Point de vue
"Avec une eau à 0,30 euro le m³, il faut préserver les marges"

Avec un prix de l'eau en forte augmentation, assurer la rentabilité des grandes cultures nécessite quelques réflexions pour 2023. Éléments de réponses avec Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d'agriculture de la Drôme.

"Avec une eau à 0,30 euro le m³, il faut préserver les marges"
« Dans le contexte actuel, il faut que chaque exploitant revoit ses pratiques en privilégiant la préservation des marges et non les rendements », conseille Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d'agriculture de la Drôme. ©AdobeStock

À quel prix de l'eau doivent s'attendre les irrigants des réseaux collectifs drômois en 2023 ?

Jean-Pierre Royannez : «L'impact de la hausse du coût de l'électricité sur les réseaux collectifs d'irrigation du département gérés par le Syndicat d'irrigation drômois (SID) est désormais connu. Au vu des éléments dont nous disposons aujourd'hui, il avoisinera les 30 centimes d'euro le mètre cube, contre 12 centimes en 2022. C'est une hausse sans précédent, insupportable pour les exploitations agricoles. Ce dossier nous occupe en permanence depuis plusieurs mois et nous ne cessons d'alerter la puissance publique et l’État sur les dangers d'une telle situation pour notre économie agricole. »

Espérez-vous obtenir des aides pour amoindrir la hausse de ce prix de l'eau ?

J-P. R. : « Nous mettons toute notre énergie, tous les jours, à rechercher des solutions, et ce au plus haut niveau de l’État. Ainsi, le SID pourrait émarger à l'amortisseur électricité en 2023 et aux aides de l’État dispensées cette fin d'année 2022. Mais, à ce jour, tout reste à confirmer et aujourd'hui le contrat d'électricité du SID aboutit à un prix de l'eau à 0,30 € le m³. Notre combat pour faire baisser ce prix se poursuit. Cependant, il faut que les exploitants se préparent à une année 2023 compliquée. »

Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d'agriculture de la Drôme. ©AD26-CL

Que leur conseillez-vous ?

J-P. R. : « Dans le contexte actuel, il faut que chaque exploitant revoit ses pratiques en privilégiant la préservation des marges et non les rendements. Car vu les niveaux de charges, aller chercher les derniers quintaux avec l'azote ou l'irrigation va coûter trop cher en 2023. Mieux vaut revoir à la baisse son potentiel de rendement pour sécuriser une marge car les premiers quintaux sont les moins chers à obtenir. Si l'été 2023 devait être comme celui de 2022, pour un maïs avec un indice de précocité entre 560 et 600 et un objectif de 140 quintaux, il faudrait dix à douze passages d'irrigation sur la plaine de Valence. Aussi, en 2023, mieux vaut sans doute opter pour un maïs à indice de précocité 400 ou 450 avec une irrigation avant floraison puis deux ou trois autres en vue d'aller chercher 110 quintaux. Avec 1 500 à 2 000 m³/ha, il est possible d'assurer un résultat. Je ne dis pas qu'il faut viser une baisse de rendements ad vitam æternam, je dis juste qu'il faut sécuriser 2023 pour être encore là en 2024. Les calculs réalisés par les conseillers de la chambre d'agriculture (voir ci-dessous) sont là pour aider les céréaliers drômois à faire leurs arbitrages. »

Pensez-vous que cette situation d'énergie chère va perdurer longtemps ?

J-P. R. : « Avant 2022, aucun agriculteur ne connaissait le prix de l'énergie pour l'irrigation car il était ultra bas. Mais ça, c'est fini, nous n'aurons plus d'électricité à un prix aussi bas. En tant qu'agriculteur, il faut donc aller vers l'optimum en réduisant les charges pour conserver les marges. J'ajoute que personne ne peut prédire l'évolution du cours des céréales. Mais quoi qu'il en soit, la peur n'a jamais été bonne conseillère. Il faut donc semer et réduire ses charges de culture. Et pour ceux qui modifieraient leur assolement, il faut veiller à ce que cela ne vienne pas perturber l’éligibilité aux éco-régimes de la nouvelle Pac. »

Propos recueillis par Christophe Ledoux

CALCUL DE MARGES BRUTES :

Raisonner vos cultures de printemps pour faire face à l’inflation du prix de l’eau : calcul de marges brutes

Analyse technico-économique

Selon Victor Etevenot, conseiller grandes cultures à la chambre d'agriculture de la Drôme, ces simulations de marges brutes à vocation informative et pédagogique sont destinées à alerter les agriculteurs sur l’importance de leurs choix techniques. Ces chiffres nécessitent d’être adaptés aux contexte et spécificités de chaque exploitation.

La rentabilité calculée reste fortement dépendante des prix élevés de collecte malgré notre hypothèse d’une baisse de 10% par rapport à 2022.

L’augmentation du coût de l’eau diminue l’intérêt des cultures à forte demande hydrique comme le maïs et le soja. En revanche, les sorghos regagnent en intérêt grâce à leur meilleure tolérance à la sécheresse. Leurs rendements sont moins impactés par ces périodes de stress hydrique. Cependant, il faut s’interroger sur la demande faible des fabricants d’aliments du bétail afin de ne pas saturer la filière.

Les prix actuels très élevés des engrais nécessitent une réflexion approfondie pour la fertilisation. Selon la situation individuelle de chaque exploitation (analyse de sols, effluents d’élevage, sensibilité de la culture, ...), l’année est propice à un ajustement des apports de phosphore et de potasse.

Les choix d’assolement en fonction des futurs coûts d’irrigation vont être encore complexifiés par les exigences de la nouvelle PAC 2023-2027.

Les engrais verts, pour réduire la facture d’engrais !
Couvert de vesce pourpre.

Les engrais verts, pour réduire la facture d’engrais !

Le couvert végétal (repousses ou espèces implantées) présent pendant l’interculture peut avoir plusieurs appellations selon les objectifs qu’on lui donne. Il s’appelle Cipan (culture intermédiaire piège à nitrates) s’il a la fonction d’éviter le lessivage des nitrates, engrais vert quand il permet d’enrichir le sol en azote et culture dérobée s’il a un objectif de production (fourrage ou graines).

Les engrais verts, couverts végétaux à base de légumineuses, permettent ainsi d’enrichir le système en azote, grâce à la faculté de cette famille de plantes de piéger l’azote atmosphérique qui sera restitué au sol lors de la destruction du couvert, venant alors s’ajouter à l’azote déjà présent dans le sol. Les engrais verts sont depuis longtemps très utilisés en agriculture biologique comme une des bases de la fertilisation des cultures, mais gardent tout leurs intérêts en agriculture conventionnelle, d’autant plus dans le contexte actuel du coût important des engrais minéraux.

Des expérimentations menées par la chambre d’agriculture de la Drôme de 2000 à 2005, en bio, ont par exemple montré qu’un couvert de luzerne semé sous couvert du blé précédent, ou un couvert de vesce pure semé en fin d’été après la récolte du blé, permettent d’obtenir un rendement autour de 120 q/ha du maïs implanté après leur destruction. Ils égalent ainsi une fertilisation à hauteur de 10 t/ha de fumier de volaille, soit une fourniture d’azote au maïs de 150 à 200 uN/ha. Au niveau économique, les gains en marge brute dépassent 1 500 €/ha en comparaison du témoin « maïs non fertilisé ».

Des résultats similaires ont pu aussi être obtenus avec un couvert de féverole implanté en interculture entre un blé et un tournesol : hausse du rendement de 25 % et gain en marge brute dépassant 100 €/ha.

Enfin, même en interculture courte entre deux blés, des engrais verts de courte durée ont montré tout leur intérêt, dans des conditions climatiques favorables, tant au niveau agronomique qu’au niveau économique : gain de rendement de 50 % par rapport au témoin non fertilisé et gain en marge brute supérieur à 250 €/ha, alors qu’une fertilisation à hauteur de 80 uN/ha d’engrais organique n’amène que 20 % de rendement supplémentaire et une perte économique de 550 €/ha environ.