FILIÈRE LAIT
Une bouteille de lait très nationale, sauf pour le matériel de traite

Cette semaine, notre série sur l’origine de produits alimentaires emblématiques se poursuit avec la bouteille de lait. Dans une France laitière largement autosuffisante, le lait de nos bouteilles se révèle très « bleu blanc rouge »,  et ce sur la quasi-totalité de la chaîne de production.

Une bouteille de lait très nationale, sauf pour le matériel de traite
Dans la salle de traite, aucune origine France possible. Que ce soit pour les robots ou les salles de traite dites conventionnelles, c’est du 100 % importé, explique Guillaume Bocquet, responsable technique chez Axema. ©Axema

En perte de vitesse et boudé au petit-déjeuner, le lait conditionné a connu un regain d’intérêt pendant l’épidémie de Covid-19 et l’essor du « fait maison ». Chaque année, 45 litres de lait conditionné sont consommés par chaque Français. D’après Syndilait, organisation professionnelle regroupant les fabricants de laits de consommation liquides, 97 % du lait que nous consommons est français. Pour les 3 % restants, nous nous tournons vers nos voisins allemands et belges « pour des questions de coûts sur un produit qui a de très faibles marges et un taux de rotation important », explique Hélène Pérennou, secrétaire générale de Syndilait. « Dès 2014, un très gros travail a été fait pour accompagner la demande des consommateurs français à commencer par la création du logo « Lait collecté et conditionné en France ». Cette action a permis de mieux valoriser le lait français en France et a eu un impact majeur sur les importations qui ont chuté d’environ 70 % entre 2014 et 2019 », ajoute-t-elle. De quelque 230 000 tonnes en 2015, les importations de lait en brique ou en bouteille ont chuté à 75 000 tonnes en 2019. La France se révèle d’ailleurs largement autosuffisante puisqu’elle est exportatrice nette d’un lait conditionné qu’elle expédie vers l’Italie, l’Espagne et plus marginalement en direction de la Chine.

Des vaches Holstein à l’accent américain

Le lait de nos bouteilles vient donc bien des exploitations françaises. Mais les vaches, d’où viennent-elles ? « Pour la race Holstein, qui représente environ 70 % des inséminations artificielles réalisées chaque année en France, 10 à 15 % de ces inséminations sont réalisés avec des paillettes importées », indique Laurent Jounaux, chef du département génétique et gestion des populations animales à l’Institut de l’élevage. Au niveau de la sélection, la génétique nord-américaine apparaît par ailleurs beaucoup plus présente pour cette race largement mondialisée. « En Holstein, les pères à taureaux sont pour une part importante des taureaux nord-américains », confirme Laurent Journaux. Un choix qui s’explique plus par l’important travail de sélection réalisé outre-Atlantique que par une réelle nécessité. « La population française de Holstein est assez grande pour être gérée de façon autonome », assure-t-il.  Pour les races Montbéliardes, Normandes ou de montagne, c’est du 100 % français tant pour les inséminations artificielles que pour le sourcing des reproducteurs », peut se féliciter Laurent Journaux. Enfin, notons qu’environ 20 % de la reproduction du troupeau laitier se fait par saillie naturelle et donc avec des taureaux français même si leur origine peut malgré tout être étrangère.

Une alimentation produite sur l’exploitation

Pour nourrir les vaches, la grande majorité de l’alimentation est pâturée ou produite directement sur l’exploitation par les éleveurs. « On estime que 88 % de l’alimentation des bovins est directement produite par l’éleveur sur son exploitation », explique-t-on du côté de l’Institut de l’élevage. Dans cette nourriture, on retrouve principalement de l’herbe qui, sous ses diverses formes compte pour 63 % de l’alimentation des vaches laitières. L’ensilage de maïs ou d’autres fourrages (tels que la betterave ou le colza fourrager et des céréales et protéagineux) représentent quant à eux 21 % de la ration alimentaire des vaches. « Le reste de la ration, acheté à l’extérieur, comprend 4,8 % de tourteaux et protéagineux, 4,5 % de céréales et aliments divers, 2 % d’autres fourrages et 0,7 % de minéraux et vitamines », détaille l’Institut de l’élevage. Sur l’ensemble de ces achats, notons que la majorité du soja utilisé est approvisionné depuis l’étranger.

