TERRITOIRE
S’unir pour que la guerre de l’eau n’ait jamais lieu

Trois réunions ont rassemblé les élus concernés par le projet Hauts de Provence rhodanienne. Une gestion concertée de la ressource en eau est cruciale sur ce territoire à la fois pour préserver la nappe phréatique souterraine du Miocène et limiter les prélèvements en eau sur l’Eygues, le Lez et l’Ouvèze.

S’unir pour que la guerre de l’eau n’ait jamais lieu
Pour préserver les milieux, certains territoires ont été sommés ces dernières années de réduire fortement leurs prélèvements : de 20 % sur le Lez, 30 % sur l’Ouvèze et 40 % sur l’Eygues (photo archives - ©PNRBp - Q. Martinez)

Partager la ressource en eau à l’échelle des territoires est clairement le défi des prochaines années. Le faire dans le cadre d’une véritable concertation des acteurs locaux et prévenir tout risque de « guerre de l’eau » est indispensable. C’est dans cet objectif que trois réunions se sont déroulées en Drôme et Vaucluse la semaine dernière, à Séguret le 17 mai, à Grignan et Orange le 19 mai. Impulsées par les présidents des communautés de communes du territoire et les chambres d’agriculture des deux départements, elles ont réuni une centaine d’élus locaux (maires, présidents d’ASA, de syndicats d’eau potable, syndicats de rivière, association de protection de la nature…). Au menu de ces rencontres : la nécessaire anticipation des conflits d’usages sur la ressource en eau sur le territoire du projet Hauts de Provence rhodanienne (HPR), soit 81 communes dont 34 en Drôme, 11 intercommunalités et environ 200 000 habitants.

« Poser ensemble un vrai diagnostic »

Trop souvent résumé à un projet d’hydraulique agricole qui consisterait à faire venir l’eau du Rhône sur les territoires menacés de déficit hydrique du Sud-Drôme et Nord-Vaucluse, le projet HPR répond en réalité à des enjeux multiples. C’est pourquoi les acteurs engagés depuis 2017 pour le voir aboutir souhaitent qu’il soit reconnu comme un véritable PTGE - projet de territoire pour la gestion de l’eau (lire ci-dessous)- c’est à dire prenant en compte l’ensemble des usages de la ressource en eau.

« Aujourd’hui, nous devons poser ensemble un vrai diagnostic, sans affrontements, a déclaré Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d’agriculture, aux élus présents lors de la réunion à Grignan. L’eau potable est prioritaire mais il est aussi nécessaire de manger. Sans eau, rien ne poussera, qu’il s’agisse de plantes ou d’animaux. » L’évolution du climat vers des étés toujours plus secs et plus chauds va continuer d’accroître la tension sur la ressource. L’agriculture, malgré tous les efforts réalisés ces dernières années sur ses pratiques (choix variétaux, choix d’espèces, plantation de haies, optimisation de l’irrigation grâce aux outils d’aide à la décision, matériels d’irrigation plus performants….) voit hélas ses besoins augmenter. Preuve en est ces dernières semaines avec des niveaux d’évapotranspiration démultipliés par les conditions climatiques.

« Mieux répartir le gâteau du volume prélevable »

Dans le même temps les collectivités voient, elles aussi, croître leurs besoins, que ce soit en eau potable, pour leurs espaces verts et le maintien d’îlots de fraîcheur, pour la lutte contre l’incendie, les loisirs, le tourisme, l’économie locale (agriculture mais aussi industrie, carrières…).

« Il est urgent de décloisonner le sujet entre tous les acteurs, a estimé Stéphane Roure, chef du service eaux, forêts, espaces naturels à la DDT de la Drôme. Mieux répartir le gâteau du volume prélevable, cela peut se discuter à l’échelle d’un territoire. » Sans oublier que, dans certains cas, le gâteau s’est considérablement réduit depuis une dizaine d’années. Pour préserver les milieux, certains territoires ont été sommés de réduire fortement leurs prélèvements* : de 20 % sur le Lez, 30 % sur l’Ouvèze et 40 % sur l’Eygues. Une réduction qui concerne tous les usages : eau potable, industrie, agriculture… Mais qui « peut se discuter entre les usages », a précisé Stéphane Roure. D’où l’intérêt de mettre tous les acteurs autour de la table.

« Il est hyper important de sortir d’un contexte individualiste, de penser que c’est toujours aux autres de faire des efforts. Nous devons poser les vrais sujets sur la table et décider ensemble », a affirmé Jean-Pierre Royannez. D’autant plus au moment où va démarrer la mission de préfiguration pour la mise en œuvre du projet HPR (lire ci-dessous).

