Innovation
Le patrouilleur des cultures

Le robot Sentiv, développé par la start-up iséroise Meropy lauréate France 2030 en Agritech, scanne les cultures pour en identifier tous les agresseurs. Une dizaine d’exemplaires vont entrer en application.

Le patrouilleur des cultures
Sentiv est un robot embarqué sur deux roues d’un mètre de diamètre montées sur douze rayons. Bourré d’électronique, de capteurs et de caméras, il surveille et scanne les cultures. © DR

C’est un drôle d’insecte qui se déplace désormais dans les champs. Sentiv est un robot embarqué sur deux roues d’un mètre de diamètre montées sur douze rayons. Bourré d’électronique, de capteurs et de caméras, il surveille et scanne les cultures. Ravageurs, adventices, maladies, il a l’œil sur tout. Ce robot est développé par la start-up Meropy (Crolles, 8 salariés), créée en 2019 par Guillemin Raymond et William Guitton, respectivement roboticien et ingénieur agronome.
En phase de décollage, l’entreprise s’apprête à livrer sur le marché une dizaine de ces engins et prévoit une levée de fonds d’un million d’euros cette année. « L’idée est venue d’un besoin, explique William Guitton. Avec nos connaissances dans le monde agricole et le numérique, nous voulions proposer aux agriculteurs une solution simple à utiliser pour surveiller la pression sur les cultures. »

Intelligence artificielle

Sentiv est capable de délivrer « une information au m2 près », assure le dirigeant. Et répond donc à la nécessité « de rationaliser les pratiques et de réduire les doses d’intrants. Nous sommes les seuls au monde à avoir un tel vecteur, peu coûteux et capable de fournir autant de données. Le potentiel de l’entreprise repose dessus », assure William Guitton. Car ce qui fait la force de ce robot, c’est son intelligence artificielle. La collecte des données, leur extrême précision, permet de délivrer une cartographie de la parcelle et un diagnostic ciblé.
Dans les locaux de l’atelier relais de la ville de Crolles (Isère) où est installée la start-up, les ingénieurs travaillent sur des bases de données de façon à « entraîner l’intelligence artificielle » et ainsi améliorer la traque de la moindre pousse de mauvaise herbe, trace de fusariose ou arrivée d’insecte. « C’est un cercle vertueux, plus nous aurons de robots qui tournent et plus nous enrichirons notre base de données », note le dirigeant.
Les principaux clients de Meropy sont les coopératives, le négoce, les semenciers, les instituts techniques et de recherche « et tous les acteurs qui font de la prescription technologique au monde agricole », précise William Guitton. Les bénéficiaires sont les agriculteurs, de façon à optimiser leurs itinéraires culturaux et à baisser leurs IFT1, en sachant quand intervenir au plus près de la plante.
Les tests et la qualification de Sentiv sont menés sur les parcelles de céréales de David Amblard, à Saint-Nazaires-Les-Eymes (Isère). Le robot a connu de nombreuses versions. Son développement épouse le pas de temps de l’agriculture, le cycle des cultures. Réputé autonome, les ingénieurs veulent limiter au minimum les risques en bordures de parcelle ou de sortie de zone de Sentiv. L’objectif est de pouvoir installer plusieurs robots dans des parcelles d’un secteur, les laisser établir leur cartographie pendant huit heures et les récupérer en fin de journée. Sentiv présente l’avantage d’être rapidement escamotable et facilement transportable. Les rayons des roues se fixent en quelques secondes et il ne pèse que 15 kg. Il peut intervenir durant toute la phase de levée des cultures, mais les ingénieurs réfléchissent aussi à des rayons télescopiques pour augmenter le diamètre des roues et pouvoir enjamber les plantes encore plus longtemps.

