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Chine : le numérique à l’assaut des porcheries “ultra-connectées”

La consommation gigantesque de porc en Chine et le business qui en découle attire les géants de la vente en ligne chinois, qui investissent dans des porcheries ultra-connectées et pilotées par les données numériques et l’intelligence artificielle. Une révolution.

Par Christophe Ledoux
Chine : le numérique à l’assaut des porcheries “ultra-connectées”
Les géants du numérique chinois se sont aussi entichés d’investir dans des porcheries avec le ferme objectif d’utiliser la data - c'est-à-dire des milliards de données numériques - pour piloter leur fonctionnement, la santé de chaque tête, adapter la nutrition, suivre les températures, via des capteurs, des caméras et améliorer la productivité. (Photo archive Ifip Institut du porc)

Les Chinois aiment beaucoup le porc. Ils en consomment des milliards de tonnes. C’est de loin la première viande avalée, devant la volaille ou le bœuf. La Chine a même importé pas moins de 3,3 milliards de tonnes de porc au cours des neuf premiers mois de l’année 2020. Alors, quand la pandémie de peste porcine s’est répandue dans le pays en 2018, détruisant plus d’un tiers du cheptel, le ciel est tombé sur la tête des dirigeants chinois. Il a fallu tuer et éliminer des milliers de têtes, détruire des porcheries et en construire de nouvelles. Pas moins de 12 500 porcheries toutes neuves sont sorties de terre, autant ont été rénovées et le cheptel porcin est aujourd’hui presque totalement reconstitué. 

Reconnaissance faciale 

Mais le plus étonnant, c’est que les géants du numérique chinois, qui ont révolutionné le commerce en ligne, se sont aussi entichés d’investir dans des porcheries. Avec le ferme objectif d’utiliser la data - c'est-à-dire des milliards de données numériques, pour piloter leur fonctionnement, la santé de chaque tête, adapter la nutrition, suivre les températures, via des capteurs, des caméras et améliorer la productivité. Parmi ces investisseurs, on trouve Alibaba, l’équivalent chinois d’Amazon, dont la capitalisation boursière atteint 600 milliards d’euros (Md€) - 40 fois celle de Carrefour ! - ou les moins connus mais tout aussi financièrement puissants JD.com (113 Md€), Baidu (40 Md€), ou encore Netease, dont le PDG est multimillionnaire. Bref, des géants qui ont d’énormes moyens. « Ces sociétés ont changé la façon de jouer dans de nombreux secteurs comme l’habillement, la restauration, la vente au détail, indique un expert. L’élevage de porc devient leur nouveau champ de bataille ». JD.com, via sa filiale JD Agriculture and Animal, développe ainsi un module “Reconnaissance faciale du porc” (Pig Face Recognition) qui permet de reconnaître chaque porc, d’enregistrer et d’analyser automatiquement son poids, sa croissance, sa santé, de proposer les bonnes doses alimentaires ou les thérapeutiques nécessaires. La température des bâtiments et l’humidité sont réglés automatiquement par le système. Tout est piloté par ordinateur, réduisant l’intervention humaine au strict minimum. 

Des algorithmes logistiques 

De son côté, Alibaba utilise aussi des technologies d'intelligence artificielle telles que l'analyse d'images vidéo, la reconnaissance faciale, la reconnaissance vocale et les algorithmes logistiques dans les porcheries connectées qu’il détient avec deux entreprises agricoles. Des caméras collectent la posture de sommeil, la posture debout, l'alimentation et d'autres données notamment concernant des truies. Il s’agit d’améliorer leur sélection et, via l’insémination, leur taux de reproduction, qui reste inférieur en Chine à celles d’autres pays producteurs de porc. Des capteurs infrarouges mesurent ensuite la température des porcelets et la reconnaissance vocale analyse leur toux, leurs pleurs pour avertir d’une anomalie... Bien sûr, tout se fait à distance.

Dans la porcherie exploitée par Baidu, les maladies de peau ou la fièvre aphteuse sont transmises via les connexions à des vétérinaires en ligne qui préconisent les soins à apporter. Netease est allé encore plus loin. Son très riche PDG a fait appel à l’équipe qui a installé la station de recherche antarctique en Chine pour concevoir sa ferme porcine et obtenir un contrôle précis de l'humidité et de la température, afin que les porcs puissent vivre dans l'environnement le plus confortable et le plus sécurisé. Le porc élevé dans cette ferme écoute de la musique, boit de l’eau “de sources profondes”, et se nourrit lui-même avec une alimentation liquide. Cette façon d’élever les porcs de manière “humanisée” vise aussi à séduire le consommateur soucieux du bien-être animal.

Les “Big Brothers” de l’Internet sont en train de révolutionner drastiquement l’élevage porcin, même s’il ne s’agit, bien sûr, que des élevages les plus en pointe. Et bien sûr, aucun animal ne portera plainte pour utilisation abusive de ses données personnelles...