Salon de l'agriculture : Macron déambule sous les huées, protégé par les CRS
Après les heurts au moment de l'ouverture de la 60e édition du Salon de l'agriculture à Paris puis une rencontre avec des représentants syndicaux, Emmanuel Macron a fait quelques annonnces avant de déambuler dans les allées derrière un cordon de sécurité massif.

Samedi 24 février matin, une centaine d'agriculteurs de la FNSEA, des JA, et de la CR, venant de toute la France mais principalement du grand bassin parisien, ont pénétré à 8h dans le hall 1 du Salon de l'agriculture à la rencontre d'Emmanuel Macron, qui s'entretenait à huis clos avec les représentants nationaux des syndicats agricoles. Sur fond de sifflets, de cloches, et de chants (Marseillaise, puis "Macron démission"), les agriculteurs ont tenté de s'approcher du lieu où devait arriver le président, s'affrontant avec les forces de l'ordre, qui ont embarqué au moins un individu. Emmanuel Macron a ensuite rencontré, au cours d'un échange improvisé, une trentaine de manifestants, agriculteurs et représentants des différentes organisations syndicales, en mettant en avant son envie de "dialogue". Pendant deux heures, accoudé sur une table mange-debout, veste de costume tombée, le président a recueilli les doléances des agriculteurs regroupés autour de lui, chacun portant un signe distinctif de son organisation syndicale: bonnets jaunes, casquettes vertes ou rouges. Les heurts ont provoqué un retard d'une heure et demie de l'ouverture du salon au grand public. Ce hall, le plus couru, a finalement été ouvert puis refermé, illustrant la confusion générale, et donnant lieu à des scènes étonnantes d'enfants goûtant du fromage à un stand à quelques mètres de CRS casqués.
Du vacarme des sifflets et des insultes
Le président Emmanuel Macron a ensuite déambulé, l'après-midi, dans les allées au Salon de l'agriculture derrière un cordon de sécurité massif, mais pas à l'abri du vacarme des sifflets et des insultes de centaines d'agriculteurs, à la fois ulcérés par sa présence et demandeurs d'actes concrets pour améliorer leurs conditions de travail. Le chef de l'État a goûté du miel du pays d'Auge, du fromage de Haute-Savoie, serré des mains et répondu aux interpellations, l'air quasi imperturbable, mais sa voix était régulièrement couverte par le vacarme et le programme initial a été complètement bouleversé par une pagaille inédite. Il était protégé par des dizaines de CRS équipés de boucliers qui, dans des heurts ponctuels, ont repoussé les manifestants à une cinquantaine de mètres de lui. Les noms d'oiseaux ont fusé : "Fumier" ou "menteur", comme les cris ("Barre-toi !") et les appels à la démission. Trois personnes ont été interpellées pour des violences sur personne dépositaire de l'autorité publique, selon le parquet de Paris, puis relâchées ; elles seront convoquées ultérieurement. «Je préfère toujours le dialogue à la confrontation» a asséné le chef de l'État. «Je suis en train de vous dire que le boulot est fait sur le terrain, on a repris les copies, on est en train de faire toute la simplification», a-t-il défendu. «Tant que ce n'est pas concrétisé dans les cours de ferme, on sera sur votre dos», lui a répondu un agriculteur.
Macron donne rendez-vous dans trois semaines pour «bâtir un plan d'avenir» à 2040
Suite à sa rencontre avec les représentants nationaux des syndicats agricoles, le 24 février au Salon de l'agriculture, le président de la République a notamment annoncé, lors d'un point presse, qu'il réunira les syndicats agricoles, les représentants des filières et les parties prenantes, à l'Elysée dans «trois semaines», pour «bâtir un plan d'avenir agricole à 2040, français et européen, à décliner par filière et par territoire avec des contrats d'avenir». Une initiative qui, avec l'ensemble des annonces du jour (voir ci-dessous), n'est pas sans rappeler les premiers mois du premier mandat d'Emmanuel Macron en 2017, avec la demande de plans de filières à chaque interprofession, la promesse d'un «juste prix» qui «partira du coût de production», puis d'un «droit à l'erreur» avec la loi Essoc. Les lois Egalim avaient abouti à une obligation de «prise en compte» du coût de production agricole par les acheteurs, et à un principe de «non-négociabilité» de la matière première agricole avec la grande distribution. En juillet 2020, une enquête montrait que les plans de filière affichaient des résultats inégaux, avec des filières viandes plus à la peine que leurs homologues végétales.
