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Expérimentations

Dephy Expe 2 : la combinaison  de leviers comme leitmotiv

En mettant en place des stratégies multifactorielles, les expérimentateurs de Dephy Expe 2 ont réussi à élaborer des systèmes de cultures permettant de substituer les produits phytosanitaires par un certain nombre de leviers. Explications.

Dephy Expe 2 : la combinaison  de leviers comme leitmotiv
©A.P._AD26
Le projet Écopêche 2 vise une réduction des IFT de 75 %, avec zéro résidu de pesticides et en l’absence d’herbicides.

«Combiner des leviers de substitution aux produits phytopharmaceutiques (PPP) », tel est la ligne de conduite des expérimentateurs intégrés au réseau Dephy Expe 2 (2018-2024). Parmi les projets présentés dans la Drôme à Bourg-lès-Valence, le 13 mars dernier, trois d’entre eux concernent la filière arboricole. Le projet « maîtrise des intrants et des résidus phytosanitaires pour des vergers d’abricotiers durables (Miad) » avait pour objectif de réduire l’indice de fréquence de traitements phytosanitaires (IFT), hors produits de biocontrôle, de 75 % pour les systèmes conventionnels et de 100 % en agriculture biologique (AB). De nombreux leviers ont été utilisés pour limiter les intrants : entretien mécanique du rang, bâche anti-pluie, matériel végétal peu sensible, hauteur de greffage, filet anti-insectes, substitution par un produit de biocontrôle, etc. Si les rendements semblent se maintenir (hors parcelles AB sans protection physique), l’essai montre que les systèmes permettant une baisse des IFT entraînent une marge brute inférieure au système de référence. « Pour maintenir une rentabilité économique équivalente, il semblerait nécessaire de revoir les objectifs à la baisse. Sur des systèmes moins ambitieux (allant de 30 à 50 % de baisse), le résultat économique se maintiendrait », affirme Laurent Brun, ingénieur de recherche à l’Inrae. À terme, les producteurs pourront s’approprier les différentes solutions testées et les adaptées à leur exploitation, pour concevoir leur verger à bas niveau d’intrants.

Ecopêche 2

Le projet écopêche 2 ambitionne, quant à lui, de concevoir des vergers de pêches et nectarines très économes en produits phytosanitaires, avec des objectifs de réduction de 75 % des IFT, avec zéro résidu de pesticides et en l’absence d’herbicides. Sachant que la production de pêche est la plus consommatrice de produits phytopharmaceutiques, derrière la pomme, plusieurs combinaisons de leviers ont été testées : réduction des apports d’eau et d’azote, gestion du rang, irrigation, confusion sexuelle, taille en vert, gestion des maladies, infrastructures agroécologiques, etc. Si les objectifs ont été atteints, cela s’est néanmoins traduit par une baisse de la performance économique des systèmes de cultures, avec une baisse de rendement d’environ 25 %.

Projet Prumel 

Le projet Prumel, quant à lui, visait à produire des fruits (prunes et mirabelles) exempts de traitements et de résidus, en mobilisant un certain nombre de leviers agroécologiques. L’idée était d’introduire des infrastructures (haies, bandes fleuries ou enherbées, couverts végétaux, nichoirs, plantes répulsives ou plantes pièges) pour essayer d’attirer les auxiliaires et gérer les bioagresseurs. 
À cela s’est ajouté un mélange d’espèces et/ou de variétés et la mise en place de barrières physiques. Pour ces vergers innovants, les rendements apparaissent tous déficitaires, en raison notamment de problèmes de maladies (rouille, enroulement chlorotique de l’abricotier) et d’un développement insuffisant des arbres. De nombreuses interrogations restent toutefois en suspens. Les auxiliaires présents dans les infrastructures agroécologiques vont-ils migrer et permettre de réguler les ravageurs des vergers ? Combien de temps cela va prendre ? Une suite sera donnée à ce projet.

Grandes cultures et polyculture-élevage

Dans la filière grandes cultures et polyculture-élevage, le réseau expérimental de systèmes de cultures « zéro pesticides » (Rés0Pest, 2012-2023), a permis d’imaginer et de coconcevoir des systèmes sur le long terme. Les trois points clés qui ressortent sur la conception de ces systèmes sont de diversifier les cultures et d’alterner les familles, d’allonger la succession et d’alterner les périodes de semis pour ne pas laisser la possibilité aux adventices de se développer grâce au travail du sol. Malgré l’inquiétude face à la pression des bioagresseurs, les récoltes de céréales ont montré une bonne qualité sanitaire. 

