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Quelles reconversions pour  les exploitations lavandicoles ?

Une enquête menée par FranceAgriMer, a cherché à établir la faisabilité économique des reconversions dans les exploitations lavandicoles. La diversification en élevage semble la solution la plus opportune. Mais n’est pas sans poser d’autres questions.

Quelles reconversions pour  les exploitations lavandicoles ?
© Manon Lallemand
Sur l’ensemble du territoire de l’étude, environ une centaine d’exploitations lavandicoles est concernée par des enjeux de transmission dans un horizon proche.

L’étude, menée par FranceAgriMer, la chambre d’agriculture de la Drôme et le cabinet d’étude Ceresco sur la filière lavande et lavandin, a concerné cinq départements des deux régions Paca et Aura. Elle a, dans un premier temps, caractérisé la typologie des exploitations lavandicoles pour chaque bassin. Elle a ainsi montré que 6 % des exploitations seulement étaient équipées en irrigation, principalement sur le plateau de Valensole et en vallée du Rhône, quand les exploitations du plateau d’Albion sont quasiment intégralement en sec. Puis, les enquêteurs ont cherché à qualifier le potentiel agronomique de chaque secteur. Enfin, les auteurs de l’étude ont posé quatre typologies d’exploitation en fonction du chiffre d’affaires réalisé par l’atelier lavande-lavandin : vente directe, diversifiée (61 % des exploitations, 27 % des surfaces), spécialisée (13 % et 31 %) et ultra-spécialisée (26 % et 43 %). « Les plus en difficulté actuellement sont les fermes spécialisées : elles sont fortement impactées par la crise économique. Les fermes ultra-spécialisées sont très dépendantes de la culture, mais aussi très résilientes du fait d’une haute technicité et d’une bonne maîtrise des coûts de production », résume Cédric Yvin, de la chambre d’agriculture de la Drôme. Autre point important à noter : sur l’ensemble du territoire de l’étude, environ une centaine d’exploitations lavandicoles est concernée par des enjeux de transmission dans un horizon proche (chef d’exploitation âgé de plus de 60 ans), soit 6 % des exploitations et 4 390 ha. Ce sont approximativement les surfaces évaluées en surproduction au niveau national. Pour poser les pistes de diversification, les enquêteurs ont privilégié les productions faisables techniquement (compatibilité pédoclimatique, besoin en eau, itinéraire technique) et adaptées au système des exploitations agricoles (équipement, compétences, organisation du travail) et présentant un potentiel de valorisation (type de débouché, existences de marché et volumes/surfaces, rentabilité économique, projets de territoire…).

L’option atelier ovin 

La mise en place d’un atelier ovin est « complémentaire et fonctionne en circuit long », explique Cédric Yvin de la chambre d’agriculture de la Drôme. À condition de suivre un troupeau d’au moins 200 brebis. En termes de stratégie, le producteur devra viser la vente d’agneaux légers (un à deux mois) au printemps ou de tardons en retour d’estive. En partant sur cette option, l’ex-lavandiculteur doit bien avoir à l’esprit que son nouvel atelier sera très dépendant des aides Pac (au moins 60 % de son revenu) et sensible à de nouvelles problématiques (fièvre catarrhale ovine notamment). Il devra aussi avoir un bâtiment pour abriter les animaux, un accès à de l’eau pour l’abreuvement, se former aux soins des animaux et assurer la protection de son troupeau, face au loup notamment. « Autre point important : il devra être autonome en fourrage, ce qui se traduit a minima par 80 hectares de surfaces fourragères et 6 hectares de céréales (triticale, orge) pour proposer au troupeau au moins 150 tonnes de matière sèche par an, complétées de trois mois en estives. » Enfin, il devra se rapprocher des outils d’abattage à proximité.

L’option atelier bovin

La mise en place d’un atelier bovin est similaire dans la démarche à celle faite en ovin… mais avec des animaux beaucoup plus gros. Donc, avec des besoins plus importants en fourrages, bâtiments, soins, eau… et plus de risques lors des manutentions. Dans ce cas précis, l’étude conseille d’avoir au minimum 115 hectares de surfaces fourragères et 6 hectares de céréales, pour un troupeau de 40 animaux. Il est également conseillé d’élever des races rustiques (aubrac, salers, limousine…) et de démarrer avec l’achat de génisses pleines puis d’augmenter la taille du troupeau petit à petit. Côté vente, deux options sont possibles : la vente de veaux (délai de 8 mois) ou de broutards (12 à 16 mois). Dans cette configuration, compter quatre à cinq ans avant que l’atelier n’atteigne son rythme de croisière. Et viser un troupeau de 15 à 20 mères, avec d’autres ateliers à côté (lavande, grandes cultures, arboriculture…). « Sous réserve de satisfaire à tous ces prérequis, il y a un débouché actuellement en bovin viande en circuit long (vente de broutards ou de génisses finies) et en circuit court », assure Cédric Yvin, de la chambre d’agriculture de la Drôme. Les prix sont relativement stables depuis quatre ans. En circuit court, des colis de viande de bœuf (10 kg, prix de vente 18,50 €/kg au minimum) ou de veau (environ 20 € le kilo en bio) sont recommandés. Sinon, compter environ 5 €/kg de carcasse en circuit long.

