TRANSMISSION
« Quelle trajectoire pour mon exploitation dix ans avant ma retraite ? »

En Drôme, selon le dernier recensement agricole, 57 % des exploitants, coexploitants et associés actifs ont plus de 50 ans. Préparer la transmission de ces exploitations est essentiel. La chambre d’agriculture de la Drôme propose des formations pour anticiper dans les meilleures conditions ce passage de relais. Explications avec Murielle Landrault, conseillère d’entreprises. 

« Quelle trajectoire pour mon exploitation dix ans avant ma retraite ? »
Les agriculteurs s’investissent énormément dans la vie de leur exploitation. En général, ils ont envie que leur entreprise continue de progresser et perdure lorsque viendra l’heure de la retraite. ©Adobestock

La chambre d’agriculture de la Drôme propose des accompagnements spécifiques pour bien préparer la transmission de son exploitation. Pourquoi est-il essentiel d’anticiper cette étape ? 

Murielle Landrault : « Les agriculteurs s’investissent énormément dans la vie de leur exploitation. En général, ils ont envie que leur entreprise continue de progresser et perdure lorsque viendra l’heure de la retraite. Mais transmettre une exploitation est un sujet complexe où se croisent des aspects fiscaux, comptables, économiques, patrimoniaux, familiaux et personnels… C’est pourquoi il est essentiel de mûrir sa réflexion. »

Plus précisément quels sont les points clés à aborder ? 

M.L. : «  Une des premières réflexions concerne l’exploitation : comment la maintenir transmissible. Quelle orientation on lui donne, quelle rentabilité, quels investissements… Mais il y a aussi des choses à préparer concernant “l’après exploitation” : comment va-t-on vivre une fois que l’on aura arrêté son activité professionnelle ? Des choses doivent s’anticiper : avoir une idée du montant de sa retraite, réfléchir aux pistes pour un complément de revenus, mais aussi s’interroger sur la façon dont on souhaite valoriser son exploitation. Sans oublier, l’aspect familial : il y a souvent des questions patrimoniales voire sentimentales. Se posera par exemple la question de l’équité entre enfants si l’un reprend l’exploitation. Ces questions dépassent le champ agricole. Elles doivent être abordées avec l’idée de ne pas brusquer les choses et de laisser le temps à chacun de se positionner, de mûrir ses décisions. Enfin, une exploitation représente souvent un capital important au regard de sa rentabilité. Il est donc essentiel de réfléchir aux formes juridiques qui favoriseront la reprise de ce capital. Plus on anticipe, plus on a le choix des outils, notamment sur les questions patrimoniales, fiscales… » 

En Drôme, plus de la moitié des agriculteurs ont plus de 50 ans. Sont-ils sensibilisés à ces questions de transmission ? 

M.L. : « Il y a une grande diversité de situations. Tout dépend du contexte : s’ils sont propriétaires ou non du capital, s’ils sont sensibilisés collectivement à la problématique des départs à la retraite par exemple sur les communes où tous les agriculteurs sont de la même génération, s’il y a une réflexion à l’échelle de leur filière pour le maintien des volumes de production… Souvent aussi, l’exploitant est plus ou moins sensibilisé en fonction de ce à quoi il a lui-même été confronté au moment de son installation. »

Comment s’informer et se préparer à la transmission ? 

M.L. : « La chambre d’agriculture de la Drôme organise des journées d’information au plus près du terrain. Depuis 2018, nous avons aussi mis en place la formation “Je me prépare à transmettre mon exploitation ”, sur trois jours, qui s’adresse prioritairement aux exploitants approchant de la cessation d’activité (un à cinq ans de la retraite). Ces temps en groupe permettent aux exploitants de partager, d’échanger sur leur situation en dehors du contexte familial. En 2021, une trentaine d’agriculteurs a participé à nos trois sessions de formation. L’âge moyen était de 60,8 ans. Parfois, les exploitants s’y prennent un peu tard pour bien préparer leur transmission. Dans l’idéal, il faut commencer à réfléchir dix ans avant la date probable de son départ en retraite, notamment pour pouvoir choisir la solution la plus adaptée d’un point de vue patrimonial. »

La chambre d’agriculture met d’ailleurs en place une nouvelle formation dès cet automne... 

