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Culture de la truffe : quels itinéraires techniques suivre ?

Focus sur le cycle de vie de la truffe et les interventions techniques favorables au développement et à l’entretien d’une plantation.

Culture de la truffe : quels itinéraires techniques suivre ?
La première technique à mettre en œuvre intervient lorsque la plantation est jeune, avec un travail du sol fréquent pour retirer l’herbe autour des arbres et une taille régulière. ©DR

Présente à l’état naturel ou cultivée, la truffe est un champignon mycorhizien vivant en symbiose avec les arbres via leurs racines. Une culture complexe à appréhender tant son mode de reproduction et son développement sont difficilement observables. Aujourd’hui, les plantations assurent près de 95 % de la production française. Des arbres auxquels les pépinières ont associé le champignon mycorhizien au niveau de leurs racines.

« Le point de départ, c’est l’arbre »

La truffe n’est pas une culture qui permet uniquement de valoriser des terrains situés dans les sols superficiels et pentus. Elle peut être aussi très pertinente sur les zones plutôt plates. Les meilleurs résultats sont souvent obtenus sur des sols profonds, très riches, avec une forte rétention en eau, explique Claude Murat, ingénieur de recherche à l’Inrae Grand-Est dont les travaux portent depuis de nombreuses années sur les truffes. « Il faut toujours garder en tête que c’est une culture. Si on la met sur des terrains difficilement mécanisables, l’entretien sera très compliqué », insiste-t-il. Parmi les caractéristiques importantes à retenir pour ce type de plantation : « Des sol à PH neutre à basique, compris entre 6,5 et 8 pour la truffe de Bourgogne et entre 7,5 et 8,5 pour la truffe du Périgord, avec un peu de calcaire, même si on n’a pas besoin d’en avoir beaucoup, des sols drainants (texture), pas trop lourds et pas asphyxiants », souligne-t-il.
La culture de la truffe nécessite certaines pratiques culturales, prévient-il. « Le point de départ, c’est l’arbre. Il faut veiller à acheter des plants truffiers bien mycorhizés, c’est pourquoi il faut privilégier les pépiniéristes contrôlés par l’Inrae et le CTIFL1. » Deux pépiniéristes travaillent sous licence avec l’Inrae : Pépinières Robin (Hautes-Alpes) et Agritruffe (Gironde). Une petite douzaine est aussi contrôlée par le CTIFL. Chaque année, environ 300 000 plants sont vendus en moyenne en France, équivalent à un millier d’hectares de plantation.

Taille et travail du sol

Après la plantation, les arbres et les sols doivent être travaillés. La première technique à mettre en œuvre intervient lorsque la plantation est jeune, avec « un travail du sol fréquent pour retirer l’herbe autour des arbres, ce qui peut éventuellement être fait par un paillage, et une taille régulière des arbres, dès la plantation ou après un à deux ans, pour multiplier les branches et leur faire prendre du diamètre au collet, en résumé les faire vieillir. Lorsque les arbres auront atteint une taille leur permettant de produire des truffes, souvent vers 3-4 ans, le travail du sol ne sera pratiqué qu’une seule fois par an, en général en mars, lorsque le temps le permet », détaille Claude Murat. 

Un arrosage ponctuel essentiel

L’eau est un facteur critique pour toutes les productions agricoles, la trufficulture ne fait pas exception à la règle. Durant les 3 à 4 premières années, l’arrosage doit être limité aux périodes de fortes sécheresses afin que les arbres ne souffrent pas. Un excès d’eau en début de plantation entraîne une diminution du taux de mycorhizes. Ensuite dans la truffière en production, l’arrosage a pour objectif de faire survivre les truffes nées dans le sol. « Par définition, la truffe est un champignon, elle a besoin d’eau, donc il est important de penser dès le début à l’arrosage », rappelle le chercheur. Un arrosage ponctuel est essentiel à partir du printemps et les apports seront réguliers en juillet et en août. Les volumes nécessaires dépendent du sol, de l’âge des arbres, du climat, mais souvent n’excèdent pas 500 m3 à l’hectare dans le sud-est de la France en année très sèche, assure Claude Murat. L’arrosage permet de « multiplier par 5 à 6 » son potentiel de production « voir avoir des truffes contre ne pas en avoir selon les années ». Dans le cadre du programme national d’expérimentation CulturTruf financé par FranceAgriMer, un seuil d’arrosage a été défini à pF 4 (le pF mesure la force nécessaire pour extraire l’eau du sol) pour les plantations en production. Il correspond presque au point de flétrissement. La plupart des sondes de mesure et de gestion d’arrosage proposées sur le marché n’étant pas adaptées à ces seuils, ou trop coûteuses pour des trufficulteurs, un outil dédié a été créé par la start-up Wetruf2 : PF Tracer OneTM. Il permet de mesurer le potentiel hydrique du sol en pF, indiquant la disponibilité en eau, grâce à des sondes à plâtre insérées aux pieds des arbres truffiers, donnant le signal d’arroser. L’utilisation de sondes permet un arrosage piloté avec une bonne gestion de la ressource en eau. En association avec l’arrosage, des expérimentations sont en cours pour trouver les meilleurs paillages permettant de réduire les arrosages mais aussi de baisser la température du sol.