Un diagnostic difficile à établir

Mais, du côté des collectivités, on met également en avant que ce diagnostic n’est pas des plus faciles. D’abord parce qu’il concerne une multitude d’acteurs, a rappelé Mathilde Rolandeau, directrice du syndicat Rhône-Provence-Baronnies en charge de l’élaboration du schéma de cohérence territoriale (Scot) qui s’étend de Cruas à Bollène jusqu’à Dieulefit et Séderon à l’Est. Ensuite parce que certaines données ne sont aujourd’hui pas connues. Notamment les quantités d’eau réellement prélevées dans la nappe phréatique du Miocène. Seuls les forages domestiques y sont désormais autorisés. Mais dans quelle proportion et pour quelle destination ? Patrick Adrien, maire de Valréas et président du syndicat intercommunal des eaux et assainissement Rivavi, l’a souligné : « Ce qui me gêne, ce sont les forages abusifs que je vois fleurir de partout pour arroser des gazons ».

Arbitrer les usages s’avère donc indispensable. « Cette réunion n’est pas une réunion de plus, a conclu Jean-Pierre Royannez. Nous venons, ensemble, de franchir une nouvelle étape : celle d’aller vers un véritable projet multi-usages. L’étude de préfiguration du projet HPR va démarrer et elle doit intégrer les besoins de tout le monde. C’est un projet de longue haleine à 200 ou 300 millions d’euros. Mais nous voulons absolument qu’il sorte. »

Sophie Sabot

* Suite aux études réalisées sur les volumes prélevables.
Jean-Pierre Royannez (à g.), président de la chambre d'agriculture et Stéphane Roure, chef du service eaux, forêts, espaces naturels à la DDT de la Drôme, ont rappelé que les discussions sur le partage de la ressource doivent être "décloisonnées" et se dérouler "sans affrontements". ©AD26.
Projet HPR

Hauts de Provence rhodanienne : la maîtrise d’ouvrage se précise

On sait désormais qui portera la réalisation des travaux pour les deux adducteurs destinés à alimenter en eau du Rhône une partie du territoire du projet Hauts de Provence rhodanienne. « L’Asa du canal de Carpentras portera la branche sud et le syndicat d’irrigation drômois (SID) la branche nord avec une prise d’eau sur le Rhône qui partira de Bollène », a annoncé Sophie Lasausse, directrice du SID, lors de la réunion de Grignan. Le projet avait jusqu’à présent été chiffré à 264 millions d’euros. Mais la récente flambée du prix des canalisations et celle du prix de l’électricité, nécessaire au fonctionnement des stations de pompage, risquent de rebattre les cartes. « Il est impératif de retravailler ces projets pour trouver des solutions moins énergivores », a signalé la directrice. Elle a insisté sur le fait que HPR n’était pas un projet « agricolo-agricole ». Les travaux réalisés répondront aussi à d’autres enjeux, notamment la lutte contre les incendies qui repose trop souvent sur le réseau d’eau potable. « Nous avons besoin du soutien des maires sur ce projet, que vous sachiez l’expliquer pour convaincre les acteurs concernés sur vos territoires », a-t-elle déclaré. Bertrand Chareyron, responsable du pôle territoire et environnement à la chambre d'agriculture de la Drôme, a aussi insisté : « Le projet HPR, ce n’est pas uniquement apporter l’eau du Rhône, c’est une réflexion globale qui inclut la modernisation des Asa, la création de retenues collinaires... » Sans oublier d’actionner l’ensemble des leviers d’économie dont disposent les collectivités (comme l’optimisation du rendement des réseaux en eau potable par exemple).

S.S.

EAU

PTGE, quèsaco ?

Un projet de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) est, selon la circulaire du 7 mai 2019, « une démarche reposant sur une approche globale et co-construite de la ressource en eau sur un périmètre cohérent d’un point de vue hydrologique ou hydrogéologique. Il aboutit à un engagement de l’ensemble des usagers d’un territoire (eau potable, agriculture, industries, navigation, énergie, pêches, usages récréatifs, etc.) permettant d’atteindre, dans la durée, un équilibre entre besoins et ressources disponibles en respectant la bonne fonctionnalité des écosystèmes aquatiques, en anticipant le changement climatique et en s'y adaptant. » En 2020, une mission interministérielle a confirmé l’intérêt et la faisabilité du PTGE Hauts de Provence rhodanienne. Elle a aussi insisté sur la nécessité de le mettre en œuvre le plus rapidement possible.