Ruralité : « Ne nous privez pas de nos outils de travail »

La création en Drôme de plusieurs réserves de vie sauvage, à l'intérieur desquelles aucune exploitation humaine (agricole, sylvicole, cynégétique...) n'est autorisée, est vécue comme un véritable « hold-up des espaces ruraux ». C'est ce que sont venus dire le millier de manifestants réunis à Crest le 21 août, à l'appel de quatre organisations : l'association des éleveurs et bergers du Vercors (AEBV), l'association Iloupdev, la fédération ovine de la Drôme (FDO) et l'ACCA de Léoncel. Dénonçant la « privation d'outils de travail » ou encore la « sanctuarisation des campagnes », la manifestation visait clairement l'association pour la protection des animaux sauvages (Aspas), reconnue d'utilité publique depuis 2008 et dont le siège est à Crest. Grâce à des milliers de donateurs, celle-ci a déjà acquis 105 hectares (ha) sur le grand Barry (Véronne) ainsi que 490 ha sur la commune de Léoncel (domaine de Valfanjouse, qui comprend un ancien enclos de chasse de 200 ha). Son projet de convoiter l'an dernier la montagne de Miélandre (250 ha) a, lui, échoué après la mobilisation de plusieurs acteurs (voir l'article paru dans notre édition du 20 août).
« Un mouvement qui nous submerge »
« Ils veulent protéger la nature mais en fait ils vendent du rêve à des citadins en mal de nature. Et nous, les éleveurs, on a du mal à expliquer notre métier et répondre aux attaques incessantes », a déploré Frédéric Gontard, président de la FDO. « La biodiversité a été créée par les chasseurs-cueilleurs et les agriculteurs et cela depuis des milliers d'années. On ne peut pas opposer 7 000 ans à trente ans d'"escrologie" », a réagi Alain Baudouin, président de l'AEBV. « C'est un mouvement qui nous submerge, chasseurs, agriculteurs, éleveurs baissent la tête devant ces "bobos" donneurs de leçon. Soyons soudés et unis et relevons la tête », a lâché Franck Reynier, président d'Iloupdev. L'ancien porte-parole des bergers de France, Patrice Marie, a enchaîné : « Nos campagnes doivent rester vivantes, il n'y a pas de place pour des territoires sans vie ».
« Fermer des territoires, c'est méconnaître la ruralité »
Le président de la chambre d'agriculture de la Drôme, Jean-Pierre Royannez, a déploré le dénigrement à outrance des agriculteurs ainsi que l'accroissement des contraintes qui grève les revenus. « Fermer des territoires à toute activité, c'est méconnaître la ruralité et ses difficultés », a-t-il dit. Le président de la FDSEA de la Drôme, Grégory Chardon, s'est réjoui de la forte mobilisation. « Le combat ne fait que commencer, il ne faut rien lâcher et rester unis », a-t-il indiqué. Pour Léa Lauzier, vice-présidente des Jeunes Agriculteurs de la Drôme, « l'accaparement des terres agricoles met en péril les installations d'agriculteurs ». Quant à Bruno Graillat, président de la Coordination rurale de la Drôme, « ce n'est pas en sanctuarisant nos prairies, nos alpages que l'on fera avancer la biodiversité, a-t-il assuré. Aspas et autres associations écologistes, nous ne sommes pas d'accord avec votre volonté de ré-ensauvager la nature. »
Un dialogue difficile
Venu ap porté son soutien aux manifestants, le président de la fédération départementale des chasseurs a assuré que « les chasseurs ne sont pas des acteurs de l'érosion de la biodiversité ». Avec le président de l'ACCA de Léoncel, ils ont exprimé leur inquiétude sur le devenir des animaux présents dans l'enclos de Valfanjouse une fois les clôtures démontées. « Relâcher les cerfs hybrides présents dans ce parc serait une catastrophe » ont-ils prévenu. Ils redoutent des dégâts sur les cultures avoisinantes.
Des élus et représentants de mouvements politiques se sont aussi exprimés. Hervé Mariton, maire de Crest, a dénoncé « ceux qui imposent à d'autres leur vision, leur vérité ». La présidente du Mouvement de la ruralité (LMR, ex-Chasse, pêche, nature et traditions) de Haute-Loire a jugé que « s'approprier des terrains agricoles pour en faire une soi-disant réserve est un massacre ». Le vice-président national a, lui, dénoncé les attaques incessantes sur les exploitations agricoles et les infrastructures cynégétiques de la part d'associations qu'il a qualifiées d'« "écoterroristes". Il faut que l'on puisse se défendre avec l'obtention du délit d'entrave ». Le conseiller régional Didier-Claude Blanc a affirmé que « pastoralisme et loups ne sont pas compatibles ». Et André Gilles, vice-président du Département de la Drôme en charge de l'agriculture, a mis l'accent sur les difficultés à dialoguer avec l'Aspas.
Après le temps des discours, les manifestants se sont rendus à pied jusqu'à l'écosite d'Eurre, en passant à proximité des locaux de l'Aspas. Là, un impressionnant dispositif de forces de l'ordre avait été déployé. Mais comme l'avait souhaitait le président de la FDO, il n'y a eu aucun débordement. Le rassemblement s'est terminé un peu plus loin, autour d'un grand pique-nique. L'occasion de continuer à échanger avant le retour, pour la plupart, sur les exploitations.
Christophe Ledoux
Témoignage /
Valéry Vassal, agriculteur à Léoncel

Les revendications
- Un moratoire sur l'achat d'espaces naturels, agricoles ou forestiers à des fins de ré-ensauvagement.- La priorisation systématique des éleveurs locaux ou collectivités pour l'acquisition de ces terres afin d'y pratiquer un élevage et une exploitation forestière extensifs.
- Une rencontre, un débat et une reconnaissance de la complémentarité entre les activités rurales et la biodiversité présentes sur nos territoires.
- Concernant la réserve de Léoncel, la garantie de l'entretien et de la fiabilité des clôtures tant que les populations d'animaux s'y trouvant ne sont pas connues et maîtrisées ; l'enlèvement de tous les animaux présents dans l'enclos avant la suppression des clôtures ; un contrôle sanitaire global ; la garantie qu'aucun espace n'échappe à l'entretien nécessaire pour la limitation du risque incendie.
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