M.L. : « Oui, la formation “Quelle trajectoire pour mon exploitation ?” Elle s’adressera à des exploitants à partir de 50 ans qui se posent des questions sur la dernière partie de leur carrière, qui souhaitent transmettre dans les meilleures conditions à leurs enfants ou s’engager dans une transition pour faciliter l’installation d’un jeune, ou encore qui trouvent leur travail éprouvant et cherchent à lever le pied. L’objectif est d’établir un diagnostic de la situation, de réfléchir aux différents scénarios envisageables, d’ouvrir le champ des possibles... Les participants bénéficieront aussi de l’expertise d’un notaire spécialiste des aspects patrimoniaux (évaluation, succession). À l’issue de cette formation, les exploitants auront aussi réfléchi à leurs priorités personnelles, à la façon d’aborder ces questions avec leur entourage… Ils auront établi leur feuille de route pour arriver dans les meilleures conditions possibles à l’étape concrète de la transmission. » 

Propos recueillis par Sophie Sabot

Formation “Quelle trajectoire pour mon exploitation ?” : 
- Deux sessions de deux jours : 10 et 17 octobre ou 7 et 14 décembre. 
- Lieux : Bourg-lès-Valence.
La chambre d’agriculture dispose aussi d’un point accueil transmission pour des rendez-vous personnalisés, gratuits et confidentiels à destination des agriculteurs qui envisagent de cesser leur activité mais aussi des propriétaires qui s’interrogent sur le devenir de leur patrimoine foncier.
Contact : 04 27 24 01 61.
POINT DE VUE

"Il faut de l'anticipation"

Sandrine Roussin, élue en charge du dossier à la chambre d’agriculture de la Drôme, insiste : « Lâcher son exploitation est souvent un vrai déchirement. D’où l’intérêt de préparer cette étape le plus en amont possible. Dans un contexte incertain pour l’agriculture, prendre le temps de réfléchir aux orientations ou aux investissements quand on est à dix ans de la retraite est essentiel. C’est d’autant plus important si l’on veut installer un jeune dans de bonnes conditions. Le monde agricole est en train de prendre un virage comme on n’en avait jamais connu et, pour bien le prendre, il faut de l’anticipation. Les formations proposées par la chambre d’agriculture de la Drôme sont là pour aider à anticiper. »

TÉMOIGNAGE

Une formation pour faire les bons choix au bon moment

Alain Bonneton, agriculteur à Épinouze, cessera définitivement son activité fin 2024. En 2022, il a suivi la formation “Je me prépare à transmettre mon exploitation”. 

« Ne pas s’y prendre à la dernière minute », c’est le conseil que donne Alain Bonneton à ceux qui, comme lui, vont se retrouver en situation de transmettre leur exploitation, « surtout en cultures pérennes », insiste-t-il. Lui-même a suivi tardivement la formation proposée par la chambre d’agriculture. Il avait toutefois pris ces dernières années des décisions qui ont favorisé la transmission de son exploitation. « J’ai longtemps été spécialisé en pêche avec 25 ha de vergers plus 5 ha de pommiers. Avec l’arrivée de la sharka en 1999, j’ai rebondi en grandes cultures sur 65 ha dont environ 20 % en semences. » Il y a cinq ans s’est posée la question de renouveler les derniers hectares de pêchers qui arrivaient en fin de course. « J’ai décidé de planter 5 ha de pommiers, des variétés club à valeur ajoutée, couverts de filets para-grêle, explique-t-il. Un investissement lourd, mais je voulais garder mon potentiel de production en pommes [il exploite également 5 ha de variétés plus anciennes et moins rentables, ndlr]. Je me suis dit que ce nouveau verger trouverait toujours preneur. » Lorsqu’en 2022, il décide de suivre la formation de la chambre d’agriculture, il a déjà dû s’interroger sur la possibilité de lever le pied suite à des problèmes de santé. « Les circonstances ont fait qu’à la même époque un jeune d’une commune voisine m’a fait savoir qu’il était intéressé pour reprendre mon exploitation. Il souhaitait s’installer en EARL avec ses parents mais l’exploitation était trop petite pour eux trois. Je lui ai déjà cédé la partie céréalière. Je peux prétendre à la retraite au 1er août 2024 mais je préfère aller au bout de la campagne en pommes, c’est pourquoi il ne reprendra les pommiers que fin 2024 », détaille l’exploitant.

« Ne pas s’y prendre à la dernière minute »

Bien qu’il ait eu la chance de trouver facilement un repreneur, Alain Bonneton insiste sur l’utilité de suivre une formation collective avec la chambre d’agriculture. « C’était un moyen pour moi de trouver des repères sur les questions juridiques, fiscales, sociales… Individuellement on a la tête dans le guidon et on n’est pas informé en temps et en heure. J’ai notamment pu valider le fait que mon exploitation était transmissible mais je reconnais qu’un tel diagnostic aurait été utile dix ans auparavant pour accompagner mes derniers choix. Cette formation m’a aussi permis de comprendre que je n’étais pas obligé de vendre mes vergers, qu’il existait d’autres solutions, la location, la location-vente, dont certaines que je ne connaissais pas. Nous avons pu aussi nous plonger dans les formalités comptables, par exemple je suis en EARL avec mon épouse et se pose la question des comptes associés. Pour régler ces aspects dans de bonnes conditions, il ne faut pas s’y prendre à la dernière minute », décrit-il. Enfin, il apprécie d’avoir bénéficié d’explications sur les questions patrimoniales : « Bien sûr, on peut prendre rendez-vous individuellement avec un notaire mais, lors de la formation, on a à faire à des gens qui connaissent bien l’agriculture ».

S.Sabot