L’option atelier porcs de plein air

« Dans cette option, les enjeux sont principalement sanitaires, avec la mise en place impérative de protection des porcs pour éviter tout contact avec des sangliers sauvages, potentiellement porteurs de peste porcine africaine, de brucellose porcine… », résume Mathilde Bette du cabinet Ceresco. Il faudra aussi compter avec des coûts d’alimentation variant entre 125 et 400 € par cochon, selon ce que les animaux trouveront dans la parcelle, en leur proposant des céréales et méteils (autoproduites de préférence), voire des invendus (boulangerie, brasserie), l’aliment acheté étant plus élevé (environ 600 €/t). L’astreinte (environ 3 heures/j) est également à prendre en compte, de même que les besoins en eau (10-12 litres/j en moyenne, 15-20 l/j pour une truie gestante). Côté foncier, prévoir des parcelles de bois l’été et de plein champ l’hiver. Et préférer des parcelles de 20 hectares minimum, abritées par des haies et des arbres. Les investissements sont moins élevés en plein air, mais l’atelier a des besoins de trésorerie importants au démarrage. Du côté des abattoirs, celui d’Apt s’est spécialisé en production porcine et cherche à développer son approvisionnement et ceux de Marseille, de Gap, de Digne, de Die ou d’Aubenas sont multi-espèces.

L’option atelier cameline

On comptait en 2023 environ 2 300 hectares de cameline en France, et seulement 10 ha dans la zone d’étude. La cameline est une crucifère pouvant être produite en culture principale (semis entre fin mars-début avril) ou en dérobée pour les zones inférieures à 500 mètres d’altitude (coopérative Duransia) avec des semis entre le 25 juin et le 15 juillet. La récolte des grains peut suivre trois circuits : la vente directe au moulin pour la production de tourteau de cameline (alimentation animale) ou d’huile de cameline (alimentation humaine et cosmétique) ; la vente à la filière industrielle (trituration et estérification à Sète) pour tourteaux de cameline ou biocarburant (Saipol, Cavac, Soufflet…) ; ou encore la vente à un moulin semi-industriel pour la production à grande échelle d’huile valorisée en cosmétique ou alimentation humaine, et de tourteaux (alimentation animale). Actuellement en local, trois débouchés sont en recherche de matière première. « Les opérateurs recherchent de l’huile bio pour l’alimentation, voire pour des biocarburants avec Saipol pour la cameline en dérobée », résume Mathilde Bette. La comparaison économique des filières par Ceresco montre une marge brute de 400 €/ha en culture principale, 240 €/ha après une orge en dérobée et 900 €/ha en bio (charges ne comprenant pas le séchage, le stockage, la livraison…). 

Vue d'ensemble des bassins lavandicoles

Céline Zambujo

Filière lavande-lavandin : le contexte de crise

Depuis 2017, la filière lavande-lavandin a vu ses surfaces de production en France augmenter sensiblement, dans les zones historiques mais également dans de nouveaux bassins de production, portée par une demande de marché en forte croissance, notamment pour les huiles essentielles. Entre 1960 et 2020, la production nationale tournait, bon an mal an, autour de 1 000 tonnes d’huiles essentielles. En 2020, « elle a explosé », résume Cédric Yvin, de la chambre d’agriculture de la Drôme. Résultat : une production avoisinant les 2 400 t d’huiles essentielles en raison de cours très élevés qui ont suscité des velléités importantes de plantation. La fermeture des marchés (États-Unis notamment), le Covid et la guerre en Ukraine ont mis alors un coup d’arrêt à la dynamique, générant une baisse des achats (industriels, consommateurs), la constitution de stocks « considérables » (x 3,6 entre 2018 et 2023) et une forte chute des prix (autour de 10 €/kg contre 30 €/kg en 2018). Ce contexte a entraîné une baisse des volumes distillés et accentué la différence entre les bassins productifs et les autres. La crise économique impacte également la lavande bio, moins référencée dans les approvisionnements. En 2022, le plan d’arrachage national proposé par la France pour environ 5 000 hectares a été retoqué par l’Union européenne, le jugeant « interventionniste ». À la place, une aide exceptionnelle de trésorerie a vu le jour, ainsi que cette étude pour proposer des pistes de reconversion aux lavandiculteurs souhaitant arrêter tout ou partie de leur atelier. 

C. Z