Bandes dessinées
“ Les gens ont des points de vue faciles,  alors que c’est plus compliqué que cela ”

Agée de 24 ans, Marine de Francqueville est réalisatrice de films d’animation et illustratrice. Elle vient de publier « Celle qui nous colle aux bottes » aux éditions Rue de l’Echiquier. Une bande dessinée où elle confronte son point de vue à celui de son père, cultivateur dans l’Aisne. Un regard honnête, sans tabou et richement documenté sur l’agriculture et ses enjeux contemporains.

“ Les gens ont des points de vue faciles,  alors que c’est plus compliqué que cela ”
Marine de Francqueville sur sa table de dessin installée sur l’exploitation familiale. ©Marine de Francqueville

Comment est né votre projet de bande dessinée sur l’exploitation familiale ?
Marine de Francqueville : « Il est né de la différence que j’ai constatée entre les discussions que j’avais avec mes amis à Paris, qui s’intéressaient à l’écologie, s’inscrivaient à des Amap et baignaient, comme moi, dans ce mouvement-là, et celles que j’avais avec mon père, lorsque je rentrais chez mes parents et que j’allais l’aider sur la ferme. Je le titillais en lui parlant de ce que j’entendais à Paris, qu’il ne fallait pas mettre de produits chimiques, que c’était horrible... Lui m’expliquait sa vie à lui, dans les champs, et était très énervé par tout cela : il se sentait attaqué. La question de cultiver et de se nourrir m’intéressait ; et je trouvais qu’il y avait quelque chose à expliquer sur ce décalage entre ceux qui en parlaient mais n’étaient pas sur les terres et ceux qui l’étaient mais se braquaient aussi… Les gens ont des points de vue parfois un peu faciles, alors que c’est plus compliqué que cela. »

Comment votre point de vue à vous a-t-il évolué au fil de votre travail ?
M. de F. : « Mon regard sur l’agriculture a changé, c’est sûr. D’abord, parce que tout le monde sur terre souhaite que les choses se passent bien, et personne n’a envie de mettre des produits chimiques dans ses champs pour se pourrir la santé. C’est ce que dit mon père à la fin de la bande dessinée. Sauf que le lieu où l’on se trouve, l’époque où l’on vit ou les politiques en place à ce moment-là dictent aussi des pratiques, qui ne sont pas les mêmes au fil des générations. J’ai bien compris que mon papa essaie de bien faire, pense bien faire et fait sûrement bien dans plein 
de domaines ! La  première étape a été celle de l’empathie, pour comprendre le travail de mon père et ne plus m’énerver [rire]. L’étape d’après a été de me documenter sur les époques pour comprendre ce qui l’avait amené à ces pratiques, tout en gardant en tête que pour moi elles n’étaient pas durables. Nous avons rencontré plusieurs voisins agriculteurs. J’ai aussi constaté que beaucoup d’agriculteurs bien intentionnés n’avaient pas le temps de se documenter ni les moyens de changer leurs façons de faire, car cela coûte cher de passer, par exemple, d’une agriculture conventionnelle à une agriculture biologique. »

Comment votre regard sur votre père et sur son travail a-t-il changé ?
M. de F. : « Mon père est passé de méchant à victime de la société puis à futur acteur de ses champs ! Mais  avant que l’on discute, il était déjà bien acteur, il se questionnait déjà sur ses pratiques. Ce n’est pas moi qui suis arrivée et l’ai fait changer complètement d’avis. C’était aussi chouette de faire ça à deux ! Aujourd’hui, beaucoup de choses dysfonctionnent sur la planète et les agriculteurs sont des victimes faciles. Ce n’est vraiment pas juste, car on fait tous comme on peut pour gagner sa vie et faire ce que l’on aime. »


