PHYTOSANITAIRE
Soigner les plantes par les plantes

À Andance (Ardèche), l’entreprise l’Herbier Phylae fabrique des biosolutions à partir des principes actifs des plantes. Une alternative aux produits de synthèse pour une agriculture durable et performante.

Soigner les plantes par les plantes
La Prêle des champs, l’ortie, le pissenlit et l’ail sont utilisés dans de nombreuses biosolutions proposées par l’Herbier Phylae. ©PDD

«Une agriculture moderne, en relation avec son environnement » : c’est la philosophie de Laurent Strelow, gérant de l’entreprise l’Herbier Phylae, à Andance (07). Il y a quatre ans, celui qui est notamment passé par l’industrie des engrais et la culture hydroponique s’est lancé un nouveau défi : trouver dans l’environnement des solutions aux problématiques de l’agriculture. En 2018, à presque 50 ans, cette réflexion l’amène vers un modèle plus proche de dynamiques présentes à l’état sauvage.
Face aux insectes, l’idée n’est plus d’éliminer les ravageurs mais d’ôter l’attractivité de la parcelle en développant des répulsifs. La résistance au froid peut, elle, être améliorée en s’appuyant sur les hormones de plantes ayant développé cette capacité. « Dans les produits de synthèse, il y a souvent une molécule, voire deux… Mais dans une plante, on a entre 70 et 100 molécules. Si on les combine, on obtient un nombre de possibilités délirant », argue-t-il. Dans un contexte d'arsenal phytosanitaire réduit, l'Herbier Phylae cherche à proposer des alternatives crédibles et accessibles. « Il faut compter 30 à 50 euros l'hectare pour ce type de traitement. C'est à peu près le même budget que des produits de synthèse », assure le gérant.

Laurent Strelow, fondateur et gérant de l’Herbier Phylae. ©PDD

L’art d’associer les plantes

À Andance, dans l'ancien entrepôt de fruits de Savajols, Laurent Strelow et ses quatre salariés extraient, grâce à la fermentation, les principes actifs des plantes. « Ces composés organiques se trouvent dans différentes parties des végétaux : l’écorce, la racine, les feuilles… Une fois extraits, tout l’art est de savoir les associer », souligne le gérant. Une fois terminée, la solution est composée de 80 % de plantes et d’autres éléments tels que des huiles, oligoéléments, calcium, magnésium, etc.
Dans ce bâtiment de 4 000 m², les chambres froides héritées de Savajols permettent de garder une température constante toute l’année. Un critère essentiel alors que la fermentation doit être réalisée à 20 °C, tandis que la température de stockage est comprise entre 12 et 15 °C. Autre avantage : se trouver au plus près de la matière première. « La Drôme et l’Ardèche disposent de 4 000 espèces végétales, souligne l’herboriste. C’est plus de la moitié des espèces présentes dans tout le pays. » Une diversité sur laquelle s’appuie l’Herbier Phylae, avec une soixantaine de plantes utilisées dont la majorité est récoltée localement. Outre la cueillette sauvage, l’entreprise s’approvisionne surtout auprès de producteurs du territoire en travaillant avec les Drômois du Domaine des arômes provençaux et d’Elixens.

Le biocontrôle séduit la viticulture

Avant de s’installer en Ardèche, il y a deux ans, Laurent Strelow a testé ses fabrications non loin de là, dans une ferme fruitière et maraîchère du nord de l’Isère. « Cette station d’essai à grande échelle nous a permis d’aller très vite », se réjouit l’entrepreneur. Quatre ans seulement après sa création, l’Herbier Phylae a déjà atteint l’équilibre financier. En 2022, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires annuel de 1,2 million d’euros pour plus de 200 000 litres de produits écoulés, en France, et même à l’étranger (Suisse et Italie).
S’il passe par des grossistes pour la vente - notamment Cooptain à Tain l’Hermitage -, le fondateur de l’entreprise cherche toutefois à rester en lien avec les agriculteurs qui utilisent ses produits. « Il y a un travail de suivi pour adapter nos fabrications aux attentes et besoins du terrain », assure Laurent Strelow. Parmi ses plus fidèles clients, l’Herbier Phylae compte notamment des viticulteurs qui cherchent à limiter les traitements. D’autres secteurs font aussi appel à ces biosolutions, particulièrement dans l’agriculture conventionnelle puisque le bio ne représente que 20 % du chiffre d’affaires.

« Les traitements ne sont pas forcément toxiques »

« Je n’ai rien inventé. L’ail, le purin de consoude, l’ortie… Toutes ces plantes sont utilisées depuis des siècles ! », rappelle Laurent Strelow. Pourtant, malgré leur usage ancestral, ces « préparations naturelles peu préoccupantes » (PNPP) n’ont acquis un cadre légal dans le code rural que récemment. Le premier décret, publié le 27 avril 2016, autorise les substances naturelles à usage de biostimulant. Par la suite, d’autres textes ont permis d’élargir encore le champ d’application des PNPP en 2019, puis 2021.
Si ces techniques sont héritées de plusieurs siècles d’agriculture, pas question pour autant de revenir en arrière. « Pour nourrir huit milliards de personnes on a besoin d’une agriculture performante », insiste-t-il. En toile de fond, le travail de Laurent Sterlow mise aussi sur une réconciliation de la société civile avec l’agriculture. « À l’état naturel, on ne trouvera jamais de grosses tomates, ça serait bien trop gourmand en énergie… L’homme a sélectionné des plantes avec des faiblesses parce qu’elles étaient intéressantes pour lui. La contrepartie, c’est qu’il faut accompagner ces plantes ! On a besoin d’expliquer au public que les traitements ne sont pas forcément toxiques. »

Pauline De Deus