Célébrations
Les frères Champollion, héros des hiéroglyphes

C’est à Grenoble que Jean-François Champollion, épaulé par son frère, a percé le mystère des hiéroglyphes. Survenue il y a deux cents ans, cette découverte est aujourd’hui l’occasion de festivités.

Les frères Champollion, héros des hiéroglyphes
L’égyptologue français Jean-François Champollion. ©Wikimedia Commons

Jean-François Champollion ne visitera l’Égypte qu’en 1828, soit quatre ans avant sa mort. Il est pourtant le père de l’égyptologie moderne, celle dont on fête cette année les deux cents ans du déchiffrement des hiéroglyphes. L’illustre Grenoblois est un érudit dont la parfaite connaissance des langues orientales, vivantes ou anciennes, lui permettent, en 1822, de lever l’énigme qui pèse sur ces trois mille ans d’écriture figurative. Cette avancée scientifique majeure fait l’objet de manifestations nationales et internationales qui se dérouleront en 2022 et 2023. Grenoble, où les frères Champollion ont vécu et poursuivi leurs travaux de recherche, est l’épicentre de cette année de célébration. Quatre expositions seront à découvrir : la correspondance des deux frères aux Archives départementales, les coulisses du chantier patrimonial du musée Champollion à Vif (Isère), la folie de l’Égyptomanie au musée dauphinois et la méthode Champollion à la bibliothèque municipale.

Culte familial

Signe de son rayonnement, le musée Champollion, ouvert dans l’ancienne demeure familiale depuis tout juste un an, prêtera au Louvre-Lens, à partir du mois de septembre, une série d’objets symboliques. Il convient donc de se dépêcher de se rendre à Vif pour voir, ou revoir, le bureau de Jean-François Champollion, son buste en marbre, sa chéchia, son manteau égyptien ou encore l’estampe de la pierre de Rosette qu’il a annotée. Les Ombrages, la maison de Jacques-Joseph Champollion, de douze ans l’aîné de Jean-François, a été acquise puis restaurée à l’identique par le Département de l’Isère, moyennant une modernisation savamment cachée. Cette maison de maître n’a jamais quitté le giron familial depuis 1807, année du mariage de Jacques-Joseph avec Zoé Berriat, fille du futur maire de Grenoble, et son rachat en 2001 par la collectivité. « C’est une maison des champs du XVIIIe siècle », décrit Aymeric Perroy, directeur de la culture du Département. Une de ces villas qui permettent aux familles grenobloises de se mettre au vert durant l’été et de profiter de sa production vivrière. La bâtisse des Champollion-Berriat a subi plusieurs transformations et agrandissements au cours des deux derniers siècles, mais le culte familial des deux frères l’a épargnée de tout démembrement. De sorte qu’y étaient encore conservés le fameux bureau à gradin en acajou et bronze doré sur lequel Jean-François Champollion a patiemment déchiffré les écritures anciennes, ainsi que l’abondante correspondance que les deux frères ont entretenue toute leur vie, soit plus de soixante volumes de lettres désormais conservés aux Archives départementales.

Un érudit

Dans l’entrée de la maison, on retrouve le buste de Jean-François Champollion, de même que les portraits de Jacques-Joseph et de Zoé Berriat. Ce mariage bourgeois du XIXe siècle est la marque d’une ascension sociale conquise par la méritocratie telle que permise par le changement de société. La famille Champollion est d’extraction modeste, originaire du Valbonnais où les aïeuls sont colporteurs. Aymeric Perroy souligne « la destinée exceptionnelle des deux frères », l’aîné poussant le cadet surdoué, lequel connaît le copte, l’amharique, le persan, l’hébreu, l’arabe, le syriaque ou encore le chaldéen. Au rez-de-chaussée, le salon et la salle à manger proposent une enfilade de portraits de famille, notamment celui de Rose Blanc, fille de gantier grenoblois épousée tardivement par Jean-François Champollion. L’émotion saisit le visiteur lorsqu’il gravit l’escalier en pierre, présent depuis l’origine de la maison, alors qu’elle possédait encore une tour. Les restaurateurs ont retrouvé des peintures murales telles qu’elles décoraient les maisons aux XVII et XIIIe siècles. Une vidéo contextualise les éléments de la vie des Champollion avant de pénétrer dans la salle des expéditions d’Égypte. Conduite par Napoléon Bonaparte, la campagne d’Égypte se déroule de 1798 à 1801. « Le but n’est pas de ramener des objets - ils n’ont même par ramené la pierre de Rosette (1)  – mais d’étudier les choses, insiste le directeur de la culture. C’est une grande victoire du siècle des Lumières pour la connaissance », ajoute-t-il. La campagne aboutit à un nombre important de volumes sur la description de l’Égypte. Et un immense terrain de jeu pour Jean-François Champollion.

