ÉCHANGES
“ Produire autant avec moins d’eau est un défi ”

La volonté d’action de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse (RMC) et des acteurs présents à la journée d’échanges organisée le 9 mars à Mâcon (Saône-et-Loire) est claire : aucune avancée ne se fera sans les agriculteurs et agricultrices du bassin.

“ Produire autant avec moins d’eau est un défi ”
« L’agriculture est à mettre au centre et il faut trouver les bonnes solu­tions pour maintenir la production agri­cole », selon Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d’agriculture de la Drôme.

Tous les participants à la journée d’échanges sur l’eau organisée par l’Agence de l’eau RMC, le 9 mars à Mâcon, s’accordent sur un point : « la juste rémunération des agriculteurs ». Quels que soient les projets menés, « les paysans doivent pouvoir vivre de manière décente », a indiqué François Lavrut, président de la chambre d’agriculture du Jura. « Si on ne rémunère pas l’agriculteur, on n’y arrivera pas », a renchéri 
François-Claude Cholat, président-directeur général de la Maison François Cholat. « L’agriculture est à mettre au centre et il faut trouver les bonnes solutions pour maintenir la production agricole », a ajouté Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d’agriculture de la Drôme. Selon lui, « le niveau de production va obligatoirement baisser ». À l’échelle de son exploitation dont 80 % des terres sont irrigables et 60 % irriguées, il a déjà constaté une baisse de rendement de 30 %.

A la table ronde, de gauche à droite : Eric Savignon, Christian Morel, Laurence Henriot, Jean-Pierre Royannez, François-Claude Cholat et Emmanuel Hugo.

Revenir à l’agronomie

« Notre génération a vu le sol comme un seul support de production, il faut revenir à l’agronomie et proposer davantage de formations », a avancé Christian Morel, vice-président en charge de l’agriculture, de la viticulture et de l’agroalimentaire à la Région Bourgogne-Franche-Comté.
Auparavant, l’eau n’était pas considérée comme un « intrant » à réguler et à préserver. Au sein de l’Agence de l’eau, une filière à bas niveau d’intrant (BNI) prend désormais en compte les projets économes en eau. Pour Emmanuel Hugo, président du centre Inrae Clermont-Auvergne-Rhône-Alpes, il va falloir travailler simultanément sur les deux aspects de la recherche : « la rupture et l’incrémental ». « Le mot rupture me pose un problème, a réagi Jean-Pierre Royannez. L’agriculture d’aujourd’hui n’est plus celle d’il y a trente ou quarante ans. »

Le dialogue et l’entraide

Les points positifs à relever sont le dialogue et l’entraide qui existent entre les différents acteurs qui gravitent autour de la gestion de l’eau. La chambre d’agriculture de la Drôme, par exemple, travaille actuellement sur plusieurs projets alimentaires territoriaux (PAT) et propose une animation en commun. Autre champ d’action, les aires d’alimentation de captages (AAC). « Sur ces territoires, tout le monde dialogue ensemble », a mentionné François-Claude Cholat. « En comité de bassin, les votes se font généralement à l’unanimité et il y a réellement capacité à dialoguer », a affirmé Laurent Roy, directeur général de l’Agence de l’eau RMC. Les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) sont également des outils collectifs intéressants, mais « il en manque encore sur des petits territoires », a fait remarquer Jean-Pierre Royannez. Il n’en reste pas moins que tout n’est pas encore gagné, notamment en ce qui concerne la doctrine « Éviter, Compenser, Réduire (ERC) », a pointé François Lavrut. De nombreuses questions restent ainsi en suspens : comment concilier affluence touristique et gestion des milieux aquatiques ? Quelles variétés culturales et quels itinéraires techniques va-t-on pouvoir garder ? Comment articuler les dispositifs nationaux avec la politique agricole commune (Pac) ? Laurent Roy s’est d’ailleurs dit « déçu par la mise en application des paiements verts de la Pac, loin d’être aussi élaborés que les paiements pour services environnementaux ». Bien sûr, « les défis sont encore nombreux », a-t-il conclu. Défis d’autant plus nombreux « que l’on continuera à avoir non pas une, mais des agricultures », a souligné Emmanuel Hugo. Pour Jean-Pierre Royannez, c’est certain, « il faut un pacte de confiance entre tous ». 

