Accès au contenu
SÉLECTION

Filière ponte : les méthodes d’ovosexage en plein développement

Après l’annonce d’un plan filière sur le bien-être animal dans lequel figure l’interdiction de l’élimination des poussins mâles de souche ponte d’ici fin 2021, la filière des poules pondeuses est en pleine révolution.

Filière ponte : les méthodes d’ovosexage en plein développement
Le 16 octobre 2019, les ministres de l’Agriculture de l’époque en France et en Allemagne, Didier Guillaume et Julia Klöckner, ont annoncé la coopération des deux États pour la fin de l’élimination des poussins, à échéance fin 2021. ©Pixabay

Depuis plus de cent ans, l’aviculture s’est spécialisée autour de la production d’œufs et de volailles de chair, ce qui permet de fournir des produits de qualité, accessibles aux consommateurs. « Spécialiser ses animaux se traduit par une corrélation négative entre la sélection de critères de reproduction ou de critères de croissance. Nous ne pouvons donc pas travailler, de manière efficace, la ponte et la croissance », a souligné Maxime Quentin, directeur scientifique adjoint de l’Itavi (institut technique de l’aviculture), à l’occasion d’un webinaire le 29 avril dernier sur les questions de l’ovosexage. « Ceci a conduit la filière ponte au constat d’une « non-valeur » du poussin mâle, et donc, à son élimination à un jour. » Une élimination à un jour, inacceptable pour une grande majorité des citoyens de plus en plus attentifs aux questions de bien-être animal.

« Selon les ONGs welfaristes françaises, il ne s’agit pas réellement d’un problème de bien-être animal, mais d’un problème éthique. Le poussin va être éliminé par des moyens qui ne le font pas souffrir. » Ces ONG encouragent la filière à aller rapidement vers des alternatives, en s’assurant qu’aucune souffrance ne soit endurée par les poussins mâles (embryon ou élevage). Cependant, un arrêt « partiel » de l’élimination des poussins mâles n’est pas acceptable. C’est pourquoi le 16 octobre 2019, les ministres de l’Agriculture de l’époque en France et en Allemagne, Didier Guillaume et Julia Klöckner, ont annoncé la coopération des deux États pour la fin de l’élimination des poussins, à échéance fin 2021. 

suite article

suite article
Maxime Quentin, directeur scientifique adjoint de l’Itavi. ©Itavi

Une feuille de route à construire

L’Allemagne a d’ailleurs voté, fin janvier 2021, un projet de loi interdisant l’élimination des poussins mâles à partir du 1er janvier 2022 et une obligation de soutien technique de sexage intervenant à moins de six jours à partir du 1er janvier 2024. En France, la feuille de route est à construire d’ici la fin de l’année. Parmi les alternatives disponibles sur le marché : les méthodes de sexage in-ovo, avec un développement progressif d’outils. Cette méthode consiste à sexer, le plus tôt possible, tous les embryons des poussins de souche ponte, soit environ 110 millions d’œufs incubés par an pour éviter l’élimination des poussins mâles.

« Les méthodes d’ovo-sexage sont nombreuses voire même prometteuses, mais leur évaluation reste à discuter », prévient Maxime Quentin. Dans ce contexte, le projet Yoong, auquel participe l’Itavi et le CNPO (comité national de la promotion de l’œuf), a pour objet de coter les différentes techniques disponibles afin d’aider les opérateurs de la filière à choisir la plus adaptée à leur situation, par une évaluation multicritère : impacts économique, environnemental et social ; faisabilité ; éthique et innocuité de la méthode.

Deux méthodes disponibles sur le marché

A ce jour, deux technologies sont accessibles, à savoir Seleggt et AAT. La première consiste à une analyse endocrinologue à J 9 (évaluation du taux d’hormones). « Cette première méthode, entièrement automatisée, donne plutôt de bons résultats (erreur de sexage 2-3 %, ndlr). Plus de 3 millions de poules sont issues de cette technique en Europe », prévient le directeur scientifique. Aujourd’hui, il existe un couvoir aux Pays-Bas avec une machine qui peut produire jusqu’à 3,5 millions de femelles par an. Un deuxième devrait voir le jour rapidement, en France, puisque la société Respeggt France a été créée fin mars 2021. La seconde méthode, quant à elle, est une méthode de détection de la couleur des premières plumes. Elle est utilisable à J 5, sans contact, mais nécessite l’ouverture de la coquille.

Enfin, la startup hollandaise In Ovo travaille sur une technologie visant à doser les métabolites du liquide allantoïdien (glucoses, acides aminés) permettant une différenciation du sexe (erreur de sexage estimée à 5 %). D’autres méthodes sont en cours de développement. « Vouloir déterminer le sexe des embryons est un travail de longue haleine », rappelle Maxime Quentin. Connaître ou orienter le sexe des embryons fait en effet l’objet d’une recherche active depuis de nombreuses années. Elle a connu un boom grâce à l’association de technologies d’analyse et de traitement de données finalement récentes. « Les méthodes qui sont aujourd’hui sur le terrain sont développées par des professionnels de l’accouvage et de l’incubation, ce qui est plutôt rassurant. Même si leur efficacité est moins bonne que l’approche classique, on observe peu d’effets secondaires zootechniques. Enfin, elles évoluent et font l’objet de travaux constants d’amélioration », note Maxime Quentin.

De nombreuses questions en suspens

De nombreuses questions restent toutefois en suspens, face à un faible recul sur l’utilisation de ces méthodes. Après avoir longuement travaillé sur l’évolution des modes d’élevage, la filière française a donc un nouveau défi à relever. Car si l’ovosexage semble être une réponse intéressante à la problématique de l’élimination du poussin mâle, elle n’est pas encore idéale et suscite encore des interrogations, notamment en termes de sensibilité de l’embryon à cette pratique et de répercussions sur les prix. 

« C’est un sujet important pour notre filière, où chaque maillon est aujourd’hui amené à procéder à des évolutions. Techniquement, nous avons des méthodes opérationnelles qui ne demandent qu’à se développer, dont il faut obtenir pérennité, durabilité et acceptabilité », conclut Philippe Juven, président du CNPO. Pour autant, le déploiement du sexage in ovo en poules pondeuses engendrerait un surcoût de production « d’au moins 64 millions d’euros par an », selon le CNPO, soit 4 % du chiffre d’affaires de la filière. Un calcul basé sur la méthode à ce jour la moins onéreuse, à savoir celle d’AAT, dont la prestation est facturée 1 euro par animal, alors qu’un poussin coûte en moyenne 80 centimes. 

Amandine Priolet (avec Agra)

Retrouvez le webinaire sur Youtube : https://youtu.be/nfkeg8QwqXs