Restauration
Ces chefs qui ne jurent que par le bio

En Ardèche, dans la Drôme et en Isère, cinq chefs très différents cuisinent des produits bio en se fournissant chez des producteurs locaux. Ils appartiennent à des mouvements tels que Slow Food ou sont engagés dans la défense des producteurs pour une meilleure valorisation de leurs produits et une juste rémunération.

 Ces chefs qui ne jurent que par le bio
Au restaurant L’Aiguillage à Grenoble (Isère), Natacha et Élodie associent l’univers du végétal à celui de la cuisine classique. ©PLB


Certains chefs et cheffes s’engagent dans la cuisine biologique. Quelques-uns vont même cueillir les plantes sauvages comestibles sur les hauts plateaux de l’Ardèche. Ils font de longues promenades pour ramasser angélique des bois, ail des ours, cresson des fontaines, épinard sauvage ou chénopode bon-Henri dont les propriétés et les vertus sont bien connues des anciens. À quelques kilomètres du mont Gerbier de Jonc en Ardèche, Mathieu Méjean, âgé de 38 ans, est aux commandes de la ferme-auberge de la Besse, un lieu au charme incontestable avec ses salles voûtées, perché à 1 150 mètres d’altitude à Usclades-et-Rieutord. Il a repris la ferme-auberge de ses parents en 2014 et a suivi une formation dans la restauration. Si on vient ici, ce n’est pas seulement pour le décor. On s’installe surtout pour déguster des plats originaux et délicieux à base de plantes et de fleurs. Le jeune cuisinier ardéchois possède une petite exploitation dont les prairies sont toutes en bio. « Nous avons préservé cette biodiversité. Nos prairies possèdent une grande variété de plantes et de fleurs comestibles qui décorent nos plats », explique-t-il. Tous les matins, il part à la cueillette de ses plantes sauvages comestibles. « C’est une discipline sérieuse, prévient-il. Nous devons bien connaître les plantes sauvages, les maîtriser parfaitement, ne cueillir que celles désirées et les déguster sitôt ramassées. » Dans sa cuisine où l’odeur des plantes fraîches embaume les plats, il dépose une fleur de pissenlit sur une glace à la vanille, une pensée sauvage sur un plat salé. Il travaille au fil des saisons et cuisine aussi ses fleurs et plantes sous différentes formes : cuites, en coulis, en crémeux. Les produits sont locaux, les truites viennent du lac d’à côté, les agneaux sont produits sur place.

Patricia et Laurent Miguet ont ouvert leur restaurant bio Un tablier pour deux à Valence (Drôme).

« Un tablier pour deux »

Patricia et Laurent Miguet sont engagés dans Slow Food, un mouvement international pour l’alimentation et la biodiversité qui veut rendre à l’alimentation toute sa place dans la société. Ils sont membres de cette alliance qui défend la juste rémunération des producteurs, les saveurs et traditions locales issues de chaque terroir et la préservation de l’environnement et de la biodiversité. Ils ont ouvert leur restaurant bio Un tablier pour deux à Valence (Drôme), et ont tout de suite bénéficié de l’agrément bio décerné à de rares restaurateurs. C’est ici le lieu des locavores servis dans une salle néo-bistrot vintage et en terrasse. Patricia et Laurent Miguet se fournissent uniquement auprès des producteurs bio locaux : la farine provient d’un paysan meunier à Eurre, les légumes sont fournis par des producteurs drômois, les œufs sont livrés par une productrice de l’Ardèche Chez Agathe, les fromages bio viennent de la commune de Miscon, etc. « On utilise 80 % de produits bio pour confectionner nos plats. Je réalise des repas sur mesure et je propose aussi un service traiteur. Nous fournissons trente traiteurs », récapitule Patricia Miguet. Après le Covid-19, les deux restaurateurs ont dû se réinventer. « Avant la crise sanitaire du Covid-19, nous avions un restaurant bistronomique. Nous réalisons aujourd’hui des plats à la demande et des pizzas avec le même engagement. J’ai ouvert en septembre un laboratoire à Grâne pour proposer de la cuisine végétale et botanique et donner des cours de cuisine. J’ai une approche santé. Je vais introduire la botanique dans ma cuisine. Je travaille avec une cueilleuse d’herbes sauvages et une productrice de jeunes pousses et d’herbes aromatiques à Vernoux en Ardèche. »

