Découverte
Michel Cambon,  la fine mine de l’agriculture

Portrait / Chaque semaine, dans nos colonnes, un dessin de presse éclaire avec humour l’actualité agricole. Mais qui se cache derrière les traits de ces dessins. Rencontre avec Michel Cambon, dessinateur de presse depuis plus de trente ans.

Michel Cambon,  la fine mine de l’agriculture
Michel Cambon a décroché en 2013 un prix européen pour l’un de ses dessins sur la guerre en Syrie. « Pour ce prix, j’ai gagné une statuette imaginée par Ever Meulen, un artiste que j’admire et que j’ai pu rencontrer lors de la remise à Bruxelles », se souvient le dessinateur de 57 ans. © Apasec

Lunettes rondes juchées sur le nez. Petit sourire aux coins des lèvres. Regard pétillant empli de malice et de bienveillance. Michel Cambon fait partie de ces rencontres qui vous marquent. Discret et timide, comme il se décrit lui-même, ce dessinateur de presse, qui vous fait éclater de rire ou sourire chaque semaine dans les colonnes de votre hebdomadaire agricole, a pourtant la pointe de son crayon bien aiguisée pour poser sur le papier journal l’actualité agricole du moment. Toujours avec un trait d’humour très fin, Michel Cambon a crayonné plus de trente ans d’évolution agricole. « J’ai plus ou moins vu naître la politique agricole commune (Pac) et l’ai vu évoluer au fil du temps », sourit l’artiste qui se souvient aussi du retour du loup en Isère notamment. Surtout, ce passionné de journalisme et d’information de 57 ans a été marqué par les changements sociologiques au sein de l’agriculture qui se sont opérés au cours de ces trente années où il a tenu le crayon.

L’agriculteur comme il est vraiment

Pour ce fin observateur, la profession agricole a beaucoup évolué au fil du temps. « Quand mes grands-parents étaient paysans, ils regardaient les tâches administratives de très loin, aujourd’hui elles représentent une grande part du quotidien des agriculteurs. » Alors, quand il s’agit de croquer un agriculteur, Michel Cambon le reconnaît lui-même : « C’est parfois difficile de le représenter comme il est réellement, sans tomber dans les clichés ». Pour autant, il est difficile de ne pas dessiner les agriculteurs en habit de travail, ou un ministre en costume, pour que les lecteurs comprennent au premier coup d’œil de qui il s’agit. Une difficulté de représentation exacerbée par l’avènement des réseaux sociaux où les agriculteurs ont à cœur, à juste titre, de montrer les réalités de leur métier qui devient chaque jour de plus en plus technique et parfois de plus en plus éloigné des consommateurs. « Autrefois, nous avions tous un lien avec l’agriculture. Aujourd’hui, c’est moins le cas », reconnaît Michel Cambon. Alors, pour trouver l’inspiration et palper ce qui se passe dans les campagnes, le journaliste écoute beaucoup la radio, lit la presse quotidiennement… car si c’est par le dessin que Michel Cambon a décidé d’informer, celui qui est fier de posséder la carte de presse est avant tout un passionné de l’information.

Passionné d’actualité

Son aventure journalistique commence d’ailleurs très tôt sur les bancs de l’école. Cet Audois d’origine qui a « pris depuis racines à Grenoble en Isère » s’est intéressé à l’actualité au lycée Champollion. « Avec des copains, nous animions le journal du lycée », se souvient Michel Cambon. Doué en dessin, très vite il met ce don au service du journal du lycée car, pour lui et l’ensemble de ses amis, le dessin est un véritable support d’information. Depuis Michel Cambon n’a jamais rangé le crayon. Il parvient à publier son premier dessin de presse « officiel » en 1991 dans un hebdomadaire local grenoblois Les Affiches de Grenoble, puis rapidement dans Terre Dauphinoise et le Travailleur alpin. « J’ai de la chance, car j’ai toujours pu trouver des collaborations localement », note le dessinateur de presse. Depuis, il publie dans différents titres de presse locaux et nationaux.

