Le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie défend ses positions
Dans un entretien accordé à la presse agricole, le ministre de l'Agriculture prend position en faveur d'un nouveau cadre réglementaire pour les nouvelles biotechnologies (NBT), aujourd'hui associées à la réglementation OGM. Julien Denormandie se détermine par ailleurs sur plusieurs sujets brûlants : plan pollinisateurs, réhomologation du phosmet, similis végétaux de viande.

La consultation sur le plan pollinisateurs a été prolongée. Suivre l'avis de l'Anses sur la révision de l'arrêté dit Abeilles impliquerait des changements potentiellement assez lourds pour les fabricants et les agriculteurs. Quelles sont vos lignes rouges sur le sujet ?
Julien Denormandie : « Sur ces sujets, il faut avancer avec méthode. J'insiste là-dessus. Il était important que l'on desserre le calendrier. En décembre, un émoi a été ressenti par beaucoup de professionnels, qui estimaient que l'on ne travaillait pas avec eux. Ce n'est pas ma méthode. Je crois dans la concertation, donc nous allons retravailler jusqu'au mois de mars, dans la concertation, avec les représentants du monde agricole, apicole et autres parties prenantes. D'abord, il y a une question de « bol alimentaire » des abeilles qui est essentielle. Il faut créer des espaces de floraison au printemps pour les abeilles. On peut le porter de manière proactive. Deuxième point, il y a des pratiques culturales sur lesquelles on peut travailler. Et la profession a déjà produit des guides d'utilisation de ces produits. Enfin, il y a l'arrêté dit « abeille » de 2003. Sur ce dossier, j'ai plusieurs lignes rouges. L'une, importante à mes yeux, c'est que la question des conditions de travail soit prise en compte. Quand j'entends certains qui proposent d'obliger les agriculteurs à travailler la nuit, je dis non. Les agriculteurs sont des pères et mères de famille, qui se lèvent déjà tôt le matin et se couchent tard le soir. Et nous sommes dans un pays de progrès. Qu'on puisse utiliser plus intelligemment certains produits, bien sûr. Il faut en même temps veiller à ce que le système d'homologation ne devienne pas tellement complexe que les fabricants de ces produits finiraient par y renoncer, ce qui est une crainte en arboriculture. »
Le phosmet est sur le gril au niveau européen. Quelle est la position française ?
J.D. : « Le phosmet est une molécule qui pose problème. Avec raison, il faut l'admettre. Et il y a un très large consensus de nos partenaires européens contre le renouvellement de son homologation. Je suis bien conscient que cela poserait de grandes difficultés pour la filière colza, qui est très importante pour moi, pour des raisons de souveraineté alimentaire. Il faut donc mettre beaucoup d'énergie pour trouver des solutions. Cela veut dire qu'il faut trouver des alternatives le plus rapidement possible, et j'étudie actuellement la possibilité d'accélérer l'homologation de nouveaux produits. Mon objectif est de ne pas laisser les agriculteurs sans solution. En attendant ces éventuelles alternatives, il nous faudrait un laps de temps nécessaire pour se préparer. Les discussions sont en cours au niveau européen. »
Quelle est votre position sur les NBT ? Vous y paraissez plus ouverts que vos prédécesseurs.
J.D. : « Il faut être très pédagogue sur le sujet. Les NBT, ce ne sont pas des OGM. Ce sont des technologies qui permettent d'accélérer la sélection végétale. Cette technologie permet de faire apparaître plus tôt une variété qui aurait pu apparaître naturellement à un moment donné, et c'est très bien. C'est très différent d'un OGM, qui est d'abord une plante – et non une technique – obtenue en allant chercher un gène d'une espèce pour la transférer dans une autre, ce qui n'arrive pas dans la nature. Il faut que les NBT aient une réglementation conforme à ce qu'elles sont, et pas à ce à quoi on voudrait les associer. Aujourd'hui, le cadre juridique européen n'est plus compatible avec le cadre scientifique. Nous attendons un rapport de la Commission européenne pour harmoniser les deux cadres. »
Concernant les négociations commerciales, une nouvelle fois tendues, les mesures proposées par Serge Papin suffiront-elles à améliorer les choses ou faut-il repasser par le cadre réglementaire ?
