Noix : beaucoup d’impasses cryptogamiques
Les nuciculteurs tentent de réduire leurs interventions dans les noyeraies. Mais, face au développement de nouvelles maladies, ils se retrouvent démunis.

Une réunion estivale du groupe Déphy noix pilotée par la chambre d’agriculture, réunissant 14 producteurs, s’est déroulée chez Pierre Bellier à La Rivière (Isère). « Nous sommes sur les contreforts du Vercors, donc avec une humidité forte, décrit Ghislain Bouvet, technicien nucicole de la chambre d’agriculture. L’irrigation n’est donc pas nécessaire pour l’instant mais, revers de la médaille, la pression fongique et bactérienne est forte. » L’objectif du suivi de cette exploitation est de diminuer l’IFT*, « de réguler au mieux la pression en évitant de se faire déborder, souligne-t-il. Dans une exploitation, on ne peut pas prendre trop de risques. Les vrais risques doivent être assumés à la station expérimentale, la Senura, à Chatte. »
Actions préventives
Si l’IFT est élevé au sein de l’exploitation Bell’noix, c’est en raison des données climatiques locales et de la volonté de faire beaucoup de préventif. « C’est un passage de bouillie hebdomadaire », estime Pierre Bellier. Mais, si l’année 2020 est un peu trop sèche pour certaines productions, la situation favorise l’état sanitaire du verger de noix de l’exploitation : « Tout va bien au niveau fongique et nous n’avons pas trop de pression de maladie », reconnaît l’exploitant. Mais
« l’anthracnose est importante chez nous cette année. »
Clémence Berne, ingénieur agronome stagiaire à la chambre d’agriculture et à la Senura, rappelle certains fondamentaux. « La bactériose se conserve dans les bourgeons d’hiver et la contamination a lieu au printemps. Elle touche plutôt les parties sommitales des fleurs. La contamination de printemps fait chuter les noix quand elles sont petites. La contamination secondaire, estivale, se développe sur les feuilles et contamine les bourgeons de l’année suivante. L’humidité et une température comprise entre 16 et 29 degrés favorisent son développement. » On constate que les variétés AOC franquette et parisienne sont moins sensibles, contrairement à la lara.
Broyage obligatoire
« La prévention va jouer sur plusieurs leviers, précise Ghislain Bouvet. La densité de plantations, la taille plus aérée pour laisser entrer l’air et la lumière, un fractionnement des apports d’azote, des apports de matières organiques au sol, une irrigation prenant soin de ne pas mouiller le bas du feuillage. » Il n’y a pas d’action curative en matière de bactériose. On peut passer des bactériostatiques à base de cuivre en prévention également.
Les anthracnoses (gnomonia et colletotrichum) ont des symptômes similaires. Le premier va hiverner dans les feuilles mortes, tandis que le principal foyer du deuxième sera dans les noix momifiées. Pour les deux, une seule solution : le broyage fin avec un apport d’urée afin d’améliorer la décomposition. « Très fortement conseillée en conventionnel, cette action est obligatoire en bio », insiste Ghislain Bouvet. Il faut aussi supprimer le bois mort de la parcelle.