Revenu : Macron promet «un plan de trésorerie» et «des prix plancher»
Suite à sa rencontre avec les représentants nationaux des syndicats agricoles, le 24 février au Salon de l'agriculture, le président de la République a annoncé, lors d'un point presse, un «plan de trésorerie d'urgence», ainsi que des «prix planchers» pour les agriculteurs. Emmanuel Macron a annoncé que les sanctions prononcées envers l'aval pour non-respect des dispositions d'Egalim seraient «reversées au monde agricole» pour financer des mesures de trésorerie. Il a annoncé qu'une réunion était prévue à cet effet lundi avec les banques et les représentants de plusieurs secteurs dont l'agriculture, pour élaborer un «plan de trésorerie d'urgence». Il a demandé qu'un recensement soit fait des exploitations en difficultés.
Par ailleurs, dans le cadre du projet de loi sur les relations commerciales annoncé par le gouvernement quelques jours plus tôt, Emmanuel Macron a appelé à ce que «l'indicateur devienne le prix plancher». Face à une trentaine de manifestants, il a répété: «D'ici trois semaines, il y aura un prix minimum, un prix plancher en dessous duquel le transformateur ne pourra pas acheter, et le distributeur ne pourra pas vendre». Son cabinet a assuré à la presse que ce «prix plancher» serait «opposable», sans préciser la nature de la mesure, ni sa compatibilité avec le droit de la concurrence - ce que devrait faire une mission parlementaire en cours, qui se terminera au mois de mai. Le cabinet renvoie au cas espagnol, où la loi sur la chaine alimentaire a renforcé, en 2013 puis 2021 le rôle des indicateurs de coût de production dans la fixation des prix. Trois jours avant l'ouverture du Salon, le Premier ministre avait dévoilé ce projet de nouvelle loi Egalim, incluant trois mesures dont «la construction du prix en marche avant» et «la place des indicateurs [qui] doivent être plus centraux».
Interrogé par Agra presse sur l'annonce du Président de la République de viser des «prix plancher pour les agriculteurs», l'actuel président de la FNPL (éleveurs laitiers, FNSEA) et du Cniel (interprofession laitière), Thierry Roquefeuil se montre dubitatif: «Personnellement, je ne sais pas ce que ça veut dire un prix plancher. J’imagine que pour le fixer, on se baserait sur un prix minimum calculé à partir d’indicateurs auquel on ajouterait une marge pour l’agriculteur. Mais on va retomber très vite sur le même problème qu’actuellement avec la loi Egalim sur le choix des indicateurs.» Et d'ajouter: «Il y a un gros risque qu’à partir du moment où l’on fixe un prix plancher, toutes les industries laitières se mettent à payer au prix du prix plancher, ce qui sera légal. Je n’ai pas du tout envie que le prix plancher soit le prix appliqué par Lactalis ! Et si on met ce prix plancher trop haut, les produits français ne seront plus compétitifs et perdront des marchés à l’international.». Pour l'éleveur, la proposition ne dépasse pas certaines limites du cadre actuel: «Emmanuel Macron parle d’un prix plancher par filière, ce qui veut dire qu’il va renvoyer encore une fois vers les interprofessions pour le construire. Déjà que l’Etat fasse en sorte de pleinement appliquer la loi Egalim ! Si c’était le cas, cela aurait des effets positifs. Et qu’il fasse en sorte que toutes les filières s’en empare. Car aujourd’hui, il n’y a que la filière laitière qui s’en est véritablement emparée.»
Eau : Macron veut "prioriser l'usage agricole et alimentaire sur les autres"
Suite à sa rencontre avec les représentants nationaux des syndicats agricoles, le 24 février au Salon de l'agriculture, le président de la République a annoncé, lors d'un point presse, s'être engagé à inscrire dans la loi «notre agriculture et notre alimentation comme un intérêt général majeur de la nation française». Lors d'une rencontre avec une trentaine de manifestants, Emmanuel Macron a précisé que les agriculteurs pourront «s'appuyer (sur ce principe, ndlr) face au juge, parce que c'est un métier essentiel. On pourra l'opposer».