Dans l’une des planches, votre papa vous explique comment il utilise le moins possible de glyphosate. Ne pensez-vous pas que les choses changent ?
M. de F. : « Oui, complètement ! On  met les agriculteurs dans des cases, c’est ridicule. Quand il m’a expliqué son raisonnement, j’ai trouvé cela très intelligent. On essaie de faire avec notre temps, les technologies ont du bon… même si pour avoir des « super tracteurs », il faut aussi les fabriquer et ça ne doit pas être tout rose [rire]… Comme mon père le dit à la fin : il faut essayer de voir toutes les solutions qui existent et multiplier les chemins pour essayer de faire un peu mieux, voire beaucoup mieux. »

Dans une autre planche, votre maman dit que l’agriculture, « c’est devenu à la mode ». Est-ce ce que vous ressentez ?
M. de F. : « C’est complètement à la mode [rire] ! Quand j’ai commencé ma BD, on se fichait de moi. Moi j’ai grandi avec mes parents, mais je suis quand même très loin de la terre. Je suis montée à Paris pour mes études et là je reviens chez moi pour faire une bande dessinée sur l’agriculture : c’est le cliché parfait d’une jeune citadine qui revendique des racines de la terre ! Mais ça me plaisait bien et je me suis bien caricaturée dans ce sens-là. En même temps, cette mode est chouette, car elle montre que l’on cherche à comprendre un peu plus ce qu’est l’agriculture. »

Au début de l’histoire votre posture est assez moralisatrice, mais elle s’estompe au fil des pages… Que pensez-vous des jugements de la société sur l’agriculture ?
M. de F. : « J’espère que l’enveloppe de moralisatrice tombe au fil de l’histoire [rire]. Le but c’était de dire : on a tous des idées, mais il faut peut-être aller au-delà des préjugés pour voir ce qu’il en est vraiment dans la réalité. Je trouve que les jugements de la société ne sont pas assez nuancés, ils manquent de sources et s’arrêtent à des préjugés. Cela étant, même si on ne connait pas tout sur tout, donner son avis, même faux, permet de faire réagir. Il ne faut pas se mettre un scotch sur la bouche parce qu’on n’a pas lu plus de trois livres sur l’agriculture ! Il y a en revanche un côté très énervant de ceux qui n’y connaissent rien et qui critiquent les agriculteurs conventionnels alors que ce n’est pas 
si évident que cela. »

A un moment de l’histoire, votre papa dit qu’il partira dans 5-6 ans à la retraite et qu’il n’a pas très envie de changer. La fin de la BD nous dit le contraire. Que s’est-il passé ?
M. de F. : « Ce n’est pas un argument de dire : « je pars à la retraite donc je ne vais rien faire » ! Surtout que ça peut être un plaisir de changer. Après tout ce que l’on a fait, mon père est en train de se renseigner sur l’agroforesterie et  finalement, ça l’éclate ! Ce n’est pas du tout un calvaire : au final, ça peut être la fête de planter des arbres dans ses champs ! Aujourd’hui, on parle beaucoup de sa nouvelle démarche avec mon père. »

Propos recueillis par Sébastien Duperay

Avis de lecteur
Marine de Francqueville - Celle qui nous colle aux bottes - Editions Rue de l’Echiquier BD - 208 p. - 21,90 euros

Avis de lecteur

En fin de cursus aux Arts Déco, Marine de Francqueville noue avec son père agriculteur un dialogue inédit autour de la terre et de l’environnement et en fait son mémoire de fin d’études. Un échange vif, heurté, où chacun campe au départ sur ses positions. Lui, fort de son expérience personnelle, se sent tenu de défendre l’agriculture conventionnelle même s’il en connait les défauts : il faut bien nourrir la planète. Elle, baignant dans une culture alternative et nourrie des références de l’écologie politique, s’accroche à ses convictions. Les propos sont tranchés, les visions inconciliables et pourtant, par l’écoute, les rencontres, l’affection profonde qui les unit, Marine et son papa parviennent à se comprendre et à cheminer ensemble. La jeune autrice aborde le sujet des pratiques agricoles avec une grande honnêteté et apporte la nuance indispensable à une bonne compréhension des enjeux du moment. 
S. D. (avec communiqué)

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