« Les trésoreries sont en train de se vider »
La FDSEA a convié la députée du Nord-Drôme à une matinée d'échanges au cours de laquelle l'irrigation et l'augmentation des charges ont constitué les principaux sujets abordés.

À Châteauneuf-de-Galaure, au sein du Gaec des Baratons qui compte 98 hectares de terre et de prairies, Anaïs Robert, installée en 2018, et ses parents, Odile et Eric, élèvent 150 chèvres de race saanen. Le lait (90 000 à 120 0000 litres produits par an) est transformé en picodon et autres spécialités à pâte lactique, le tout vendu à la ferme ainsi que sur des marchés, auprès de restaurants... Le 16 décembre, la salle de traite (rotative - 24 postes) a servi de terrain de discussion entre des adhérents et responsables de la FDSEA et la députée du Nord-Drôme, Emmanuelle Anthoine.
Anaïs Robert entourée de ses parents, Odile et Eric. ©AD26-CL
« Le Vercors n'a pas été retenu comme territoire sinistré par la sécheresse de 2022, c'est inadmissible », a déploré Sandrine Roussin en ouvrant les échanges. En cause, l'indice satellitaire de mesure de pousse de l'herbe (Airbus). Les éleveurs de Drôme et Isère ont manifesté le 19 décembre à Grenoble (lire page XX) pour dénoncer un dispositif jugé non fiable. Plus globalement, avec la mise en œuvre de la nouvelle gestion des risques climatiques au 1er janvier, FDSEA et Jeunes Agriculteurs demandent un dispositif d'évaluation des pertes « fiable et accepté par tous (éleveurs, assureurs et État), complété par une expertise sur le terrain ». La présidente de la FDSEA a dénoncé, aussi, la baisse des taux de prise en charge des pertes fourragères en 2022.
Le mètre cube à 0,25 €, voire plus !
Pourra-t-on irriguer en 2023 ? Cela reste la préoccupation majeure en Drôme avec la flambée du coût de l'électricité qui plombe le fonctionnement du Syndicat d'irrigation drômois (SID). L'an prochain, le prix du mètre cube pourrait atteindre 25 centimes d'euro, voire plus ! « Quel agriculteur va pouvoir payer ?, interroge Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d'agriculture de la Drôme et membre du bureau de la FDSEA. Ce n'est pas tenable. » (lire page 4) La crainte d'une banqueroute du SID n'est pas écartée. « Je me suis fortement impliquée dans ce dossier en interpellant Bercy à plusieurs reprises », a confié la députée Emmanuelle Anthoine. Elle annonce que le SID est éligible aux dispositifs d'aides mis en œuvre par l’État (guichet d'aide fin 2022, amortisseur électricité 2023), « avec effet rétroactif, ce qui devrait représenter 1,5 M€ pour 2022 et 6,5 M€ pour 2023 ». « C'est une avancée mais nous sommes encore loin de ce qui peut être acceptable », a estimé Jean-Pierre Royannez, saluant cependant la mobilisation de la députée ainsi que des sénateurs Bernard Buis et Gilbert Bouchet.
Une épée de Damoclès
Sandrine Roussin (présidente de la FDSEA de la Drôme) et Jean-Pierre Royannez (président de la chambre d'agriculture) ont évoqué l'irrigation, le foncier, l'augmentation des charges... ©AD26-CL
L'eau toujours, sujet éminemment sensible dans le Nord-Drôme où plane, depuis plus de dix ans, une restriction des prélèvements d'eau pour l'irrigation de 40 %. Les économies d'eau déjà réalisées par les agriculteurs ne sont pas reconnues, estiment les adhérents FDSEA et JA. « Sur ce territoire, il manque deux millions de m³ pour l'agriculture », a fait remarquer Jean-Pierre Royannez, également président de l'OUGC, l'organisme unique chargé de gérer les volumes d'eau par bassin. Il regrette que l'étude sur la modélisation de la nappe du Miocène ne soit pas encore rendue publique, « ce qui ne permettra pas d'anticiper la saison d'irrigation de 2024. Notre objectif, ajoute-t-il, c'est de pouvoir prélever de l'eau en plus là où c'est possible afin de mutualiser ensuite les volumes. » La députée a suggéré d'adresser un courrier à la présidente du conseil départemental. Par ailleurs, restent en suspens les créations de réserves d'eau, une seule semblant réglementairement possible à ce jour à Crépol. Encore faudra-t-il pouvoir la financer si le projet devait aboutir.
Fuite du foncier agricole
©AD26-CL
Pour les agriculteurs de la vallée de la Galaure, la situation est inadmissible. Ils ne se sentent ni écoutés, ni pris en compte et dénoncent des prises de décisions très éloignées des réalités du terrain. En matière foncière, le changement de destination des terres et des bâtiments inquiète. « On assiste à une fuite du foncier agricole », estiment-ils.
L’augmentation de 25 à 30 % des charges des exploitations agricoles est une autre source d'inquiétude, surtout pour 2023 alors que les cours des céréales fléchissent. « Les trésoreries sont en train de se vider », a alerté Jean-Pierre Royannez. En production bovine, avec la décapitalisation et la perte des ICHN (suite au déclassement du Nord-Drôme de la zone défavorisée), comment peut-on encore installer ?, s'interrogent les adhérents de la FDSEA et de JA. Ils craignent de voir la France perdre un peu plus de souveraineté alimentaire.
Pour faire aboutir les revendications, la présidente de la FDSEA appelle les agriculteurs à « s'investir pour un syndicalisme fort ». L'engagement, c'est aussi ce que la députée Emmanuelle Anthoine conseille aux agriculteurs pour faire valoir leur point de vue. Encore faut-il avoir du temps pour cela, une denrée devenue rare dans le monde agricole.
Christophe Ledoux