Viticulture
La course à l’approvisionnement en verre continue

Pour les entreprises et professionnels du secteur des vins et spiritueux, les délais d’approvisionnement en verre ne cessent de s’allonger. Tandis que les organisations syndicales et les fédérations tirent la sonnette d’alarme, les viticulteurs tentent tant bien que mal de s’organiser.

La course à l’approvisionnement en verre continue
En 2022, l’import de bouteilles en verre en France a drastiquement baissé (150 millions de moins), par rapport aux autres années. ©David Duvernay

C’est une prise de parole qui avait fait réagir bon nombre de professionnels de la filière viticole. Le 11 janvier 2023, le secrétaire général de la FNSEA, Jérôme Despey, avait, lors des vœux à la presse, exprimé son mécontentement sur la question de l’approvisionnement en verre. « Nous demandons à l’État de se pencher auprès des deux fournisseurs principaux [de bouteilles en verre, NDLR], sur ce qu’il se passe en lien avec la Direction générale de la Concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Parce que nous avons un certain nombre de doutes sur les sujets des disponibilités en bouteilles. »* 
Personnels positifs au virus de la Covid ou déclarés cas contact, augmentation des coûts du gaz, hausse des commandes… Depuis la crise sanitaire et le conflit russo-ukrainien, les verriers ne manquent pas d’arguments pour justifier les retards de livraison et l’envol de leurs prix, estimé de 30 % à 50 % selon le type de bouteille par rapport à 2019. « Les volumes ont été mis en tension », affirme Jean-Paul Arquillière, directeur de l’usine de verrerie de Labégude (Ardèche), propriété du géant industriel Owens Illinois (lire encadré). Des détails chiffrés ? Il faudra s’en passer, puisque la direction commerciale n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet.

Des viticulteurs avec peu de visibilité

Pourtant, chez les vignerons, les interrogations se succèdent. La crise sanitaire semble loin derrière et les prix du gaz poursuivent leur décrue. « Par rapport à l’année dernière, certes, la situation s’est améliorée, mais nous ne nous attendions pas à avoir si peu de visibilité pour les primeurs », confie François Roth, directeur de la cave coopérative Agamy, située dans le Rhône, et qui produit 1,8 million de bouteilles par an. Si les retards de livraison continuent de s’accumuler, le professionnel estime que sa perte de chiffre d’affaires pourrait atteindre les 30 % d’ici la fin de l’année. Surtout si la mise en bouteille du beaujolais nouveau ne pouvait avoir lieu (lire ci-dessous l’encadré sur le retour de la bouteille consignée). « Tout cela demande parfois de s’adapter et de changer de format de bouteilles, ou d’en récupérer auprès de ceux qui ne font pas de primeurs, et qui ont stocké. »

Surstocker, plutôt que stocker

Stocker plus que nécessaire, c’est justement la stratégie adoptée par Sylvie Chevrol-Michelas, viticultrice à Mercurol, dans le nord de la Drôme. « Cela ne devrait normalement pas créer de pénuries, puisque l’industrie verrière peut produire en continu, affirme-t-elle. Je dois recommander pour la fin de l’année, et je n’ai pas encore eu les informations. » Mais la productrice le sait, les délais d’approvisionnement atteindront facilement les trois mois. « Pourtant, lorsque nous avons reçu les palettes, la traçabilité nous a permis de constater que les bouteilles avaient été produites avant la guerre en Ukraine ! Certes, il y a eu un engorgement de la demande, mais qui, désormais, se stabilise. La logique devrait donc être la même que pour le carburant, nous devrions avoir des propositions de tarifs de bouteilles à la baisse. »

Un marché à 17,2 milliards d’€ de chiffre d’affaires

Les vins dits « tranquilles » ne sont pas les seuls touchés par ces incertitudes. La famille des effervescents l’est également. En Côte d’Or, l’entreprise Boisset voit ses délais de livraison être repoussés de semaine en semaine. « Le second trimestre 2022 a été marqué par une reprise des affaires, mais les stocks avaient baissé avec les contraintes de la crise sanitaire, détaille Marcel Combes, directeur de la division vins effervescents. Les producteurs ont commandé des quantités importantes de bouteilles, ce qui a créé un appel d’air. » Malgré ce discours apaisé, le responsable l’admet : ce qui l’attend, c’est une tension d’approvisionnement sur ses vins effervescents. « Lorsque vous tirez le crémant de Bourgogne en mars, il sera disponible sur le marché seulement douze mois plus tard. Il peut donc y avoir un risque de rupture de mars à mai 2024, si les ventes continuent à se porter correctement. » L’année 2024 sera sans aucun doute celle de l’hétérogénéité des couleurs de bouteilles.
Parallèlement, l’union des producteurs de crémant de Bourgogne a tenté plusieurs actions auprès des ministères, afin d’expliquer les risques et les contraintes que courent les metteurs en marché dans ce contexte de tension sur les approvisionnements en verre. Pour rappel, en 2022, les ventes de vins  et spiritueux français représentaient le deuxième excédent de la balance commerciale française, avec 17,2 Md € de chiffre d’affaires.