Carnet de notes manuscrites de Jean-François Champollion. © BNF

Une découverte

Dans l’espace suivant, on retrouve d’ailleurs une autre pièce très rare : l’estampe de la pierre de Rosette annotée par l’érudit. C’est la salle dédiée au déchiffrement, le clou du musée. Chargée de l’action culturelle pour le musée, Maeva Gervason précise que la découverte de Champollion est le résultat de vingt-cinq années de recherche. Des travaux ont été menés avant qu’il ne s’y intéresse. « Tout était prêt pour qu’un linguiste spécialiste des langues orientales parvienne à déchiffrer les hiéroglyphes », précise-t-elle. Ainsi, à partir de survivances du copte ancien, des trois écritures figurant sur la pierre (hiéroglyphes, égyptien démotique et alphabet grec) retranscrivant un texte en deux langues (égyptien ancien et grec ancien), Champollion réussit à retrouver une phonétique. « Il met des sons sur des signes et parvient à relier la langue copte à la langue égyptienne », explique l’égyptologue. Il lui faudra dix ans, de 1822 à 1832 pour améliorer sa méthode. Le musée détient la fameuse lettre à M. Dacier, secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres ainsi que dirigeant de la Bibliothèque nationale de France, qui scelle la date de la découverte en 1822. La visite se termine par des pièces plus intimistes dont la chambre de Jean-François Champollion. On devine l’exaltation du chercheur en découvrant les cartouches hiéroglyphiques qu’il a dessinés au-dessus de son lit. Dessins, maquettes, objets, dont 83 pièces prêtées par le musée du Louvre et mises en dépôt à Vif, complètent cette plongée dans l’Égypte ancienne telle que l’a révélée Champollion, mort prématurément à 42 ans. Deux cents ans après cette découverte, l’intérêt que suscite l’égyptologie est toujours aussi intense.

(1) La pierre de Rosette a été transportée par les Anglais au British Museum en 1802.

Isabelle Doucet

Un bicentenaire, quatre expositions
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Un bicentenaire, quatre expositions

En Isère, les célébrations du bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes par Jean-François Champollion sont marquées par plusieurs expositions. 

Les nouvelles Archives départementales, à Saint-Martin-d’Hères (Isère), révéleront l’abondante correspondance des frères Champollion, du 17 septembre au 16 décembre 2022. L’exposition intitulée Les frères Champollion, la correspondance dévoilée donne à découvrir la soixantaine de volumes de lettres qu’ils ont échangées tout au long de leur vie. « Il est exceptionnel que l’intégralité de ce patrimoine ait été conservée pendant cent cinquante ans avant leur acquisition par le Département en 2001 », souligne Aymeric Perroy, directeur de la culture du Département de l’Isère. Ces lettres éclairent le processus de déchiffrement conduit par Jean-François, mais elles racontent aussi l’histoire d’un XIXe siècle mouvementé entre l’Empire napoléonien et la Restauration monarchique. Ces volumes seront entièrement numérisés. Le musée Champollion, à Vif (Isère), proposera du 22 octobre 2022 au 22 mai 2023 une exposition temporaire dédiée au chantier de restauration de la maison familiale Les Ombrages par le Département. Musée Champollion, un chantier déchiffré retrace les grandes étapes du chantier, abordant d’abord le projet scientifique et culturel, puis le défi architectural et muséographique. Les travaux ont permis de restituer la maison telle qu’elle était lorsque les frères y vivaient, tout en la modernisant pour la transformer en musée. Les visiteurs ne manqueront pas de découvrir les salles du musée, notamment celle du déchiffrement, ses œuvres uniques et ses supports numériques. Le Musée dauphinois se mettra à l’heure de L’Égyptomanie, du 3 au 30 novembre 2022. Le public découvrira toutes sortes de créations artistiques inspirées par ce phénomène de fascination pour l’Égypte et réinterprétées de façon occidentale : littérature, spectacle, architecture, iconographie, etc. L’exposition est riche d’une partie des collections de Jean-Marcel Humbert, conservateur général honoraire du patrimoine, expert de l’égyptomanie et conseiller scientifique de l’exposition. Par ailleurs, la Bibliothèque d’étude et du patrimoine de Grenoble propose, jusqu’au 20 août, une exposition intitulée Hiéroglyphes, la méthode Champollion. Elle présente des publications majeures du déchiffreur et des pièces égyptiennes du Muséum d’histoire naturelle et du Musée de Grenoble étudiées par les frères Champollion. 

I. D.