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Réflexion

Changement climatique : quelle agriculture pour demain ?

En vue d’élaborer un programme d’actions visant à rendre l’agriculture pérenne au sein des territoires, trois intercommunalités drômoises se sont interrogées sur la capacité d’adaptation du monde agricole au changement climatique.

Changement climatique : quelle agriculture pour demain ?
Selon Agnès Bergeret, « les projections climatiques se traduiront certainement par des tensions plus fortes en matière d’accès à la ressource en eau, d’autant plus que la Drôme voit son débit se réduire ». © Photo archives AD

Afin de travailler à ce que pourrait être l’alimentation et l’agriculture à l’horizon 2050, les communautés de communes du Val de Drôme (CCVD) en Biovallée, du Crestois-Pays de Saillans (CCCPS) et du Diois (CCD) ont engagé une réflexion avec les acteurs locaux. Comment faire face au changement climatique en Biovallée ? Pour y répondre, les organisateurs ont convié Agnès Bergeret, docteure en anthropologie. Lors de son intervention, elle a présenté les résultats de l’étude participative menée au sein du laboratoire d’écologie alpine (Leca - CNRS Université Grenoble Alpes) sur les trajectoires possibles face au changement climatique pour l’agriculture et les forêts, les ressources et usages de l’eau dans la vallée de la Drôme et le Diois. « Entre 1959 et 2019, la dynamique historique est de + 2,1 °C dans le Val de Drôme et + 2,5 dans le Diois », indique Agnès Bergeret. Ces hausses de température devraient se poursuivre à l’horizon 2050, avec des prévisions de + 1 à + 2 °C dans la vallée de la Drôme et un réchauffement important dans le Diois. « Pour ce territoire, cela signifie un accroissement de la variabilité interannuelle, et donc une augmentation des incertitudes pour le monde agricole face aux événements extrêmes (canicules, pluies intenses, gels, tempêtes, chutes de neige, etc.). La sécheresse est un énorme défi », souligne l’experte.

Un bilan hydrique de plus en plus déficitaire

Selon les prévisions, la période d’été va passer de 60 à 75 jours en aval, contre 40 à 65 jours dans le Diois. Des vagues de chaleur (soit cinq jours consécutifs avec une température maximum 5 °C au-dessus de la normale) seront en augmentation été comme hiver, avec un impact fort sur les productions agricoles. La question du décalage saisonnier et du rythme phénologique des productions inquiète donc fortement. Les périodes de gel devraient également s’atténuer, « avec près d’un mois de gel en moins dans le Diois pour la période 2020-2050 », souligne Agnès Bergeret, avant de rappeler que « ces jours de gel sont importants pour réduire en grande partie l’action des ravageurs ». Au niveau des précipitations, les météorologues pressentent un bilan hydrique de plus en plus déficitaire pour les cultures. « Toutes ces projections climatiques se traduiront certainement par des tensions plus fortes en matière d’accès à la ressource en eau, d’autant plus que la Drôme voit son débit se réduire », ajoute-t-elle.

Un monde agricole impliqué sur le sujet

Malgré une population plus économe en eau que la moyenne française, les prélèvements en eau potable dans la rivière Drôme (3,3 m3 en 2017) restent au-dessus de la préconisation du plan de gestion de ressource en eau rédigé en 2015 (soit 2 m3). Pourtant, les perspectives sont rassurantes. Selon l’étude du Leca menée en 2018-2019, tous les acteurs et habitants du territoire, en particulier les agriculteurs, font face au changement climatique. De nombreuses actions sont réalisées ou en cours. Les stratégies d’adaptation reposent sur trois piliers : le développement durable, la transition écologique et sociale et la transformation sociale et accroissement de l’autosuffisance. La chercheuse a notamment montré l’importance de diversifier ses cultures, d’améliorer le pilotage de l’irrigation, de créer de nouveaux aménagements de substitution (canaux, retenues), mais aussi de développer des systèmes agroécologiques ou encore d’abandonner les cultures inadaptées au climat méditerranéen actuel. « Nous sommes sur un territoire où il y a beaucoup d’innovations. Les agriculteurs essaient, tentent, anticipent », conclut Agnès Bergeret. 

Amandine Priolet
* Les quatre visioconférences sont à revoir sur valdedrome.com

Le point de vue d’acteurs locaux

Producteur de plantes aromatiques dans la vallée de Quint, David Vieux fait face à des baisses de rendement importantes, liées au débit d’eau inexistant de la rivière Sure en été. « On s’est concentré sur le thym et la sarriette des montagnes qui résistent mieux à la sécheresse. Je me suis aussi dirigé vers d’autres variétés à valeur ajoutée comme les légumes secs. Mais depuis trois ans, il est difficile de faire du rendement à l’hectare en lentilles… ». Egalement éleveur, David Vieux note une augmentation de la période de pâturage et une nette diminution des ressources herbagères. Pour éviter l’inconfort du troupeau et compenser la perte de fourrage, ses bêtes pâturent désormais en sous-bois.

Pour répondre aux besoins de la ressource en eau de La Ferme des Buis (La Roche-sur-Grane), Corentin Mauriceau, maraîcher, peut s’appuyer sur la création d’une retenue. Utilisateur du goutte-à-goutte et de micro-aspersion, « nous souhaitons renforcer nos pratiques pour être le plus résilient possible sur l’utilisation en eau ». Réduction de la surface cultivée, paillage des cultures, introduction de compost, tout est étudié pour réduire au maximum les besoins en eau. Actuellement, La Ferme des Buis aurait besoin de capter 1 000 m3 d’eau supplémentaire pour garantir une production annuelle.

Ludwig Blanc, agriculteur à Chabrillan, est connecté au réseau d’irrigation drômois. « L’accès à l’eau est une assurance pour nos productions et notre système économique. L’évolution n’est pas tant sur les rendements mais sur le choix des cultures, note-t-il. Nous sommes sur une vallée où nous avons la chance d’avoir de l’eau. Mais aujourd’hui, nous n’avons pas cette gestion de stockage. J’entends trop souvent qu’il faut préserver les milieux aquatiques en arrêtant les pratiques agricoles. Mais qu’est-ce que l’on mettra dans nos assiettes demain ? »

« La gestion quantitative de l’eau est l’un des enjeux historiques du bassin de la Drôme », rappelle David Arnaud, animateur de la Commission locale de l’eau. A l’échelle du bassin versant, l’irrigation se fait de manière distincte entre l’amont (400 ha irrigués) et l’aval (2 500 ha irrigués). 80 % des prélèvements agricoles se font pendant la période estivale. Parmi les solutions apportées, « la création de la retenue du Juanon en 2006, alimentée par le canal de la Bourne, permet de substituer près de 1 million de m3 chaque été », explique-t-il. Au regard de l’eau disponible en période d’étiage, 7 millions de m3 d’eau reste à se partager entre les différents utilisateurs. « Le monde agricole a déjà fait énormément d’efforts. Peut-on en dire autant sur les autres usagers ? », s’interroge cependant Pierre Lespets, président de la Commission locale de l’eau. 

Quid du réseau d’irrigation  d’Allex-Montoison ?

Le chantier relatif à la substitution de l’alimentation du réseau d’irrigation du territoire d’Allex-Montoison dans le bassin versant de la rivière Drôme par le fleuve Rhône devait prendre fin à l’été 2020. « Le chantier est en pause », explique Ludwig Blanc, référent au Syndicat d’irrigation drômois. Celui-ci évoque des problèmes techniques en rapport avec la traversée de la voie ferrée et de l’autoroute au niveau de la commune d’Etoile-sur-Rhône.