J.D. : « Les relations commerciales sont un rapport de force, il ne faut pas l'oublier. Dans une économie qui n'est pas administrée et où l'entente n'est pas possible – et je trouve cela très bien ! – la loi Egalim a permis de changer un état d'esprit. Je le remarque à chaque comité de suivi des relations commerciales que je tiens avec ma collègue Agnès Pannier-Runacher et l'ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire. C'est nécessaire mais pas suffisant. C'est pour cela que j'ai confié cette mission à Serge Papin qui doit présenter son travail en avril. Lors du dernier comité, il a déjà proposé quelques mesures dont la contractualisation pluriannuelle à laquelle je crois beaucoup : c'est le sens de l'histoire. Il propose aussi de passer de la guerre des prix à la transparence des marges. C'est ça qui fera bouger les choses. Pour cela Serge Papin propose un système de « Blackbox » avec des tiers de confiance. En attendant, il faut faire appliquer scrupuleusement la loi Egalim. Nous allons renforcer les contrôles de la DGCCRF et dresser des sanctions à chaque fois qu'il y a des dérives. Je suis pour généraliser toutes les remontées d'information sur les pratiques qui ne sont pas convenables. Dès que j'en reçois, je renvoie à la DGCCRF. J'ai trois maîtres mots : confiance, exigence et transparence. »
Vous allez devoir décliner d'ici le printemps la stratégie nationale bas carbone à la politique de votre ministère. Comment échapper à ce que les grandes études scientifiques sur le climat recommandent systématiquement : baisser drastiquement la consommation de viande ?
J.D. : « Il y a déjà des recommandations de consommation. Ma position c'est de se fier à ces recommandations, en laissant toute liberté aux uns et aux autres. Mon principal combat est de lutter contre les importations de protéines sud-américaines. Nous en sommes totalement dépendants. Par conséquent, nous importons de la dégradation de biodiversité et de la déforestation. Et le coût – économique et environnemental – de ces transferts est absolument colossal. La priorité des priorités est donc bien de retrouver les voies d'une souveraineté protéique française. C'est pour cela que nous venons de lancer un plan protéines de 100 M€ sur deux ans, pour produire plus de protéines sur notre sol. Ces financements s'adressent aux agriculteurs comme aux éleveurs, et ils sont aujourd'hui disponibles. La seconde, c'est de valoriser la captation de carbone dans le sol. La principale source de captation de carbone après la mer, c'est le sol. Aujourd'hui les marchés du carbone – européen ou volontaire – ont complètement omis de valoriser la captation du sol agricole. C'est un sujet sur lequel nous sommes convenus de travailler avec le Haut conseil sur le climat (HCC) il y a un mois. C'est une formidable opportunité pour les agriculteurs, pour qui cela peut devenir une source de revenus. »
Les éleveurs attendent toujours un décret pour protéger les dénominations animales et interdire l'étiquetage « steak végétal », où en est-il ?
J.D. : « Mon rôle est de permettre à chacun d'avoir le régime alimentaire qu'il souhaite. Soyons clairs : un « steak végétal » n'est pas un « steak ». Il faut donc informer le consommateur sans l'influencer sur son choix. Ce décret est important mais il nécessite un travail européen tout comme la généralisation de l'information sur la viande en restauration hors foyer. L'étiquetage relève de la réglementation européenne. Ce décret est en cours de finalisation avec la Commission européenne. »
Propos recueillis par Mathieu Robert (Agra Presse), Nathalie Marchand (Les Marchés) et Vincent Motin (Réussir.fr)
Les priorités du ministre pour 2021
La « souveraineté agroalimentaire » sera la boussole de l'action du ministre de l'Agriculture pour l'année 2021, a-t-il martelé lors de ses vœux à la presse le 12 janvier. Cinq priorités sont évoquées. Le premier axe de travail, que Julien Denormandie compte appuyer au niveau du Conseil des ministres européens de l'agriculture, sera la souveraineté protéique au travers de la mise en place du plan protéine financé à hauteur de 100 M€ par le plan de relance. Alors que les négociations commerciales annuelles battent leur plein et apparaissent une nouvelle fois « difficiles » selon les propres mots du ministre, Julien Denormandie fait de la répartition de la valeur tout au long de la chaîne alimentaire sa deuxième priorité. Le plan de relance et le budget qui en découle serviront de base à son programme pour la nouvelle année avec en ligne de mire l'objectif de regagner en souveraineté. « Le plan de relance va nous permettre de regagner en indépendance vis-à-vis des marchés internationaux, face aux aléas climatiques, vis-à-vis de certains intrants et aussi notre souveraineté démographie car un bon nombre d'agriculteurs partent à la retraite. Nous devons accompagner les jeunes dans leur installation », a-t-il listé. La finalisation de la négociation de la Pac et sa déclinaison nationale sont également bien évidemment dans ses cartons pour 2021. Enfin, sur la question de l'eau, un décret est à venir. Et concernant la gestion assurantielle, les multiples réunions avec les différents acteurs du secteur devraient aboutir prochainement, si ce n'est à un plan concret, tout du moins à une direction.