MÉTIERS TRADITIONNELS
Les Compagnons du devoir  fêtent leurs 70 ans 

Association aux origines méconnues, les Compagnons du devoir portent depuis soixante-dix ans l’héritage séculaire du compagnonnage et des métiers traditionnels. Une formation sans équivalent qui séduit aujourd’hui de nombreux jeunes. Retour sur l’histoire de cette institution prestigieuse.

Les Compagnons du devoir  fêtent leurs 70 ans 
Chaque année, 10 000 jeunes sont formés en France par les Compagnons du devoir. ©Compagnons du devoir

Apparu en 1719 dans la langue française, le compagnonnage désignait à l’origine la période de stage professionnel qu’un compagnon devait réaliser chez un maître. Beaucoup plus ancienne, sa fondation remonterait à la construction du temple de Salomon au Xe siècle avant J.-C. D’après la principale légende, un certain maître Jacques, tailleur de pierre, serait arrivé sur le chantier du temple de Salomon où il serait devenu maître des tailleurs de pierre, des menuisiers et des maçons. Il serait ensuite rentré en France avec un autre maître, le père Soubise, avec lequel il se serait disputé. Maître Jacques aurait été assassiné par des proches de son rival et ses vêtements partagés entre les différents corps de métiers. Pour d’autres, c’est bien le père Soubise qui serait le véritable fondateur du compagnonnage, en tant qu’architecte sur le chantier du temple de Salomon où il aurait encadré les charpentiers. D’autres, enfin, fixent la fondation du compagnonnage à un chantier plus récent : la construction des tours de la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans en 1401 par deux maîtres d’œuvre, Jacques Moler et Soubise de Nogent.

Du compagnonnage aux Compagnons du devoir

À travers les siècles, l’idée de perpétuer des techniques ancestrales issues de l’Égypte et de la Rome antiques se développe. Le compagnonnage monte en puissance à partir du XIXe siècle, jusqu’à la loi Le Chapelier de 1791 qui interdit les associations ouvrières. Le XIXe siècle est celui de la restructuration du mouvement autour d’une dimension religieuse qui fait naître des tensions entre les différents mouvements et corps de métiers. Nouveau coup d’arrêt avec la révolution industrielle de la seconde moitié du XIXe siècle durant laquelle les syndicats ouvriers « ringardisent » les méthodes ancestrales du compagnonnage. De 200 000 compagnons à la moitié du XIXe siècle, notre pays n’en compte plus que 5 800 à la fin du siècle. Le compagnonnage vivote jusqu’à l’entre-deux-guerres, avant de susciter un regain d’intérêt auprès de quelques traditionalistes. Le 27 juin 1941 se tiennent à Lyon les Assises du compagnonnage, soutenues par le maréchal Pétain, qui souhaite intégrer au projet culturel de Vichy une rénovation du compagnonnage. Plusieurs compagnons dont Jean Bernard fonde la même année l’Association ouvrière des Compagnons du devoir et du tour de France, l’une des principales forces de représentation du compagnonnage en France.

Le compagnonnage reconnu par l’Unesco

Le slogan de l’association, « Soyez de ceux qui construisent l’avenir », traduit le prestige d’un héritage séculaire et une volonté de s’inscrire dans la modernité qui s’est concrétisé par plusieurs réformes. Au début des années 1970, la décision a été prise de créer leurs propres CFA pour développer un vivier d’apprentis dans les territoires. Le tour de France, cette période itinérante de formation de l’apprenti, s’est également élargi dans les années 1990 à des voyages internationaux. Un travail important a aussi été mené pour féminiser des métiers historiquement pratiqués par des hommes. Une manière de rappeler que, tout en assurant la promotion des métiers traditionnels, les Compagnons du devoir sont à l’image de la société d’aujourd’hui et sont riches de leur diversité. Reconnu comme un modèle à préserver, le compagnonnage a été inscrit en 2010 par l’Unesco sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Plus récemment, l’Association ouvrière des Compagnons du devoir et du tour de France a rejoint la Conférence des grandes écoles, marquant la reconnaissance des valeurs humaines et professionnelles défendues depuis soixante-dix ans. 

