrontement avec un loup, qu’il est sous stress, son comportement se modifie. Il considère le « récit commun » comme « un premier pas pour faire toucher du doigt à la société la question de la gestion de la prédation par les éleveurs
« Le problème, c’est le loup »
Parmi la cinquantaine de personnes qui ont participé pendant trois ans aux échanges entre usagers de la montagne, quelques éleveurs ont collaboré de façon individuelle. Côté Isère, seule la Fédération des alpages a porté une voix collective professionnelle. Côté Drôme, les syndicats JA, FDSEA et la fédération départementale ovine (FDO) avaient adressé au président du PNR du Vercors, le 7 octobre 2022, un courrier qualifiant ce « récit commun » de « symbolique » alors que « des exploitations* meurent des conséquences économiques ou psychologiques de la prédation. Une institution comme le Parc du Vercors, outil de développement de nos territoires, doit participer activement à garantir la survie de l’élevage agropastoral qui fait la richesse de ce territoire avant que tous les éleveurs aient vendu ou transformé leurs fermes en chambre d’hôtes ! », soulignaient-ils. Par ailleurs, FDSEA, JA et FDO de la Drôme regrettaient dans leur courrier que toutes les activités soient mises sur le même niveau d’importance dans cette démarche.
Guy Durand, éleveur dans le Vercors et administrateur de la FDSEA de l’Isère, se montre aussi très réservé quant à ce « récit commun ». « On a l’impression que le parc se positionne systématiquement du côté des défenseurs de l’environnement. » Il rappelle que « le problème, c’est le loup. Je ne vois pas ce que le loup fait pour la biodiversité. Est-ce que l’on veut que nos bêtes cessent d’aller en alpage, qu’on fauche les prés et qu’on leur donne à manger en grange, en élevage hors-sol, ce qui va à l’encontre des idées défendues par les écologistes ? » S’il est d’accord avec une communication grand public autour de la problématique du loup, il cible les élections européennes pour une prise de conscience supra nationale « car le pastoralisme, qui est une agriculture modèle, est nettement remis en cause par la présence du loup et qu’il convient de mettre des limites à cet animal ».
« Sujet brûlant »
Il est vrai que l’Europe a commencé à se pencher sur la question puisque c’est elle qui a financé une série de plateformes locales et régionales dans le cadre d’un projet pilote pour « résoudre les conflits sur les grands carnivores en tenant compte de la situation locale et mobiliser les parties prenantes au niveau local ». C’est ainsi que la plateforme de réflexion sur la « coexistence entre les personnes et les grands carnivores », a sollicité le PNR du Vercors pour lancer ce programme expérimental de médiation au travers du récit commun. La démarche est co-portée notamment par l’association ELO (European Landowners Organization), qui représente les propriétaires européens ruraux. Le montant du programme s’élève à 40 000 euros.
Au moment de la restitution du document du « récit commun », le 13 juin, tous les acteurs se félicitaient de la capacité de dialogue et d’apaisement « autour d’un sujet brûlant ». Jacques Adenot, le président du parc du Vercors, a insisté sur « le pastoralisme, présent depuis plus de mille ans, qui fonde l’identité et les paysages du Vercors. L’existence de l’élevage est un élément majeur du massif sur le plan économique, social et environnemental ». Le vice-président du parc, Michel Vartanian, plaide pour « partager la responsabilité » des chiens considérés comme « coupables » des déséquilibres engendrés depuis qu’ils sont présents pour protéger les troupeaux. « S’il y a des chiens de protection, c’est qu’il y a du loup », le prédateur restant le principal responsable du déséquilibre, voire de la menace qui pèse sur le pastoralisme, estiment les éleveurs.