« Coté Cuisine » et « Court Circuit »

Dans le restaurant Côté Cuisine, situé également dans la Drôme à Chabeuil, Anouk, Sarah et Chloé sont associées salariées d’une société coopérative et participative (Scop).  « Le bio est une de nos valeurs qui est inscrite dans une charte. Nous nous fournissons uniquement dans le magasin de producteurs Court Circuit situé dans le même bâtiment. Nous proposons 70 % de produits locaux sur notre carte qui est renouvelée chaque semaine avec deux entrées, deux plats et deux desserts. On propose une cuisine du monde, des plats classiques, d’autres plus exotiques et des plats végétariens », détaille Sarah. Les trois associées proposent des buffets et pâtisseries sur demande, des repas en bons cadeaux et des plats disponibles au rayon traiteur du magasin Court Circuit. Elles sont partenaires de Ver’courses qui livre des plats à domicile ou au travail à partir de dix personnes.

Anouk et Sarah du restaurant Côté Cuisine à Chabeuil (Drôme) sont associées au magasin de producteurs Court Circuit.

« L’ Aiguillage »

A Grenoble (Isère), Natacha Bazoge et Élodie Illes, deux artisanes de la restauration, ont créé en 2018 leur restaurant L’Aiguillage. Les deux associées proposent « une cuisine inclusive » qui associe l’univers du végétarien à celui de la cuisine plus classique, plus traditionnelle. « Nous nous orientons vers des recherches de saveurs en voulant inventer de nouveaux plats, de nouvelles assiettes. La viande et le poisson sont isérois ainsi que les fruits et légumes. On utilise la farine de pois chiche et desarrasin, on travaille le soja et tous les produits frais de saison. » L’Aiguillage porte bien son nom. Les clients sont aiguillés vers de nouvelles saveurs à travers cette cuisine inventive et originale dont les produits bio sont exclusivement locaux. Natacha et Élodie travaillent sur un projet de formation pour particuliers et professionnels sur la cuisine végétale sucrée et salée qui verra le jour prochainement.

Pierre-Louis Berger

Anne-Sophie Pic, ambassadrice du bio
Anne-Sophie Pic, restauratrice valentinoise triplement étoilée. © PLB

Anne-Sophie Pic, ambassadrice du bio

A Montélier (Drôme), la ferme familiale du Grand Laval a diversifié ses productions bio. Sébastien Blache fournit des restaurants étoilés comme celui d’Anne-Sophie Pic à Valence.

Une jeune stagiaire s’active dans le hangar de la ferme du Grand Laval à trier des pois chiches bio qui seront livrés à la restauratrice valentinoise triplement étoilée, Anne-Sophie Pic. « C’est une diversification intéressante et exigeante », précise Sébastien Blache qui cultive légumes secs, lentilles, pois chiches, oléagineux et céréales. Les ventes se font à la ferme via la boutique, les magasins de producteurs et les boutiques spécialisées à Paris. L’engouement pour le bio n’est pas le fruit du hasard. C’est le cas pour la cheffe étoilée Anne-Sophie Pic qui raconte sa première rencontre avec ce type de production : « J’ai découvert le bio grâce à un agriculteur installé à Loriol dans la Drôme. Il avait supprimé l’utilisation des engrais, des herbicides et autres pesticides. Cela m’avait beaucoup impressionnée. Depuis cette rencontre, le bio nous anime au restaurant. J’avais l’ambition de devenir un restaurant bio à part entière. J’ai commencé à sourcer les produits en 2012. Aujourd’hui, tous les fruits et légumes sont bio. » Anne-Sophie Pic a fait du bio sa philosophie, son art de vivre. « Nous sommes très engagés dans le bio car il donne le vrai goût, la bonne saveur aux produits. Nous organisons des dégustations pour identifier s’il y a des traitements chimiques, des pesticides dans les produits surtout pendant l’été. » Anne-Sophie Pic a même étendu le sourcing aux vins bio. Sa cheffe sommelière, Paz Levinson, originaire d’Argentine, s’est installée il y a dix ans en France. Elle a suivi une formation de sommelière dans son pays d’origine et recherche pour la cheffe étoilée des vins issus de l’agriculture biologique : « 80 % des achats de vins sont en bio. Nous sommes convaincus de notre choix », soutient-elle. 
P-L. B.