Innovation
Pionniers de l’élevage  de vers de terre

À Chimilin, Avenir Vers est la première ferme lombricole de l’Isère. Cet élevage insolite a été lauréat du Crédit agricole Sud Rhône Alpes dans le cadre du prix de l’Excellence agricole et rurale organisé par nos confrères du journal Terre Dauphinoise.

Pionniers de l’élevage  de vers de terre
Anthony et Sandrine Perrier sont les fondateurs de la ferme lombricole. ©TD

C’est un élevage singulier. Le premier du genre en Isère. Sandrine et Anthony Perrier sont à la tête du premier cheptel de lombrics du département. Ils ont créé Avenir Vers, leur ferme lombricole, à Chimilin, dans le prolongement de la plateforme forestière Decoux bois service, appartenant au père de Sandrine.
Leur « idée géniale » a été de « réunir deux déchets pour en faire un produit valorisé en passant par l’élevage de vers de terre ». Anthony Perrier s’était lancé dans l’élevage de lombrics et le lombricompostage d’abord par hobby, puis en suivant des formations. Parallèlement, sur la plateforme, les déchets verts avaient du mal à être valorisés. De son côté, Sandrine était employée dans une cantine et se désolait des quantités de déchets alimentaires jetées. « Nous avons combiné les deux et eu l’idée de la ferme lombricole. »
Le couple a commencé par un lombricomposteur, puis deux, puis trois, « ensuite, nous les avons mis dans le garage et après, un voisin nous a prêté une écurie ». La machine était lancée.
L’élevage de lombrics est encore une activité confidentielle en France. Sandrine et Anthony Perrier ont bien visité quelques exploitations, mais les secrets d’élevage demeurent bien gardés, d’autant que le lombric est une bête délicate.

Des animaux fragiles

Leur premier investissement a été dans le cheptel et la formation : 300 kg de vers achetés chez un éleveur du sud pour passer de la phase amateur à une véritable exploitation et assurer la base du troupeau reproducteur. L’élevage de lombrics réclame une bonne dose de technicité. Il convient d’observer certaines conditions pour éviter le suicide collectif. « Ce sont des animaux très fragiles, le stress peut leur être fatal », explique Sandrine. Eisenia fetida est un petit vers rouge du groupe des épigés, qui vit dans les couches superficielles de la terre. Hermaphrodite, il peut vivre six ans. « Si les conditions sont bonnes, alors il y a reproduction », déclare Anthony. Le ver de terre aime l’humidité, le calme et il doit être correctement nourri. Sa population se régule en fonction des ressources de son environnement.
« Notre activité principale, c’est le retraitement des biodéchets », insiste Anthony Perrier. La ferme reçoit pour l’heure les biodéchets d’une collectivité. Ils sont triés sur une dalle et hygiénisés, puis incorporés aux déchets verts dans des andains et offerts en repas aux vers de terre. L’exploitation se déploie sur cinq andains de 50 m de long chacun. « Les vers travaillent en migration latérale », précise Sandrine. Quand ils ont fini de se nourrir et ont transformé les déchets en compost, ils progressent là où il y a de la nourriture. Le cycle d’assimilation dure 8 à 10 mois. C’est un peu plus long que dans un lombricomposteur domestique, parce que « c’est un élevage en plein air », précisent les éleveurs. Les 30 tonnes de biodéchets actuellement livrées aux vers de terre ne dégagent aucune odeur. Chaque étape de la production de compost est sous contrôle : des sondes sont placées dans les tas de déchets pour en surveiller la température et chaque risque fait l’objet de mesures de prévention, comme la dératisation.
L’exploitation fait en effet l’objet de nombreuses autorisations comme celle du traitement des biodéchets ou de l’accueil du public. Mais la lenteur administrative freine le développement de la ferme. « C’est une activité à part, méconnue, explique Anthony Perrier. Les biodéchets sont considérés comme des déchets et nous devons justifier de l’aseptisation du produit pour obtenir un agrément de la DDPP. C’est la raison pour laquelle nous commençons à travailler à petite échelle pour vraiment ouvrir au printemps. »

Les demandes affluent

L’ouverture de la ferme lombricole tombe à point nommé. À partir du 1er janvier 2024, la loi antigaspillage impose le tri des biodéchets à tous les particuliers et les professionnels. Les demandes auprès de la ferme affluent, qu’il s’agisse de collectivités ou d’entreprises. « Les gens cherchent des solutions et nous proposons une réponse différente, vertueuse, locale de traitement des déchets à proximité de leur lieu de production », insiste Anthony Perrier.
Si bien que le projet a séduit le Crédit agricole Sud Rhône Alpes, mais aussi le réseau Initiative Nord-Isère. « Nous avons été accueillis à bras ouverts », déclare le producteur. Le Crédit agricole a fait d’Avenir Vers son lauréat du prix de l’Excellence agricole et rurale, organisé par Terre Dauphinoise et remis à la Foire de Beaucroissant, au mois de septembre dernier. « Il faut croire au projet lorsque l’on rencontre son banquier. Mais on nous a demandé si l’on ne craignait pas d’être victime de notre succès. Cela nous a fait rire, mais finalement, on se dit que ça va un peu plus vite que prévu. » Pour la notoriété certes, en attendant les agréments et autorisations définitives.

Vente de compost

L’emprunt bancaire permet l’achat du cheptel, les aménagements extérieurs, la construction d’une serre pour la nurserie et l’achat de matériel pour le traitement des biodéchets. L’apport d’Initiative Nord-Isère a alimenté le besoin en fonds de roulement pour le décollage de l’activité. Sandrine Perrier a lâché son emploi pour travailler à temps plein à la ferme, tandis que son époux s’apprête à reprendre la plateforme de son beau-père.
« C’est une activité qui se décline sur de nombreux volets », poursuit Anthony Perrier. À côté du traitement des biodéchets et de la vente de compost, la ferme élève des vers pour la revente aux particuliers avec – ou sans – lombricomposteur. Sur les trois hectares de l’exploitation, une ferme pédagogique est en cours d’achèvement avec des ânes, des cochons, des cochons d’Inde, des moutons, des lapins et bientôt des chèvres. « Les enfants sont assez sensibles aux problématiques de gaspillage et reviennent à des choses plus naturelles », constate Sandrine Perrier qui prépare tout un parcours d’initiation « du biodéchet à la ferme ». Là aussi, la demande de la part des écoles et des particuliers est soutenue.
Petits-fils et fille d’agriculteurs, Sandrine et Anthony Perrier ont toujours souhaité relancer leur propre exploitation. C’est chose faite sur le site de l’ancienne ferme des grands-parents, où les vers ont remplacé les porcs.

Isabelle Doucet

Biodéchets : des obligations  à partir de janvier 2024 

À compter du 1er janvier 2024, conformément au droit européen et à la loi antigaspillage de 2020, le tri des biodéchets sera généralisé et concernera tous les professionnels et les particuliers. 
L’article L. 541-1-1 du code de l’environnement définit les biodéchets comme : « Les déchets non dangereux biodégradables de jardin ou de parc, les déchets alimentaires ou de cuisine provenant des ménages, des bureaux, des restaurants, du commerce de gros, des cantines, des traiteurs ou des magasins de vente au détail, ainsi que les déchets comparables provenant des usines de transformation de denrées alimentaires. ». 
(Source : ministère de la Transition écologique)