TÉMOIGNAGE
Poulets de chair : « Il me manque 6 centimes d’euro par kilo »
Face à la hausse des coûts de production et des volumes de poulets importés consommés en France, les aviculteurs français peuvent-ils résister ? Un éleveur drômois livre ses chiffres et explique pourquoi le prix payé aujourd’hui ne lui permet pas de couvrir l’ensemble de ses charges.

« Lorsque je me suis installé en 1998, mon chiffre d’affaires était de 8,05 euros par m² et par lot. Vingt-cinq ans plus tard, il est de 9,68 euros [sur les sept premiers mois de l’année 2023, ndlr]. S’il avait suivi l’inflation1, il devrait être de 12,19 euros », explique Jean-Baptiste Vye, éleveur à Saint-Paul-les-Romans. Il exploite trois bâtiments pour une surface totale de 4 030 m², soit une capacité de 80 000 poulets par lot au rythme de sept lots par an. Depuis bientôt deux ans, il subit comme tout exploitant agricole l’envolée de ses coûts de production. « Sur mon exploitation, les charges s’établissent sur le premier semestre de cette année à 12,32 €/m²/lot, poursuit l’éleveur. Dans le détail, mes charges variables affectées à l’atelier volailles représentent 6,245 €/m2/lot, la main-d’œuvre, dont ma rémunération, 2,309 €/m²/lot et enfin les dotations aux amortissements et intérêts d’emprunts 3,766 €/m²/lot. »
Rémunération de l’éleveur
Face à cette flambée des coûts de production, notamment depuis le début de la guerre en Ukraine, l’éleveur de Saint-Paul-les-Romans refuse d’équilibrer en rognant sur la rémunération de la main-d’œuvre. « C’est un débat que nous avons depuis longtemps avec Duc, l’entreprise avec laquelle je travaille. Pas question pour moi de considérer que les charges se calculent sans la rémunération de l’éleveur. » Sur son exploitation, l’atelier avicole représente un volume de travail annuel de 2 368 heures. Jean-Baptiste Vye exploite par ailleurs 106 hectares dont 55 de noyers, le reste en grandes cultures. « Je passe 840 heures en moyenne sur l’atelier volaille. Je calcule ma rémunération sur l’équivalent de deux Smic, un pour le travail sur l’atelier avec ses astreintes soir et week-end et un pour les risques que je prends en tant que chef d’entreprise et les responsabilités qui m’incombent, résume l’exploitant. Le reste du volume de travail est assuré par une main-d’œuvre salariée qualifiée qui ne peut pas être rémunérée au Smic, d’autant que nous sommes sur un territoire fortement concurrentiel en termes d’emplois avec des entreprises qui offrent des conditions face auxquelles nous ne pouvons pas rivaliser. »
Énergies renouvelables
Du côté des charges variables, il ne reste pas vraiment de marges de manœuvre car l’essentiel a déjà été mis en œuvre pour réduire les coûts. « J’ai pris la décision dès 2016 d’installer une chaufferie bois de 700 kW. Elle fournit l’énergie pour les trois bâtiments volailles, l’atelier mécanique, les bureaux et le séchoir à noix », indique l’éleveur. La production de ses noyers est en effet transformée et commercialisée via une SARL créée exclusivement pour cette activité. Les coquilles de noix sont ensuite valorisées dans la chaufferie, mélangées au bois de taille des noyers déchiqueté grâce à un équipement en Cuma. « L’exploitation fournit environ 1 000 m³ de combustible et j’achète l’équivalent en bois déchiqueté », précise Jean-Baptiste Vye. Il s’est ainsi depuis sept ans affranchi de la dépendance au gaz et n’a pas eu à affronter l’envolée de son prix depuis 2021. « Mais je subis tout de même une hausse sur les plaquettes, que ce soit sur mon coût de production (GNR, main-d’œuvre, réparations du matériel…) ou sur le prix d’achat. »
Améliorer la performance
Côté électricité, l’éleveur avait aussi pris les devants. « Depuis 2020, j’ai une installation photovoltaïque en autoconsommation qui fournit 25 % des besoins de l’atelier volailles. L’amortissement de cette installation est comptabilisé dans le coût de l’électricité. J’ai également pu renégocier de façon anticipée mes contrats et changer de fournisseur avant la crise. Malgré tout, j’ai quand même subi en 2022 une hausse de 5,68 % sur les dépenses électriques pour une consommation équivalente », poursuit-il.
Certes aujourd’hui l’amortissement des investissements réalisés en 2016 (deux bâtiments volailles soit 3 000 m² et chaufferie bois, pour un total de 1,5 M€) pèsent dans ses charges. « Mais ça démontre bien que les éleveurs ont besoin de dégager encore du résultat après le paiement de la main-d’œuvre pour pouvoir investir et améliorer leurs performances », insiste Jean-Baptiste Vye. Il estime qu’il perd actuellement 2,64 €/m²/lot. « Il me manque 6 cts d’euro par kilo de poulet produit. Si rien ne change d’ici la fin de l’année, je me poserai toutes les questions, y compris d’arrêter l’élevage. Je ne peux pas continuer de produire à perte », avertit l’éleveur.
Sophie Sabot
1 Selon les taux d’inflation publiés par l’Insee depuis 1998.

Toujours plus de poulet importé
FranceAgriMer le confirme dans sa note de conjoncture publiée fin août : sur le premier semestre de l’année, les volumes de viandes et préparations de poulet importées par la France ont continué de croître (+ 7,3 % en volume et + 21,2 % en valeur). Les volumes supplémentaires proviennent essentiellement de Pologne, de Belgique et des Pays-Bas mais aussi d’Ukraine. Sur la même période, d’après le panel consommateur Kantar, les achats de poulets par les ménages français ont progressé de 4,4 %, avec une croissance centrée sur les découpes (+ 7,6 %) tandis que les achats de poulets PAC ont poursuivi leur repli (- 3,8 %).
Un poulet sur deux consommés en France est désormais issu d’importations, indique l’Anvol, interprofession de la volaille française. L’interprofession s’inquiète du renouvellement pour un an de l’accord commercial « à droit nul et sans limite de volume », passé entre l’Union européenne et l’Ukraine. Début juin, elle dénonçait une « concurrence déloyale des poulets importés et l’asphyxie de la filière avicole française ».