Léa Rochon

* À l’heure où nous terminons la rédaction de cet article, la société Verralia n’a pas donné suite à nos sollicitations et la DGCCRF a déclaré ne « pas faire de commentaire sur des enquêtes qui pourraient être en cours ».

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Le retour de la bouteille consignée
Depuis 2018, la société coopérative Rebooteille, située à Lyon, propose le réemploi des bouteilles en verre en utilisant le système de consigne. ©Rebooteille/Olivier Ramonteu
ALTERNATIVE

Le retour de la bouteille consignée

Chaque année, le troisième jeudi du mois de novembre symbolise la sortie des beaujolais nouveaux. À cette période, 40 % de la production des primeurs de la coopérative Agamy (Rhône) partent à l’étranger. Un bien court délai entre les vendanges et la commercialisation, qui impose une mise en bouteille millimétrée. Alors, pour anticiper des délais allongés ou des retards de livraison de bouteilles en verre, François Roth ne s’interdit pas l’utilisation et l’envoi de canettes de vins. Mais le directeur de la cave est loin d’être naïf : « Vous ne ferez pas boire du vin en canettes ou en PET [plastique, NDLR] en France ! » Pour sa clientèle nationale (60 %), le professionnel a un tout autre projet. « Notre conseil d’administration a voté notre prise de participation dans la coopérative Rebooteille », déclare-t-il. Depuis 2018, cette société coopérative lyonnaise développe un service de consigne de bouteilles en verre à destination des commerçants et des producteurs (lire page ci-contre). « La problématique d’approvisionnement accélère l’organisation de la filière du réemploi, c’est une très bonne chose, d’autant plus que les réseaux de distribution l’attendent. » 
La prochaine étape ? Retravailler les habillages, ainsi que la colle, de façon à pouvoir aisément retirer les étiquettes. Le directeur en est conscient, « tout ne va pas se faire en un jour ». Mais ce dernier espère utiliser le réemploi pour une grande partie de sa production d’ici un an. 
Léa Rochon

300 millions de bouteilles moulées en Ardèche
La verrerie Owens Illinois située à Labégude en Ardèche produit 300 millions de bouteilles par an. ©Pauline De Deus

300 millions de bouteilles moulées en Ardèche

126 m² de surface fusion, à 1500 degrés, pour produire 400 tonnes de verre quotidiennement… C’est à Labégude, en Ardèche, que se trouve la verrerie Owens Illinois (O-I).
Créée en 1885 pour répondre aux besoins des eaux minérales Vals, la verrerie de Labégude, rattachée au groupe O-I depuis 2004, s’est progressivement tournée vers le secteur viticole. Ce dernier représente 80 % de ses clients. Dans l’usine, le four géant de 1500 degrés fonctionne 24 heures sur 24, 365 jours par an, pour fabriquer 300 millions de bouteilles. C’est ici que les débris de verre recyclé, appelés calcin (82 % des matériaux utilisés), et que le verre sodo-calcique (fabriqué à partir de sable de silice, de carbonate de soude et de calcaire) sont fondus. 
Avec le verre fondu, les bouteilles sont moulées avant d’être chauffées pour leur solidification. À mesure que la température baisse, les bouteilles orangées deviennent vertes, teinte feuille-morte. Une fois rafraîchies, elles continuent leur course vers le contrôle qualité et l’emballage. Du sol au plafond, les bouteilles avancent en rythme sans jamais s’arrêter. Autour de ces trois chaînes de production, plusieurs équipes se relaient en 5x8 pour assurer une présence jour et nuit, y compris le week-end. Mais depuis deux ans, la verrerie de Labégude qui emploie 130 personnes, fait, elle aussi, face à une vague de démissions, à l’image de nombreuses entreprises françaises. 

Pauline De Deus

Des délais de plusieurs mois pour les capsules aluminium

Le directeur de la cave Agamy (69), François Roth, le répète : « la difficulté actuelle est bel et bien le verre ». Les approvisionneurs font pourtant face à une autre problématique. L’explosion de la demande en capsules durant la crise sanitaire a créé des délais importants de livraison. « Les délais sont encore énormes puisque nous sommes sur la fin de l’effet Covid, où les vins français ont cartonné, assure Gilles Gouttenoire, directeur de la commission viticole des vins du Beaujolais. Avec l’euphorie des ventes que nous avons connue pendant deux ans, des milliers de domaines ont doublé leur commande, ce qui a bouleversé les flux. » S’approvisionner en coiffes et en capsules complexe aluminium peut requérir jusqu’à 8 à 12 mois de délais. La profession s’attend également à d’éventuelles difficultés d’approvisionnement en liège pour la campagne 2024. La cause ? Les fortes températures qui peuvent rendre son extraction difficile. Quant au carton, l’augmentation tarifaire de la pâte à papier baisse timidement depuis le mois d’octobre 2022, date à laquelle il avait atteint son record.  

Léa Rochon