Pierre Garcia 

FORMATION / Les Compagnons du devoir : l’excellence au service des métiers manuels

Regroupant plus de trente métiers, les formations proposées par les Compagnons du devoir et du tour de France se divisent en cinq filières : le bâtiment et l’aménagement, les métiers de la finition, ceux du goût, les matériaux souples et l’industrie. Au total, dix mille jeunes sont formés chaque année par les Compagnons du devoir. « Pour rentrer chez nous, il faut avoir minimum 15 ans révolus l’année de l’inscription et avoir suivi au moins une année de troisième, même s’il est possible de nous rejoindre plus tard à un niveau bac ou même après un CAP », explique Adam Amourette, prévôt de la maison de Lyon. Une fois préinscrit sur internet, le jeune doit suivre une demi-journée de recrutement avec un entretien individuel qui permet de cerner les motivations du candidat. « Les Compagnons du devoir, c’est 35 à 40 heures par semaine en entreprise auxquelles s’ajoutent 18 heures de cours, c’est très exigeant. Avant de prendre un jeune, on cherche à en savoir plus sur son comportement et sur sa motivation à apprendre un métier », précise Adam Amourette.

« L’image des métiers manuels est en train de changer »

Alors âgé de 15 ans, Mathias Bernardin, originaire d’Oyonnax (Ain), a rejoint l’an dernier la maison des Compagnons du devoir à Lyon. Il raconte : « Mon arrière-grand-père était ébéniste et mon oncle charpentier. Mais c’est surtout mon cousin, un ancien tailleur de pierre passé par les Compagnons du devoir, qui m’a donné envie de m’engager sur le tour de France pour devenir charpentier ». Si tout se passe bien, il démarrera son tour de France en septembre et changera de ville et d’entreprise tous les six mois. Un parcours qui pourrait durer quatre ou cinq ans, voire plus, le temps que ses formateurs estiment qu’il est prêt à devenir charpentier. Telle est la philosophie des Compagnons du devoir : préférer au cursus scolaire une période où le jeune fait la preuve de l’acquisition de ses compétences et de son comportement. Des valeurs qui séduisent aujourd’hui le monde professionnel, en témoigne le taux d’insertion de 90 % affiché par les Compagnons du devoir en sortie de formation.  « Je recommanderais sans hésiter à d’autres jeunes de nous rejoindre, d’autant plus que l’image des métiers manuels est en train de changer », conclut Mathias. La transmission du savoir étant une valeur capitale pour l’association, sans doute suivra-t-il la même voie que ses aînés et deviendra lui-même formateur à l’issue de sa formation chez les Compagnons du devoir. 

Pierre Garcia

Les Compagnons du devoir au secours de Notre-Dame de Paris

Le savoir-faire des Compagnons du devoir sera précieux pour reconstruire Notre-Dame-de-Paris après l'incendie du 15 avril 2019. © Wikipédia

Le 15 avril, la France s’est remémoré l’incendie qui a ravagé la cathédrale Notre-Dame de Paris en 2019. Après deux ans de sécurisation du site, la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture a annoncé fin mars que le projet de restauration de la charpente en chêne massif allait pouvoir démarrer. Les 1 324 chênes sont aujourd’hui en cours de sélection, 383 d’entre eux proviendront des forêts du Centre de la France. Tirant sans doute leurs origines du plus légendaire des chantiers, la construction du temple de Salomon, les Compagnons du devoir devraient largement se mobiliser pour reconstruire l’un des plus célèbres édifices religieux au monde. L’an dernier à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), une cinquantaine d’apprentis ont déjà travaillé pendant plus de 400 heures à l’édification d’une maquette de 7 mètres de haut par 10 mètres de large représentant un segment de la charpente reproduit à 75 % de sa taille réelle. Une belle vitrine pour les Compagnons du devoir, même si ces apprentis devront laisser la place à leurs aînés lorsque les travaux démarreront. L’association a en effet fixé à dix ans l’expérience minimum pour pouvoir être mobilisé sur cette restauration surnommée « le chantier du siècle ». Si le président Macron a annoncé que les travaux seraient terminés pour les Jeux olympiques de 2024, quelques zones d’ombre demeurent sur l’impact réel de l’incendie, ce qui pourrait bouleverser le calendrier. Une chose est sûre, le savoir-faire des Compagnons du devoir devrait se révéler indispensable. 
Pierre Garcia