JEUX
La bille n’a pas dit son dernier mot

Pratique ancestrale, le jeu de billes ne vit pas reclus aux côtés d’autres distractions délaissées par les écoliers une fois l’effet de mode passé. Il continue au contraire de jouir d’une belle popularité dans les cours de récréation.

La bille n’a pas dit son dernier mot
La bille est univer­selle, toutes les civilisations y ont joué à un moment ou un autre, sous diverses formes et avec des objets sphériques de différentes compositions ou tailles. ©SD

A l’heure du tout internet, l’école élémentaire a des allures de sanctuaire. Des jeux ancestraux continuent d’y faire recette, peut-être préservés par le fait que l’achat du premier téléphone portable, même s’il est de plus en plus précoce, coïncide plutôt avec l’entrée au collège. La concurrence vient parfois de loisirs qui repartent comme ils sont venus une fois l’effet de mode passé, comme le « hand spinner » dernièrement. Mais certaines activités restent indémodables dans les cours de récréation. On peut penser au football, mais aussi et surtout aux billes. Les variantes ne manquent pas, qu’il s’agisse de « dégommer » celle du concurrent pour s’en emparer ou d’être le premier à envoyer la sienne à un endroit donné, généralement un trou creusé dans le sol.

« Les billes font partie des jeux qui traversent le temps. Ce n’est pas notre activité première, mais le fait d’avoir diversifié la gamme a boosté les ventes », constate Philippe Teyssier, à la tête de l’enseigne stéphanoise Au Tapis Vert. « Depuis vingt ans que je suis dans le commerce, elles se sont toujours bien vendues, même si la situation actuelle complique un peu les choses », confirme Jean-Michel Perrin, gérant des établissements JouéClub de Montbrison et Andrézieux-Bouthéon. « C’est un loisir intemporel, unisexe, accessible financièrement pour les parents et bien accepté par les enseignants notamment parce que leur valeur est moindre, ce qui limite les risques de vol. »

Un des derniers fabricants en Drôme
Sous la marque Billes en May', Gaël Mauron et sa société Concept Bois & Jeux ont ressuscité la fabrication française de billes en terre. ©Billes en May'

Un des derniers fabricants en Drôme

« La bille, c’est complètement universel, toutes les civilisations y ont joué à un moment ou un autre, sous diverses formes et avec des objets sphériques de différentes compositions ou tailles », assure Rémi Salon, fabriquant de billes. Dans la Drôme, territoire historique pour les billes, il demeure aujourd’hui l’un des derniers à en fabriquer. Désireux de préserver cette tradition, il a créé l’association L’Usine à billes basée à Mirabel-et-Blacons. « Les premières traces écrites remontent à Ovide, un poète latin qui a décrit une tranche de vie et des jeux d’enfants auxquels ils s’adonnaient avec des noix et d’autres objets proches de la sphère tels que le crottin de chèvre. Tout cela s’est transmis jusqu’à nos jours par tradition orale, des plus grands aux plus petits », raconte-t-il. En France, la bille s’est surtout développée dans l’Est où l’on fabrique de la mitraille, des billes en pierre à vocation industrielle. « En 1871, le traité de Francfort a autorisé les Alsaciens à émigrer dans le reste de la France métropolitaine avant l’annexion par l’Allemagne de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine. Alexandre Barral en a fait venir dans la Drôme et, par la même, a importé dans ce département tout un savoir-faire. »

Au sud de la région, l’idée va germer de colorer et vendre les billes comme jeu. Mais leur production coûte cher car la fabrication à base d’argile et de glaise nécessite une cuisson. La solution émergera durant l’entre-deux-guerres. « Le changement d’usine et de process, avec l’agrégation d’un mélange de chaux et de ciment autour d’un grain de sable, vont permettre de produire un plus gros volume », retrace Rémi Salon. Peu à peu, l’industrialisation et le commerce global, avec notamment des modèles venus d’Asie, vont avoir la peau du secteur. Après divers rebondissements, Bille en Brousse, la dernière entreprise, finira par changer de propriétaire et de département en 2009 pour s’installer en Haute-Vienne. Avant de fermer définitivement ses portes huit ans plus tard.