La traite 100 % importée

« Les entreprises qui montent et entretiennent les bâtiments d’élevage sont assez locales », observe Bertrand Fagoo, spécialiste en bâtiments à l’Institut de l’élevage. Pour ce qui est des matériaux utilisés, il confesse un certain manque de visibilité sur leur origine. « Les agriculteurs ne connaissent pas la provenance des matériaux. Il n’y a aucune traçabilité », indique-t-il, notant néanmoins la présence de plusieurs sites de production de tubulaires ou encore de matériels de bardage sur le territoire hexagonal. Pour ce qui est de la salle de traite, aucune origine France ne peut être recensée. « Que ce soit pour les robots ou les salles de traite dites conventionnelles, c’est du 100 % importé », explique Guillaume Bocquet, responsable technique chez Axema, syndicat français des industriels de l’agroéquipement. « Pour ce qui concerne la traite, il existe bien des filiales françaises pour la maintenance et l’installation mais pour les équipements, ce sont uniquement des fabrications à l’étranger ». Pour Bertrand Fagoo, « il n’existe plus aucune marque française depuis bien longtemps ». Une fois récolté, le lait est ensuite stocké dans des tanks à lait qui sont pour moitié français, pour moitié importés, communique-t-on du côté d’Axema.

Des emballages fabriqués sur place

La France compte aujourd’hui sur son territoire une quinzaine d’entreprises de fabrication de lait conditionné. « Les citernes de collecte de lait sont en général françaises », explique Hélène Pérennou (Syndilait). Le matériel en usine est quant à lui très largement européen mais les composants électroniques viennent le plus souvent d’Asie. Du côté des analyses, « les laboratoires sont très largement français, souvent interprofessionnels et bien répartis  sur le sol national », explique Hélène Pérennou. 
Au bout de la chaîne enfin, il apparaît que les bouteilles de lait sont généralement fabriquées directement sur le site de conditionnement. Il reste toutefois difficile de connaître l’origine des granulés de plastique qui les composent.

Jean-Michel Javelle : “ La démarche locale  est indissociable de l’esprit  de notre coopérative”
Jean-Michel Javelle, président de Sodiaal Union Sud-Est. © Paysans de la Loire

Jean-Michel Javelle : “ La démarche locale  est indissociable de l’esprit  de notre coopérative”

Fondée en 1989, Sodiaal est devenue en l’espace d’une quarantaine d’années l’un des fleurons français de la transformation de produits laitiers. Derrière ce nom se cachent en effet des marques bien connues des Français comme Candia, Yoplait ou encore Entremont. Sodiaal peut aujourd’hui revendiquer le statut de première coopérative laitière française avec quelque 12 000 adhérents, 9 000 salariés et plus de 4,7 milliards de litres de lait produits chaque année. La clé du succès de Sodiaal : rechercher en permanence le plus haut niveau d’excellence. « Du lait récolté par l’éleveur à celui qui est consommé par la population, nous veillons à garantir la meilleure qualité possible sur l’ensemble de la chaîne de production, c’est ce que l’on appelle “la route du lait”. N’oublions jamais qu’un lait de bonne qualité, c’est non seulement bon pour la santé des consommateurs mais c’est aussi plus rémunérateur pour les éleveurs », explique Jean-Michel Javelle, président de Sodiaal Union Sud-Est.

Plus de 70 sites industriels en France

Véritable maître-mot, l’ancrage territorial est l’un des ingrédients indispensables à la réussite de Sodiaal. « Nous disposons de 70 sites industriels en France répartis dans autant de départements, cela prouve bien que la démarche locale est indissociable de l’esprit de notre coopérative. Bien sûr on ne peut pas avoir une laiterie dans chaque canton mais la territorialisation de l’alimentation est l’une de nos valeurs les plus importantes », met en avant Jean-Michel Javelle. Dans le quart Sud-Est, Sodiaal peut d’ailleurs s’appuyer sur plus de 1 900 exploitations qui fournissent chaque année 470 millions de litres de lait à la coopérative dont quelque 50 millions de lait bio. A part la production de bouteilles, ce lait est utilisé pour élaborer des produits frais de la marque Yoplait. « En dehors de la race Holstein qui a du sang nord-américain, notre lait provient pour beaucoup de vaches françaises de race Montbéliarde. Le modèle français, c’est celui de fermes familiales où, généralement, l’alimentation des animaux est produite directement sur place. Le matériel de traite vient quant à lui majoritairement des Etats-Unis ou d’Europe du Nord, très peu de France. L’emballage enfin est produit directement sur place dans l’usine de transformation. Nos bouteilles sont en PET ou en PEHD et le carton que nous utilisons pour les briques est issu de forêts écoresponsables », détaille Jean-Michel Javelle.                    
Pierre Garcia