MANIFESTATIONS - TÉMOIGNAGES
« On a tout investi : notre cœur, notre argent, notre temps »

Parler, dire pourquoi ils ont quitté leur ferme ce 24 janvier pour bloquer les routes, de nombreux agriculteurs en avaient besoin. Voici une nouvelle compilation de témoignages recueillis sur le blocage de l’A7 qui s’est tenu à Montélimar Sud.

« On a tout investi : notre cœur, notre argent, notre temps »
Le 24 janvier, les agriculteurs de toute la vallée de la Drôme sont descendus jusqu’à Montélimar Sud pour y tenir un blocus de l’A7 durant 24 h avant de remonter le 25 janvier à Loriol, toujours pour un blocus. ©S.S.-AD26.

La colère des agriculteurs a pris une ampleur inédite. De nombreux témoignages dénoncent des charges, des contraintes administratives et un manque de reconnaissance du métier. « Nous, agriculteurs, on alimente les banquiers, l’administration française… On entend que tout va mal mais ce qui va mal, c’est la bureaucratie », s’indigne Fabienne. Elle est associée avec ses trois enfants sur un domaine viticole en cave particulière et des grandes cultures à Valaurie. « Mon mari vient de prendre sa retraite. Il touche moins de 800 euros par moi. Moi ça fait des années que j’ai une double activité de formatrice pour pouvoir faire bouffer tout le monde », raconte-t-elle. Alors, régulièrement, elle écrit aux ministres sur leurs comptes Facebook pour leur dire : « Venez sur le terrain, écoutez des gens compétents pour vous expliquer ce qui ne va pas ».

« Quelles perspectives pour les jeunes ? » 

« On perd notre liberté, déplore Simon Chabaud, installé en vignes et grandes cultures à Malataverne et qui dénonce les contraintes administratives. Pourtant on a tous choisi ce métier pour être libre mais on ne l’est plus ». Son frère, Florian, est installé sur la commune d’Allan depuis une trentaine d’années. Son fils souhaite le rejoindre mais il ne voit pas comment ce sera possible. « J’avais 80 hectares quand je me suis installé. La pression d’urbanisation sur le secteur m’a fait perdre plus de la moitié de mes surfaces. J’ai réussi jusqu’à présent à me préserver un salaire en développant en plus de la vigne et de la lavande une production de fraises et en faisant un peu de prestation de travaux agricoles. Mais, pour mon fils, à part un atelier volaille en intégration, soit au moins 600 000 € d’investissements, quelles perspectives pour dégager un revenu ? » s’interroge-t-il. La colère du monde agricole, Florian Chabaud se souvient l’avoir connue au début des années 1990 avec la première grande réforme de la Pac. « Mais on avait un peu oublié, on s’était remis le nez dans le guidon et au final aujourd’hui on se retrouve très fragilisé sans aucune visibilité. On a tout investi : notre cœur, notre argent, notre temps et aujourd’hui on a l’impression qu’on nous dit qu’on ne sert à rien », commente-t-il.

« Il faut des exploitations de toutes tailles »

Emmanuel Grégoire, producteur de céréales et melons à Allex, confirme ce mal-être : « Il nous faut une reconnaissance de notre métier et il faut garantir à nos jeunes, qui veulent reprendre nos exploitations, qu’ils pourront dégager un revenu ». La reconnaissance passe selon lui par le prix des produits. « On nous demande de faire toujours mieux. Or on ne nous valorise pas cette qualité supplémentaire ». Il souhaite aussi que « les Français comprennent qu’il faut des volumes pour nourrir la population, qu’il faut donc des exploitations de toutes tailles ». « L’été, quand il fait chaud, c’est 4 500 tonnes de melons par jour qui sont commercialisées. Alors oui, il faut des petits maraîchers qui vendent leurs melons sur les marchés mais il faut aussi des plus gros producteurs pour assurer des volumes », avertit-il.

Mathieu Cavaglia, céréalier et entrepreneur de travaux agricoles à Étoile-sur-Rhône, manifeste lui pour la première fois de sa vie. « Je suis double actif. J’ai 80 ha en bio, en grandes cultures et luzerne. Mais là, c’est la cata. En 2022, la tonne de maïs bio nous était payée 432 €. Cette année on devrait être à 200 €. En face les charges ont explosé. Le résultat des courses, c’est que je vais être à moins 16 000 € sur le bilan de la récolte 2023. Je me laisse encore une année en bio mais en 2025, si la vague de déconversion n’a pas fait remonter un peu les prix, j’arrête aussi », commente le jeune agriculteur. Sa colère est d’autant plus grande qu’en face les prix au consommateur des produits transformés à base de céréales bio n’ont eux pas baissé alors que les prix des matières premières se sont effondrés.

Sophie Sabot