La production française relancée

Cela aurait pu marquer la fin de la fabrication de billes en terre en Europe… mais Gaël Mauron a décidé de reprendre le flambeau ! Lui qui y a beaucoup joué, enfant, s’approvisionnait régulièrement auprès de Bille en Brousse pour les besoins de Concept Bois & Jeux, fabricant de jeux en bois né en 2013. « Il y a quelques années, quand j’ai voulu refaire du stock, j’ai cherché sur internet auprès de qui d’autre m’approvisionner, sans succès », raconte le chef d’entreprise, qui a commencé à envisager de fabriquer ses propres billes « par besoin plus que par envie ». Ne parvenant pas à joindre les ultimes dirigeants de son ancien fournisseur, il a sollicité le précédent propriétaire. « Yves Renou m’a expliqué la méthode et m’a informé qu’il possédait encore deux vieilles machines qu’il était prêt à me céder pour relancer la production de billes. On a beaucoup tâtonné et fait des essais jusqu’à arriver à un résultat acceptable » ajoute-t-il. Depuis, Concept bois & jeux propose des paquets de billes made in France pour les particuliers et les professionnels sous la marque Bille en May’. « Je suis satisfait, ce n’est pas une production gigantesque, mais bien complémentaire de nos activités », observe Gaël Mauron. « Ça prend bien, même si c’est parfois compliqué car long à produire : il faut passer six heures devant la machine avant d’entamer la phase de peinture. Quand on lance une série, cela nous bloque la journée. »

Par son activité, l’entreprise basée en Mayenne contribue ainsi à perpétuer en France une tradition également bien ancrée à divers endroits de la planète. « Les billes sont très populaires en Angleterre, aux États-Unis, mais aussi au Japon où le goulot de certaines canettes de soda contient une bille en verre que les enfants récupèrent pour jouer », témoigne Rémi Salon. Le chef d’entreprise cite aussi l’appétence des Tchèques, organisateurs réguliers des championnats du monde. Enfin, on peut compter sur des passionnés pour renouveler l’intérêt du grand public. Les courses sur circuit ont, par exemple, profité du premier confinement en 2020 pour s’offrir une belle exposition. Au point que des vidéos cumulent aujourd’hui des milliers, voire des millions de vues sur YouTube ! Les billes n’ont décidément pas fini de rouler.

Franck Talluto

Jeux d’enfants et Covid-19 : quelles sont les règles à respecter ?

Malgré l’épidémie de Covid-19 qui paralyse le pays depuis plus d’un an, la vie continue… et les jeux d’enfants aussi, naturellement, même s’il s’agit de se conformer au protocole sanitaire national. Les activités pratiquées dans les cours de récréation s’inscrivent aujourd’hui dans le respect des gestes barrières. Pour faire simple, on peut encore continuer de jouer aux billes mais seulement avec les copains et copines de sa classe. En école élémentaire comme au collège et au lycée, en plus du port du masque, « le principe est la distanciation physique d’au moins un mètre dans les espaces clos, lorsqu’elle est matériellement possible, entre l’enseignant et les élèves ainsi qu’entre les élèves quand ils sont côte-à-côte ou face-à-face. Elle ne s’applique pas dans les espaces extérieurs entre élèves d’une même classe ou d’un même groupe, y compris pour les activités sportives, mais doit être maintenue dans tous les cas entre les élèves de groupes différents (classes, groupes de classes ou niveaux) », détaille la direction des services départementaux de l’Éducation nationale, relayant les explications du conseiller de prévention départemental.

Rappelons qu’en « temps normal », les jeux font déjà l’objet d’une réglementation. « L’institution scolaire assume la responsabilité des élèves qui lui sont confiés. Elle doit veiller à ce qu’ils ne soient pas exposés à subir des dommages et n’en causent pas à autrui », explique-t-on du côté de l’Education Nationale tout en reconnaissant qu’il est « impossible d’établir une liste exhaustive des objets dangereux surtout que certains objets, jeux ou jouets ne le sont pas par nature mais peuvent le devenir par destination ». En complément du règlement intérieur, « qui dresse la liste des objets dangereux prohibés », chaque directeur d’établissement peut ainsi prendre des mesures complémentaires pour réglementer les jeux dans les cours d’écoles.

Franck Talluto

Photo Billes en May'
Le temps passe, mais le jeu de billes et ses variantes sont encore bien présents dans les cours de récréation. ©Billes en May'