Réensemencement des arbres

Une dernière technique culturale est l’apport de spores, impliquées dans la reproduction du champignon mycorhizien qui permet la fructification, à réaliser lors du travail du sol voire au moment de la récolte. « Nous ne savons pas exactement à quel moment naissent les truffes, donc l’apport de spores doit se faire à ces moments-là (avant les naissances), pour ne pas les détruire. » Après avoir germé dans le sol, la spore va développer des filaments (mycéliums), dont certains d’entre eux rencontreront les racines de l’arbre pour établir la symbiose (mycorhizes) et d’autres se mêleront à d’autres mycéliums compatibles (reproduction sexuée) permettant de former de petites truffes à partir des mois de juin/juillet. Reliées à l’arbre pour leur nutrition, elles se développeront pendant plusieurs mois dans le sol. « Sur cette période, l’objectif est de les maintenir en vie, en arrosant, en évitant le passage de sangliers, le tassement, en travaillant avec des paillages… », souligne le chercheur.

Maintenir le milieu ouvert

Une fois que les arbres sont potentiellement entrés en production (diamètre de 4 à 5 cm au collet), il est conseillé d’effectuer un travail du sol seulement entre mars et mi-avril et de poursuivre la taille, « au lamier par exemple pour les plus grandes plantations », indique Claude Murat. L’idée est de stabiliser les arbres le plus possible. « Les truffes apprécient les environnements ouverts. Dès que le milieu se referme, d’autres champignons prennent le dessus », prévient-il. L’antécédent cultural est important : « La vigne ou les céréales ne sont pas concurrentielles, mais d’autres arbres, mêmes truffiers, enrichissent le sol en champignons concurrentiels. En général il faut éviter d’avoir à proximité des arbres truffiers d’autres arbres, arbustes ou plantes qui vont consommer inutilement de l’eau. La proximité d’une forêt, elle aussi, peut poser un problème si on a la malchance d’avoir un champignon très compétitif susceptible de prendre la place de celui de la truffe. » 
A.L.

1 Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes.
2  Crée en 2019 en s’appuyant sur des éléments recueillis par les laboratoires de l’Inrae, Wetruf propose de nombreuses offres de service aux trufficulteurs.

Les principales espèces de truffes produites en France

Près de 180 espèces de truffes ont été recensées dans le monde et une trentaine en Europe. En France, deux grandes espèces sont cultivées. La truffe noire ou « Truffe du Périgord » (Tuber melanosporum) bénéficie de la meilleure maîtrise technique et se cultive dans le sud-est et sud-ouest de la France, en Charentes et Touraine, plus récemment dans le nord-est. La truffe de Bourgogne ou « Truffe grise » (Tuber aestivum var uncinatum) est cultivée, quant à elle, dans le nord-est essentiellement. Parmi les autres espèces, la truffe brumale ou « Truffe musquée » (Tuber brumale) est non cultivée mais récoltée, et la truffe d’été ou « Truffe de la Saint Jean » (Tuber aestivum) est présente partout en France. Enfin, la truffe blanche d’Italie, aussi connue sous le nom de « Truffe d’Alba » ou « truffe du Piémont » (Tuber magnatum pico), se développe timidement en France. Pour cette espèce rare et prestigieuse, la plus chère du marché, l’achat de plants certifiés par l’Inrae est accessible depuis une quinzaine d’années. Une plantation en production dans un environnement agricole existe en Nouvelle-Aquitaine. Elle a commencé à produire en 2019, âgée alors de 4 ans et demi, et produit depuis tous les ans. Si le sol et l’environnement le permettent, il ne faut donc pas négliger cette espèce à forte valeur ajoutée. 

“ Une vraie culture ! ”
Claude Murat. © DR

“ Une vraie culture ! ”

La culture de la truffe représente une source de diversification intéressante, à condition de se former, conseille Claude Murat, ingénieur de recherche à l’Inrae Grand-Est.
Comment conseillez-vous les trufficulteurs qui rencontrent une baisse voire une absence de production sans raison apparente ?
Claude Murat : « Chaque cas est particulier. La plus grande partie des producteurs qui nous contactent parce qu’ils n’ont pas de truffes, sont peu ou pas intervenus sur leur truffière et ont des résultats très aléatoires, ou ils ne se sont pas assurés que leur terrain était propice à cette culture, ou ils n’arrosent pas alors que le climat est de plus en plus sec par période. C’est une vraie culture ! Si les arbres sont de bonne qualité, le terrain bien choisi et qu’on a bien travaillé, on va récolter. Après, il est impossible de dire si on va récolter une truffe par an ou 50 kg. On ne peut jamais prévoir la production. C’est pourquoi, il est compliqué de baser un modèle économique uniquement sur la truffe mais elle est par excellence une culture de diversification. »
Quels intérêts présente-t-elle ?
C. M. : « Elle n’utilise pas d’intrants chimiques, favorise la biodiversité car juste un travail superficiel sur les premiers 8 à 10 cm du sol est réalisé une fois par an, le plus souvent sur le rang en laissant l’inter-rang enherbé. Une étude réalisée dans le Gard a montré que les plus forts indices de diversité végétale se trouvaient dans des truffières, comparé à ceux d’autres cultures, voire à ceux de la garrigue. En plus de favoriser la biodiversité, elle permet via la plantation d’arbres et la strate herbacée d’inter-rang de contribuer à stocker du carbone. Enfin, on peut planter en agroforesterie en espaçant les rangs de truffiers et la truffe est aussi un excellent outil de communication pour l’agritourisme. Un dernier point à noter est l’utilisation de truffières comme barrières à feu, ce qui est réalisé depuis plusieurs années en Espagne. En trufficulture, il faut une approche professionnelle, laisser l’empirisme derrière nous, c’est pourquoi il y a un réel intérêt de se former et de suivre des interventions techniques précises. » 

Propos recueillis par A.L.