Enjeux parallèles

Repérée avant même d’avoir lancé son premier prototype, la start-up a présenté son projet dans des Salons nationaux et internationaux et s’est distinguée par de nombreux prix. L’occasion pour les créateurs de prendre la mesure « des enjeux parallèles ». « À chaque fois que nous allons au Salon de l’agriculture, on nous demande si notre robot peut faire peur aux oiseaux », expliquent les créateurs. L’effarouchement, ils n’y avaient absolument pas pensé. « Nous allons livrer un robot en Bretagne pour un dispositif expérimental mené par le CTIFL et un semencier sur le brocoli », déclare William Guitton. Si Sentiv est capable de faire peur aux corneilles, corbeaux, pigeons et autre choucas au moment des semis, cette nouvelle application peut offrir une diversification du produit sans le complexifier. « Les gens qui voient notre robot se projettent. À l’origine, c’est un robot enjambeur de grandes cultures et nous n’aurions pas pensé qu’il puisse être utilisé en maraîchage ! » Maïs, lavandes, les développeurs sont prêts à relever les défis, à condition que des partenaires les épaulent.

Nouvelle levée de fond

Dès sa création, la start-up a su s’entourer. Les créateurs ont bénéficié du dispositif Arce, d’Aide à la reprise et à la création d’entreprise pour les demandeurs d’emploi. Ils ont été accompagnés par le Réseau entreprendre, ce qui leur a permis d’obtenir un prêt d’honneur, un prêt bancaire et aides BPI. Ils ont aussi été incubés par le Village by CA. Ils ont effectué une première levée de fonds au printemps 2022 avec les Business angels de Grenoble et ont également bénéficié de subventions. Ils commencent aussi à dégager un peu de chiffre d’affaires et préparent une nouvelle levée de fonds d’environ un million d’euros. « Nous avons fait beaucoup de concours et de prix, mais nous avons arrêté car c’est trop chronophage », expliquent les deux créateurs.
Aujourd’hui, la start-up « fabless » (sans usine) a confié la fabrication de Sentiv à Axandus, une société lyonnaise, accélérateur industriel qui accompagne les jeunes pousses dans les préséries et les séries.

Isabelle Doucet

1. IFT : Indice de fréquence de traitement.

“ Les robots commencent petit  à petit à rentrer dans les mœurs ”

Le Forum international de la robotique agricole (Fira) s’est tenu du 7 au 9 février à Auzeville-Tolosane dans la banlieue de Toulouse. L’occasion pour sa directrice, Gwendoline Legrand, de faire le point sur le marché des robots en France et de présenter les dernières nouveautés.

Quels sont encore les freins qui empêcheraient les agriculteurs d’acheter des robots ou des machines autonomes ? 
Gwendoline Legrand : « Ils sont encore nombreux. Il existe des freins philosophiques, psychologiques et sociétaux que l’on pourrait résumer par la crainte de la dépossession. Laisser la main à une machine n’est pas évident. Ils nourrissent, plus souvent à tort qu’à raison, la crainte que cette machine fera le travail moins bien que leur propre main. Les agriculteurs craignent aussi de ne pas savoir bien programmer ces robots, un sentiment qui disparaît généralement bien vite avec une indispensable session de formation, que ce soit directement par le constructeur, soit par l’intermédiaire du distributeur qui aura lui-même été formé par le constructeur. Puis les échanges avec les constructeurs permettent, en amont de la mise sur le marché, des adaptations. L’objectif des constructeurs est de rendre l’utilisation plus simple, plus ergonomique, plus pratique. Il existe enfin un dernier frein : celui de la rentabilité et du financement. Mais là encore c’est un verrou qui peut être contrecarré : acheter un engin agricole, un tracteur, une moissonneuse, etc, n’est jamais anodin. Acquérir un bien reste un acte réfléchi. »

Comment se porte le marché du robot agricole aujourd’hui en France ? 
G.L. : « Il se porte plutôt bien et commence à prendre un peu d’ampleur. En 2021, la France ne comptait pas moins de 15 000 robots dont 80 % pour la traite. D’après un récent sondage réalisé par notre association Gofar, 29 % des agriculteurs français envisageait d’investir dans un robot dans les cinq ans à venir, principalement (à 78 %) pour améliorer la productivité de leur exploitation mais aussi pour réaliser des tâches spécifiques (44 %), améliorer la qualité au travail. Au plan mondial, la robotique agricole se développe aussi. Pas moins de 15 000 robots ont été vendus en 2021, 19 000 en 2022 et les projections pour 2023 font état de 22 000 ventes. » 

Propos recueillis par Christophe Soulard