F. B.

237 M€ d’aides de l’Agence de l’eau   à l’agriculture 

L’Agence de l’eau est partenaire du monde agricole et accompagne la transition agro-écologique grâce à son soutien aux économies d’eau (65 projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) sont engagés sur le bassin Rhône Méditerranée), aux plans d’actions sur les aires d’alimentation de captages ou au déploiement expérimental de paiements pour services environnementaux (PSE). L’engagement de 21 collectivités porteuses d’un dispositif PSE permet de rémunérer 754 agriculteurs pour 68 000 ha de surfaces agricoles utiles. L’Agence a également lancé un appel à manifestation d’intérêt de 1,5 M€ pour soutenir l’émergence de filières à bas niveau d’intrants et sobres en eau. Elle finance aussi l’innovation et l’expérimentation. Un nouvel appel à manifestation d’intérêt « Eau et climat : agir plus vite, plus fort sur les territoires », doté d’une enveloppe de 10 M€, peut apporter jusqu’à 70 % d’aides aux projets innovants d’adaptation au changement climatique. 
Entre 2019 et 2022, l’Agence a au total apporté 237 M€ d’aides aux agriculteurs dont 187 M€ pour la reconquête de la qualité de l’eau et de la biodiversité et 50 M€ pour améliorer la gestion de la ressource dont 34 M€ pour les économies d’eau (via la modernisation des réseaux d’eau et la mise en place de matériel d’irrigation plus performants) et 6 M€ pour des projets de substitution de l’eau identifiés dans les projets de territoire pour la gestion de l’eau, soit 26 ouvrages financés pour 1,64 million de m3 d’eau substitués. 
Si l’agriculture est le premier préleveur d’eau, elle est aussi le premier contributeur d’économies d’eau avec 21 millions de m3 d’eau économisés par an à l’échelle du bassin Rhône Méditerranée, essentiellement dans le Sud du bassin. 

Sur communiqué

Des projets agricoles “expériment’eaux”
Archives AD

Des projets agricoles “expériment’eaux”

En matière d’adaptation au changement climatique, les projets expérimentaux ne manquent pas, mais leur adaptabilité et leur reproductibilité sur d’autres 
territoires restent des éléments cruciaux. 
Annabelle Richard, chargée de mission agroécologie chez Solagro, a présenté la plateforme « Osaé, osez l’agroécologie ». Cette plateforme, cofinancée par les agences de l’eau, est en accès libre et recense divers témoignages d’agriculteurs et agricultrices ayant des pratiques agroécologiques. Ces pratiques résilientes (agriculture de conservation, agroforesterie…) sont mises en lumière via des vidéos très 
détaillées, réalisées par un professionnel. « L’objectif n’est pas de dire ce qu’il faut faire ou ne pas faire, explique Annabelle Richard, mais d’illustrer ce qui fonctionne agronomiquement sur certains systèmes. » Un suivi des fermes est effectué tous les deux ans, permettant ainsi de mettre à jour les synthèses techniques.

Des techniques alternatives biologiques

Autre plateforme, bien matérielle cette fois-ci : celle des techniques alternatives et biologiques (TAB), située sur la ferme expérimentale d’Étoile-sur-Rhône (Drôme). Créée en 2011, elle est portée par la chambre d’agriculture de la Drôme et fait appel à plusieurs partenaires techniques (Arvalis, Inrae, Agroof…). Sur les 20 ha cultivés en bio, des essais système sont menés. Divers itinéraires techniques sont testés, comme la sélection variétale ou la diminution des intrants. Ces données sont ensuite recensées et, en permanence, comparées à la littérature scientifique existante. Clément Bardon, coordinateur de la plateforme, a présenté une partie des projets expérimentaux en cours. Le premier volet expérimental concerne l’impact des espaces semi-naturels dans la régulation des dynamiques 
auxiliaires-ravageurs. Au sein d’un système en grandes cultures et pêchers agroforestiers mis en place en 2011, la biodiversité a été maximisée (intégration de bandes enherbées, refuges à oiseaux et reptiles…). Aucune perte de rendement à l’hectare n’a été constatée. Concernant la présence de bioagresseurs, « aucune tendance stricte n’a été observée », a rapporté Clément Bardon. En résumé, les espaces semi-naturels ne sont ni un puits à ravageurs, ni un répulsif, même si les dynamiques des populations sont modifiées par rapport aux parcelles témoins. La question essentielle reste « où place-t-on le curseur des aides pour intégrer cette biodiversité dans les exploitations ? » 
Le deuxième volet expérimental portant sur « l’impact de l’agroforesterie intra-parcellaire sur les économies d’eau » est davantage centré sur l’adaptation au changement climatique. Deux systèmes agroforestiers (pêchers, amandiers…) ont été implantés, en 2021, en grandes cultures et en vigne. Les résultats montrent une réduction du vent et un ombrage en partie bénéfique, mais la question du stress hydrique est encore en cours d’étude. « Rien n’est pire que de promouvoir une fausse bonne idée », a mis en garde Clément Bardon, au sujet de tout ce qui peut se dire sur les effets agronomiques de l’agroforesterie. 

Florence Bouville