« Incompréhensible ! »

Comme celui d’agriculteur, le métier de dessinateur de presse n’est pas le même qu’il y a trente ans, à ses débuts. « À l’époque, presque tous les journaux publiaient des dessins de presse. Nous avons connu un premier virage économique avec le développement du numérique. Les maquettes ont changé. Le dessin de presse a connu un petit creux », raconte-t-il. Ce creux de la vague s’est passé avant les attentats contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015. Si l’événement inqualifiable a été une véritable blessure pour l’ensemble de la profession, et bien au-delà, il a, selon Michel Cambon, « remis en lumière » son art. « Le dessin a une réelle puissance et peut être mal compris des lecteurs. Il existe de réels codes humoristiques propres à chaque pays, chaque culture. Même traduit, un dessin n’aura pas la même portée s’il est lu en France ou à l’étranger. En France, par exemple, nous cherchons la blague, alors qu’en Espagne, les dessins sont très sérieux. Les codes ne sont pas les mêmes. Pour autant, il ne faut pas oublier que le dessinateur se place toujours du côté du faible. » Alors, en ce 7 janvier 2015, Michel Cambon se souvient de son incompréhension face à la barbarie et repense à la tristesse qu’il a ressentie en apprenant la disparition de son ami Tignous ou encore de Cabu et Wolinski, deux dessinateurs qu’il admirait. Toutefois, si de vrais artistes ont été fauchés ce jour-là, les terroristes n’ont pas pour autant gagné. S’il voulait faire taire les crayons, leur geste a eu, selon Michel Cambon, « l’effet inverse ». Tous se souviennent des manifestations monstres qui ont eu lieu aux lendemains de l’attentat. « C’était très touchant ! » souffle le dessinateur grenoblois qui ne compte pas ranger les armes et continuera longtemps à analyser et à croquer l’actualité agricole. 

Marie-Cécile Seigle-Buyat

Qu’est-ce qu’un dessin de presse ?  

Le centre pour l’éducation aux médias et à l’information (Clemi) définit le dessin de presse comme « la représentation graphique d’un événement de l’actualité par un observateur à la fois artiste et journaliste. Il s’apparente cependant plus au billet d’humeur (pour le parti pris) ou au billet d’humour (pour l’ironie et le trait d’esprit) qu’à l’article informatif. » En France, le terme « dessin de presse » est apparu pour la première fois en 1979. L’auteur peut recourir à différents types de dessin (caricature, reportage dessiné, croquis d’audience…). Il témoigne toujours d’un regard personnel du dessinateur sur l’actualité. Le dessin de presse invite le lecteur à porter un regard différent sur un événement et à se faire son propre jugement. « Les dessins ont pour fonction de faire rire (ou sourire), de faire réagir ou de déranger, d’éveiller l’esprit critique des lecteurs, de faire débat », selon le réseau Canopé. Ils ne se lisent jamais au premier degré. « Mode d’expression synthétique sur l’actualité, réduit à quelques traits, sans détails superflus, il permet facilement à l’œil du lecteur d’identifier à peu près instantanément des formes simples qui ne sont pas utilisées au hasard par le dessinateur. » En revanche, il est lié à un événement précis dont on ne peut pas l’isoler. Il s’inscrit dans « l’éphémère ». 

Portrait chinois de Michel Cambon

Portrait chinois de Michel Cambon

Sa couleur : rouge.
Son artiste : Giorgio Morandi, peintre et graveur italien.
Sa chanson : Général à vendre de Francis Blanche, une vieille chanson interprétée par les Frères Jacques. Seule chanson dont il connaît les paroles de la première à la dernière strophe.
Son livre : The Labyrinth de Saul Steinberg, dessinateur de presse pour le New Yorker.
Son influence : Tomi Ungerer, dessinateur, illustrateur et auteur alsacien. 
Son plat : lentille du Puy-en-Velay avec une saucisse fumée de Morteau.
Sa madeleine de Proust : la montée de Montmija dans l’Aude, hameau d’où il est originaire.