S'exprimant plus tard sur les usages de l'eau, il a également déclaré: «Je vais poser un principe simple, on va prioriser l'usage agricole et alimentaire sur les autres». La notion d«'intérêt général majeur» avait été introduite au sujet des projets agricoles de stockage d'eau dans la PPL Compétitivité de la ferme France des Républicains, puis reprise dans un avant-projet de loi d'orientation agricole, avant d'en être retiré.
La portée d'une telle mesure serait relativement faible, selon les juristes (voir notre enquête). Lors de son allocation, Gabriel Attal avait, quant à lui, annoncé que l'agriculture serait inscrite, en préambule du code rural, comme un «intérêt fondamental de la nation» - mesure symbolique a priori sans portée juridique concrète. Là aussi, cette mesure avait inscrite dans des avant-projet de LOA, avant d'entre être retirée.
Contrôles: Macron promet un «droit à l'erreur» aux agriculteurs
Lors de sa rencontre avec une trentaine de manifestants, des agriculteurs issus des principaux syndicats agricoles, le 24 février au Salon de l'agriculture, le président de la République a annoncé la mise en place d'un «droit à l'erreur» pour les agriculteurs. «Cela n'a pas été fait dans le monde agricole. On a mis tellement d'exceptions que cela n'a pas été fait», a rappelé le président de la République, qui n'a pas précisé dans quels domaines ce «droit à l'erreur» s'appliquerait (Pac, droit de l'environnement, fiscalité...). La loi Essoc de 2018 prévoyait un «droit à l'erreur» pour tous les Français face à leur administration, mais elle n'avait pas pu s'appliquer aux agriculteurs en matière d'aides Pac, régies par la réglementation européenne.
Dans un communiqué paru le 22 février, la députée LR Anne-Laure Blin a annoncé avoir déposé une proposition de loi visant à créer un «véritable droit à l'erreur» lors des contrôles d'exploitations agricoles. Depuis l'échec de la loi Essoc en agriculture, un «droit à l'erreur» a été mis en place avec la nouvelle Pac pour certaines aides. Mais la députée souhaiterait étendre le droit à l'erreur «en matière environnementale», citant les exemples de l'eau et des haies.
Pesticides : Macron veut accélérer les dérogations, et évoque la séparation vente/conseil
Lors de sa rencontre avec une trentaine d'agriculteurs issus des principaux syndicats agricoles, le 24 février au Salon de l'agriculture, le président de la République a annoncé «des engagements pour limiter les délais» d'accord de dérogations provisoires à l'usage de pesticides non-autorisés, et à «déconcentrer» ces décisions. Emmanuel Macron est revenu sur le cas de la lutte contre Drosophila Suzukii, pour laquelle une dérogation de 120 jours avait été accordée à compter du 1er avril 2023 pour du Cyantraniliprol: «Pour Drosophila Suzukii, on a donné la dérogation un mois trop tard», a estimé le président.
Emmanuel Macron est également revenu sur la séparation de la vente et du conseil des pesticides, et l'annonce faite le 1er février par Gabriel Attal de la «suppression du conseil stratégique (sur les pesticides, CSP) dans sa forme actuelle». «Ce n'est pas celui qui vend les produits phytosanitaires qui peut faire le conseil», a-t-il déclaré, semblant fermer la voie à une suppression de la séparation de la vente et du conseil. Et de reconnaître, au sujet du CSP: «Aujourd'hui, c'est une usine à gaz. Filière par filière, territoire par territoire, nous allons chercher la méthode. Ca peut être la coopérative, ça peut-être la chambre.» « Le 17 janvier, le ministre de l'Agriculture avait acté l'échec de la séparation vente/conseil: «Ça partait de bonnes intentions, mais ça ne marche pas, les agriculteurs manquent de conseil», a-t-il déclaré à l’occasion des Rencontres du biocontrôle d’IBMA (fabricants), à Angers.