Pierre Bellier essaie de diminuer ses traitements : l’anthracnose ne se développe que si la température est supérieure à 20 degrés pendant plus de six heures. Ces conditions ne sont pas toujours réunies au printemps. « Nous essayons de nous passer du mancozèbe, explique Ghislain Bouvet, ce produit présentant des risques pour la santé humaine notamment celle de l’opérateur. Mais on ne peut pas ne rien faire face à l’anthracnose. On ne peut pas être dogmatique en la matière. Il y a beaucoup de questions à se poser en permanence au regard des conditions du moment. »
Peur au ventre
En ce qui concerne le colletotrichum, la maladie est apparue récemment (première attaque en 2011 en Isère) et ne concernait jusque-là que la noix. La Senura est donc la seule station expérimentale qui fait de la recherche fondamentale en la matière. Une contamination apparaît depuis quelques temps sur les pommes dans le sud de la France, un travail est donc engagé avec le CTIFL. En Espagne et en Italie, la maladie cryptogamique est présente mais ne provoque pas de dégâts particuliers, certainement en raison des conditions climatiques différentes. Même si le travail de recherche est intense à la Senura, les connaissances sont encore embryonnaires et ne permettent pas d’apporter des solutions. On sait que le gros foyer de contamination est la noix momifiée qu’il faut donc détruire minutieusement. On sait que la maladie peut se développer en une douzaine de jours entre son apparition et la momification. Une pluie en août peut faire exploser la maladie très peu de temps avant la récolte. Les producteurs vivent donc ce mois la peur au ventre. « En 2011, par réflexe, dès l’apparition de la maladie chez un producteur, je lui ai conseillé de secouer les arbres immédiatement, se rappelle Ghislain Bouvet. On était juste avant la récolte. C’était ce qu’il fallait faire, mais souvent on est trop loin de ce stade. » Ce que l’on sait, c’est que l’humidité et une baisse des températures (comme celle induite par les orages) sont favorables à l’explosion.
Jean-Marc Emprin
* Indice de fréquence de traitement
Climarbo attentif au colleto

Le projet Climarbo mis en œuvre par la Senura avec le soutien de nombreux partenaires et financeurs cherche à mieux connaître les champignons de deux maladies cryptogamiques des vergers : monilia fruticola des fruits à noyaux et le colletotrichum des noix. La détermination des stades phénologiques sensibles, les phénomènes de contamination, l’identification des facteurs de risques climatiques dans le développement des maladies, le test de produits et de moyens de lutte adaptés constituent autant de pistes de travail empruntées.
La recherche avance lentement mais désormais les spécialistes de la Senura savent que les deux espèces de colletotrichum (floriniae et godetia) n’ont pas la même rapidité de croissance et que des températures extrêmes (6° et 35°) n’inhibent pas totalement l’apparition de nécroses. On sait aussi que des variétés sont plus sensibles que d’autres : la franquette résiste mieux que fernor ou lara. On a aussi découvert que les fruits deviennent plus sensibles avec l’augmentation de la maturité.
Les techniciens insistent sur le réservoir essentiel que constituent les noix momifiées. Ce sont aussi les principaux organes sur lesquels on peut agir en prophylaxie.
Depuis 2013, une cinquantaine de produits ont été testés en matière de protection. Certains d’entre eux pourraient être prometteurs mais demandent encore des essais sur le terrain.
En 2020, des tests sont nombreux sur des produits de protection (deux chimiques et sept de biocontrôle), sur les sensibilités variétales à différents stades de maturité, sur les impacts de la météo et des facteurs agronomiques sur le développement des champignons.n
J-M. E.
d’après sources Senura
Pas d’intervention, pas de noix
Pierre Bellier a emmené le groupe Déphy dans une parcelle soumises à des contraintes caractéristiques. Cette petite parcelle est coincée entre un lotissement récent et l’école publique. « Il était évident pour moi de ne pas traiter près de l’école mais la présence de nouvelles habitations m’empêche aussi de traiter les deux dernières rangées. Personne ne m’a rien dit, je le fais spontanément. » Mais la parcelle ne compte que cinq rangées d’arbres. L’exploitant ne la traite donc plus depuis quatre ans.
Elle est également sur un sol séchant. Début août, le feuillage du verger commençait donc à se dégarnir, tandis que de l’anthracnose était présente sur les brous. La quantité de noix, leur taille vont être forcément réduites ainsi que la production de 2021 car elle dépend directement du stress subi en été et à l’automne.
Seule lutte visible : des bols piégeurs contre la mouche du brou. « C’est le type même de situation où on peut se poser la question de l’équilibre économique de la culture d’une parcelle », s’interroge le nuciculteur.
J-M. E.