INTERVIEW
Noix : la filière tire les leçons de la crise

Producteur de noix sur 40 hectares1 à Montmiral, Christian Nagearaffe siège au conseil d’administration du CING2, au bureau de la Senura3 et à la chambre d’agriculture de la Drôme. Il livre ses éclairages sur la crise que traverse la filière noix. 

Noix : la filière tire les leçons de la crise
Christian Nagearaffe, ici lors du dernier salon de l’agriculture à Paris, pour promouvoir la noix de Grenoble. © CING.

La filière noix française traverse une crise sans précédent depuis quelques mois. Quelles sont selon vous les raisons de cette crise ? 

Christian Nagearaffe : « Nous avons connu en 2022 des rendements exceptionnels sur les deux bassins de production du Sud-Ouest et du Sud-Est. En moyenne, la récolte française tourne autour de 38 000 tonnes. Cette année, les producteurs ont récolté 15 à 17 000 tonnes supplémentaires. Les metteurs en marché ont réussi à écouler sans trop de difficultés les volumes habituels mais c’est ce surplus exceptionnel qui met la filière en difficulté. En parallèle, les prix à l’export ont été tirés vers le bas avec une pression très forte des États-Unis et du Chili. Pour la noix de Grenoble, l’export, essentiellement vers l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, la Suisse, représente 55 % des volumes. Or, les États-Unis avaient encore des stocks de la récolte 2021, qu’ils ont eu du mal à écouler en raison des problèmes de logistique par bateau post-covid. Résultat, ils ont fait du dégagement de volumes et déstabilisé le marché. »

Qu’en est-il justement des prix ? 

C.N. : « Sur le marché français jusqu’à Noël, les prix n’ont pas trop décroché. En revanche, du 1er février au 8 mars, selon les critères du réseau des nouvelles du marché (RNM), la noix a été déclarée « en crise » au niveau tarifaire, c’est-à-dire que son prix durant cinq jours consécutifs a été inférieur de 25 % à la référence hebdomadaire (moyenne olympique des cinq dernières années, ndlr).

Les prix actuellement payés aux producteurs oscillent entre 0,95 et 1,40 €/kg et ne couvrent pas les coûts de production estimés entre 2 et 2,20 €/kg. Rappelons que l’année dernière, le prix moyen s’est établi à 2,50 €/kg et que, depuis, nos coûts de production ont explosé. »

Le 13 avril, à Vinay (38), les chambres d’agriculture de l’Isère, de la Drôme et Savoie Mont-Blanc ont réuni plus d’une centaine de producteurs de noix. Que retenir de cette rencontre ? 

C.N. : « Elle a permis, après la précédente enquête lancée fin janvier, de dresser un nouvel état des lieux des stocks sur les exploitations. D’après les retours des producteurs présents, la situation s’est un peu redressée et il resterait surtout des petits lots dont on peut craindre qu’ils se conservent mal avec l’arrivée des chaleurs printanières, la plupart des exploitations n’étant pas équipées de chambre froide. Une nouvelle enquête a été adressée aux producteurs pour affiner la situation (pour y répondre, voir ci-dessous). La question des prix a également été abordée. En noix de Grenoble, la valorisation sur le marché français semble avoir été correcte. En parallèle, selon les critères du RNM, toutes noix confondues, les prix semblent s’être redressés depuis le 8 mars. Même si des difficultés à l’export subsistent, les producteurs s’interrogent sur le partage de la valeur ajoutée par certains metteurs en marché. Une rencontre est d’ailleurs programmée entre la chambre d’agriculture de l’Isère et les metteurs en marché pour un point sur les stocks et les prix. Enfin, la rencontre du 13 avril a permis d’aborder les difficultés sanitaires, notamment les parasites émergents et le manque d’homologation de produits, et d’échanger avec les producteurs sur une possible structuration de la filière nationale. »

Une rencontre a également eu lieu le 16 mars avec Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, au sujet de la crise traversée par la filière noix. Vous y participiez...

C.N. : « Nous étions effectivement deux représentants du Sud-Est avec Christian Mathieu, producteur à L’Albenc (38) et président de la Senura, deux représentants du Sud-Ouest et un de la FNSEA. Nous avons demandé au ministre le soutien de l’État sur trois mesures : des solutions pour des marchés de dégagement ; des aides pour l’investissement dans des outils de stockage mais aussi de cassage pour augmenter les volumes valorisés en cerneau ; d’inclure la noix dans les opérations de communication visant à soutenir la consommation de fruits et légumes. Nous l’avons aussi alerté sur les droits de douane pour exporter hors Europe. En Algérie ou Tunisie par exemple, gros consommateurs de noix, les droits de douane pour les noix françaises sont respectivement de 30 % et 50 %. On ne peut pas être compétitifs sur ces marchés.

Enfin, nous avons abordé la question de la structuration nationale de la filière. La noix est en France, le deuxième verger en surface derrière la pomme. Or nous n’avons pas d’interprofession nationale reconnue permettant de lever une cotisation volontaire obligatoire (CVO). La filière n’a donc pas les moyens de conduire des actions de promotion. Elle n’est pas non plus représentée dans les instances qui délibèrent sur les problématiques sanitaires. En dehors des appellations (noix de Grenoble, Périgord), nous manquons de visibilité sur les surfaces, les volumes produits, les flux en volumes et en valeur… J’ai proposé au ministre de mandater une mission du CGAAER4 pour réaliser un état des lieux de la filière noix en France, proposition à laquelle il a répondu favorablement. »

Êtes-vous optimiste pour la récolte 2023 ? 

C.N : «  La crise actuelle est avant tout conjoncturelle du fait d’une récolte exceptionnelle. Après plusieurs récoltes amputées par des intempéries (neige, grêle), nous sommes revenus sur des volumes plus conformes à notre potentiel de production. Nous pourrions connaître à l’avenir une petite augmentation des volumes. Les opérateurs commerciaux devront donc se montrer offensifs, d’autant que les petits volumes des précédentes récoltes avaient limité la prospection de nouveaux marchés. Mais des marges de progrès existent. Les Français consomment 300 g de noix par an, contre 2 kg pour les Allemands ou les Italiens. Nous avons donc une belle marge de manœuvre, notamment en noix de Grenoble où seuls 45 % de nos volumes sont aujourd’hui écoulés sur le marché français. Nous devons nous concentrer sur ce marché national sur lequel la noix est mieux valorisée. Pour cela nous devons notamment travailler sur les modes de consommation, mettre en place des unités de transformation, rechercher de nouveaux produits, trouver des marchés de niche pour des cerneaux de noix de qualité… Le CING travaille d’ailleurs à faire inscrire les cerneaux dans le cahier des charges de l’AOP noix de Grenoble. »

Propos recueillis par Sophie Sabot. 

1 Dont 36 ha en AOP noix de Grenoble et 4 ha en Fernor. 
2 CING : comité interprofessionnel de la noix de Grenoble ; 
3 Senura : station d’expérimentation nucicole du bassin Sud-Est. 
4 CGAAER : conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux.