Santé
La santé mentale  face à l’épreuve du Covid

Le professeur Thierry Bougerol, chef du service psychiatrie du CHU Grenoble Alpes, et le docteur Marc Dubuc, responsable du service psychiatrie de liaison adulte, ont présenté une conférence sur l’impact de la pandémie sur la santé mentale.

La santé mentale  face à l’épreuve du Covid
Le professeur Thierry Bougerol (à g.), chef du service psychiatrie du CHU Grenoble Alpes et le docteur Marc Dubuc, responsable du service psychiatrie de liaison adulte.

Tandis que l’épidémie de Covid-19 aura bientôt été la cause de près de six millions de décès dont plus de 110 000 en France, la communauté scientifique s’est penchée sur l’impact de la pandémie. « Les données s’accumulent sur le plan international », déclare le professeur Thierry Bougerol, chef du service psychiatrie du Centre hospitalier universitaire de Grenoble Alpes (Chuga), lors d’une web conférence donnée le 8 juin dernier. Il précise que la notion de santé mentale regroupe le bien-être perçu, une détresse psychologique ou la présence d’une maladie mentale. « Les troubles anxieux, dépressifs, du sommeil, les conduites suicidaires sont en augmentation », rapporte-t-il.
Anxiété, dépression, troubles du sommeil
En France, l’enquête CoviPrev a suivi 2 000 Français depuis le début de l’épidémie. « Dès le mois de mars 2020, plus d’un quart des personnes interrogées (27 %) ressentaient un état d’anxiété deux fois supérieur aux observations précédentes, en 2017. » Le professeur Bougerol constate que le niveau des états dépressifs reste aujourd’hui encore élevé (20 % en 2021 contre 10 % en 2017), avec une augmentation de 3 % depuis janvier 2021. Les états anxieux sont aussi à un niveau élevé, à 21 % (contre 13,5 % en 2017) et ont aussi connu un rebond en début d’année à l’annonce de la troisième vague. « Un tiers des personnes interrogées ont soit un état anxieux, soit dépressif, soit les deux », explique encore le professeur. Les troubles du sommeil demeurent importants : 65 % des personnes en ont souffert (contre 49 % en 2017). Enfin, la satisfaction de vie a perdu dix points en cinq ans (76 % aujourd’hui) et la fréquence des pensées suicidaires a presque doublé (9 %).
Fragilité économique
Le professeur se montre prudent quant aux personnes les plus touchées car ce sont généralement celles qui présentaient déjà des difficultés psychologiques ou alors celles qui ont été victimes du Covid. Les personnes les plus fragiles économiquement sont aussi en sur-risque. Par ailleurs, ce sont les CSP les plus basses qui rencontrent le plus de troubles du sommeil. Le professeur porte une attention particulière aux populations de jeunes, dont les étudiants qui présentent davantage d’états anxieux, mais aussi les personnes vivant dans des logements surpeuplés. Il souligne aussi un phénomène nouveau qui est l’augmentation de gestes suicidaires et de troubles de l’humeur chez les moins de 15 ans, au regard des données recueillies aux urgences ou par SOS médecin.

Les femmes et les jeunes

Une autre étude internationale, baptisée COH-FIT, délivre ses premiers résultats pour la France. Elle confirme qu’une personne sur quatre est dans un état de stress, de solitude ou de colère. Les femmes et les jeunes semblent plus marqués par cette crise sanitaire. La consommation de médicaments a également explosé : + un million (+ 8 %) d’antidépresseurs, + 1,3 million d’anxiolytiques (jusqu’à + 12,5 % en avril dernier) et + 580 000 hypnotiques (jusqu’à + 15,5 % au mois d’avril). Les nouveaux traitements avec des médicaments psychoactifs ont bondi de 15 à 26 % selon les catégories. 
Le professeur Thierry Bougerol liste une série de facteurs déterminants, à commencer par la peur d’attraper le virus, de mourir ou pour l’avenir, mais aussi la solitude, le télétravail ou l’école en distanciel, la raréfaction des contacts sociaux, la consommation d’écrans, de réseaux sociaux et de certains médias d’information en continue ou encore le changement de rythme qui est un facteur aggravant. La durée du confinement, la peur d’être infecté, la frustration, les informations imprécises, les pertes financières ou la stigmatisation des personnes touchées par la maladie sont aussi des facteurs amplifiants.

En parler à son entourage

Face à ces situations, il déclare : « La première consigne est d’en parler à son entourage, à des professionnels ». Santé publique France a édité une fiche avec sept consignes : rester en lien avec son entourage ; aider ses proches ; ne pas écouter les informations en continu ; structurer ses journées ; limiter sa consommation d’alcool et de tabac ; prendre soin de sa santé et parler autour de soi de son état d’angoisse.
Le docteur Marc Dubuc, responsable du service psychiatrie de liaison adulte au Chuga, est intervenu sur la prévention du suicide. Il se montre extrêmement prudent quant aux chiffres sur le suicide durant la période car les données ne pourront être connues que d’ici cinq ans. Il déclare qu’il y a en France environ 9 000 décès par suicide par an et entre 150 000 à 200 000 gestes suicidaires. Ce qui est certain, au regard des données recueillies par les services des urgences, c’est l’augmentation des gestes suicidaires chez les moins de 15 ans et une légère augmentation tous âges confondus.

Une tristesse profonde qui dure

Pour prévenir ces gestes, le docteur Dubuc recommande « d’être attentif à tous les signes, tout ce qui est modification du comportement, tout ce qui est mal-être qui s’installe. » Il ajoute : «  Il ne faut pas hésiter à faire le premier pas et oser parler de son mal-être à la personne et lui demander si elle a des idées suicidaires. Ensuite, il faut l’aider à se faire aider. » Il insiste : « Toute personne a la légitimité à repérer une personne qui va mal et à lui parler ». Un certain nombre d’associations proposent des numéros d’appel pour les personnes en difficulté.
En cas de tentative de suicide, le docteur Dubuc conseille « de ne pas faire comme si on n’entend pas. Il faut oser parler, oser poser des questions simples. C’est un mal-être profond qui, s’il n’est pas pris au sérieux, peut devenir encore plus profond ». 
Le professeur Thierry Bougerol précise que la dépression se différencie du sentiment de déprime par son intensité. « C’est une tristesse qui s’installe dans la durée, de plus en plus profonde et la personne devient moins réactive à une situation positive. Elle a un sentiment de culpabilité, de dévalorisation, des problèmes de mémoire, de concentration, une fatigue physique, elle n’arrive plus à lire, à regarder un film, voire à soutenir une conversation, qui peut conduire à avoir envie que ça s’arrête. » Chez les enfants, cette douleur s’exprimera davantage par des problèmes de comportement, d’irritabilité, d’isolement ou de difficultés de sommeil. Au-delà de 15 jours de cet état qui s’installe en durée et en intensité, il conseille d’aller consulter.
La prise en charge de ces troubles se fait par des professionnels de la santé : des psychologues diplômés en sciences humaines ou des psychiatres qui sont des médecins qui peuvent prescrire des médicaments. La première personne à contacter est son médecin traitant. « Il ne faut pas hésiter à appeler le 15 qui saura répondre », ajoute le docteur Dubuc. 
« Chacun a sa limite de tolérance, conclut le professeur Bougerol, si elle est dépassée, on peut craquer. Il n’y a pas une honte à cela. Une personne sur deux fera un épisode dépressif dans sa vie. »

Isabelle Doucet