Sociologie
La France des années 1970 à portée de voix

Entre 1969 et 1974, des universitaires britanniques ont enregistré plusieurs centaines de Français dans leur vie de tous les jours. Il s’agit du plus important témoignage sur le Français des années soixante-dix.

La France des années 1970 à portée de voix
Des prises de sons concernent le milieu rural. Photo du tournage de «Biquette», court-métrage de la série «La Voix», réalisé par Armand Chartier - 1968 ©BnF, département Son, vidéo, multimédia

Nom de code : ESLO pour Enquête sociolinguistique à Orléans, un projet porté par le laboratoire ligérien de linguistique regroupant les Universités d’Orléans et de Tours, le CNRS et la Bibliothèque nationale de France. Inédit par sa durée, l’initiative l’est aussi par son envergure. Objectif : constituer une collection ordonnée d’enregistrements de la parole, pour laisser une trace d’intérêt pour les linguistes, les historiens, les sociologues… Il est désormais avéré que la manière de s’exprimer, les expressions plus ou moins familières, la nature des échanges en disent beaucoup sur une époque. Ainsi durant cinq ans, de 1969 à 1974, des universitaires britanniques ont enregistré plusieurs centaines de personnes dans leur vie de tous les jours. à l’époque, ce projet avait une visée didactique à savoir l’enseignement du français langue étrangère dans le système public d’éducation anglais. 

Signe des temps, la quasi-disparition du futur simple

L’enquête comprend environ 200 interviews avec les propriétés sociolinguistiques des locuteurs et des situations, soit au total plus de 300 heures de parole incluant pour moitié des interviews en face à face et pour moitié une gamme d’enregistrements variés (conversations téléphoniques, réunions publiques, transactions commerciales, repas de famille, entretiens médico-pédagogiques, scènes de vie dans les transports, les lieux publics, etc.). Quatre décennies plus tard, à partir de 2008, le laboratoire ligérien a mené une enquête comparable sur un périmètre identique. Entre temps, le temps a fait son œuvre, y compris sur le langage. Si le recul du vocabulaire est bel et bien une réalité, avec une richesse de formules qui a vraisemblablement perdu en diversité, balayant au passage les liaisons quasi systématiques et prononcées avec conviction, Céline Dugua, coresponsable du projet avec Marie Skrovec, veut y voir une preuve de la vivacité de la langue plutôt qu’une régression. « En quarante ans, l’usage du futur simple a reculé, tandis que les tournures « disons » ou « je dirais » ont été balayées par les « on va dire ». Des termes disparaissent tandis que d’autres émergent, c’est le propre de toute langue vivante. »

Le cas « du coup »

Très peu présent dans le corpus des enregistrements des années 60-70, le fameux « du coup » qui ponctue, pour ne pas dire inonde désormais nos échanges, a même vu son sens dévoyé. Le « du coup », version 2020 a en effet perdu son sens originel. Ainsi que nous le rappelle l’Académie française, « du coup » peut s’employer au sens propre. Exemple : « Un poing le frappa et il tomba assommé du coup ». On le retrouve en outre, correctement utilisé  pour exprimer la conséquence, « l’idée d’une cause agissant brusquement ». Exemple : « Son moteur a explosé et du coup sa voiture a pris feu ». La locution, notent les Sages, a pour équivalent sémantique la formule « aussitôt ». En dehors de ces deux sens, « du coup » est incorrect et son emploi relève de l’abus de langage. Moralité, l’utiliser à toutes les sauces, y compris les plus banales, « Tom n’aime pas la salade, du coup, je lui ai préparé des pâtes » ou encore « on ne regarde pas la télé ce soir, on fait quoi du coup ? » n’a aucun sens. De là à dire que ce tic verbal passera comme d’autres avant lui, pas si sûr. « Si du coup doit s’imposer, il s’imposera. S’il doit disparaître pareil. Ce sont les locuteurs qui seront maîtres de son destin. » 

Sophie Chatenet

L’ensemble des enregistrements sont consultables librement sur le site du projet Eslo

Les nouveaux mots du dico
©Pixabay
VOCABULAIRE

Les nouveaux mots du dico

Chaque année, de nouveaux mots font leur entrée dans le dictionnaire. Ainsi, les éditions 2024 du Petit Robert et du Larousse voient l’arrivée de près de 150 mots nouveaux. « Trois critères sont pris en compte pour choisir les nouveaux mots qui vont entrer dans le dictionnaire : la fréquence d’usage d’un mot, sa diffusion, et sa pérennité », explique Charles Bimbenet, directeur général des éditions Le Robert. 
Les mots, sens et locutions sélectionnés cette année pour rentrer dans le dictionnaire traduisent la révolution numérique en cours avec l’arrivée d’ « IA » générative (intelligence artificielle capable de produire des contenus inédits) ou « métavers » (univers virtuel tridimensionnel persistant offrant à ses utilisateurs, représentés par des avatars, une expérience interactive et immersive). Les nouveaux mots sont également révélateurs des craintes et préoccupations qui parcourent nos sociétés, et beaucoup sont liés, en 2024, à l’environnement ou au climat. Ainsi, « mégabassine », « microplastique », « ZFE », « dette climatique » font leur apparition dans le Petit Robert. De son côté, le Larousse intègre dans son édition 2024 les mots « écoanxiété » ou « nutriscore » ou « localisme ». Les jeunes générations contribuent aussi au renouvellement du lexique, ainsi nous leur devons des expressions ou des verbes qui traduisent des émotions comme « crush » pour avoir un coup de cœur pour quelqu’un ou « ghoster » pour rompre soudainement tout contact avec quelqu’un sans fournir d’explication. La gastronomie amène également son lot de mots nouveaux avec l’entrée de « cougnou » une brioche, traditionnellement consommée à Noël ou « babka » un gâteau brioché polonais en forme de couronne. La langue française s’enrichit également de mots venant d’autres régions ou pays francophones comme la Belgique, le Québec ou le Liban (fureteur, gayolle, brave) et s’approprie bon nombre d’anglicismes (Greenwashing). Enfin, plus de 40 personnalités marquantes font leur entrée dans le Petit Larousse illustré 2024. C’est le cas d’Élisabeth Borne, de Stromae, Karin Viard ou du roi Charles III. Tous ces mots et sens qui font leur entrée cette année dans nos dictionnaires viennent illustrer, si besoin est, l’extraordinaire vitalité de notre langue.

C. D.