Programme Cosynus

La filière maraîchère était elle aussi concernée par les projets du Dephy Expe 2. Le programme Cosynus (conception de systèmes maraîchers favorisant la régulation naturelle des organismes nuisibles) visait à réduire les IFT contre les ravageurs en agriculture conventionnelle et de renforcer les performances en agriculture biologique. « Le premier levier a été de mettre en place des aménagements agroécologiques (haies et bandes fleuries, habitats favorables aux auxiliaires, gestion raisonnée de l’enherbement, NDLR) à l’échelle de l’exploitation », précise Jérôme Lambion, ingénieur agronome au groupe de recherche en agriculture biologique (Grab), sans compter la lutte biologique, la prophylaxie, etc. Des suivis hebdomadaires ont été réalisés afin d’acquérir des données de fréquence et d’intensité des ravageurs et des auxiliaires au sein des cultures. In fine, cet essai a permis de caractériser la contribution des différents aménagements dans un objectif de régulation des ravageurs et de la baisse des IFT. Le cumul des différentes infrastructures, en complément de la lutte biologique, apporte ainsi un réel service. 

Amandine Priolet

Tous les résultats des projets Dephy Expe 2 sont à retrouver sur le site https://ecophytopic.fr/

Made in AB : Comment maîtriser les adventices en agriculture biologique ?

S’appuyant sur onze sites d’expérimentations de systèmes en grandes cultures biologiques du réseau RotAB, le projet Made in AB permet de valoriser les acquisitions obtenues à travers des stratégies diverses, effectuées sur un temps long et des conditions pédoclimatiques variées en fonction des régions. « Nous avons analysé certains leviers qui nous paraissaient importants à investiguer, comme la mise en place de couverts végétaux, les associations de cultures ou encore la rotation. L’idée est d’objectiver nos références sur la connaissance de ces différents leviers actionnables en agriculture biologique sur la maîtrise des adventices sans herbicides », explique Enguerrand Burel, chef de projet agronomie et grandes cultures au sein 
de l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab). 
Par exemple, les expérimentateurs ont pu révéler que l’impact des couverts végétaux dans les rotations était plutôt neutre et n’apportait pas davantage de pression d’adventices au sein des cultures. Toutefois, les essais visant la réduction du travail du sol, bien que complexes, ont permis de dresser des constats nuancés, tant en termes de pression d’adventices que de rendement. « Certaines cultures (féverole, maïs) sont impactées significativement alors que d’autres, comme le sarrasin, tolèrent mieux les adventices. La question du choix des cultures se pose alors », indique-t-il. Les aspects agronomiques, socio-économiques et environnementaux ont également été travaillés afin de mettre en évidence la multi-performance de ces systèmes. 
A.P.

Systèmes de cultures économes en pesticides

Diffuser des pratiques et des apprentissages auprès des agriculteurs pour les accompagner dans la transition agroécologique, tel est l’un des objectifs du Dephy Expe 2. Dans le projet Xpe-GE, situé dans le Grand-Est, le but était d’évaluer, en grandes cultures et polyculture-
élevage, les performances de systèmes de cultures en forte réduction d’usages des produits phytopharmaceutiques (PPP). Trois stratégies ont été déployées : un système avec protection intégrée et une réduction de 50 % d’utilisation de produits, un en agriculture de conservation sans glyphosate avec une réduction de 50 % d’usage de phytosanitaires et un dernier en zéro phyto. La conduite de l’enherbement donne globalement satisfaction, en dehors du système en zéro phyto. La gestion des maladies et des insectes a été globalement maîtrisée grâce à la génétique et à la mise en place des différents leviers agronomiques. Au niveau des rendements, une baisse moyenne de 7 à 16 % a été enregistrée lors des essais. Globalement, en termes de résultats économiques, une perte de marge brute d’environ 200 €/ha a été constatée. Ces systèmes, bien qu’encourageants, rencontrent des freins non négligeables, comme un temps de travail plus important lié au travail du sol et au désherbage mécanique. 
Par ailleurs, le projet « Faisabilité et évaluation de systèmes de cultures économes en pesticides en l’absence répétée de semences traitées (FAST) » a permis d’étudier les conséquences de la suppression des traitements chimiques des semences dans 32 systèmes de cultures du Grand-Est. « Aujourd’hui, 92 % des blés français sont semés avec des semences traitées chimiquement. C’est une pratique devenue systématique », a indiqué Véronique Laudinot, responsable de l’équipe systèmes agroécologiques et bioéconomie durable à la chambre régionale d’agriculture Grand-Est. « Nous avons regardé si les systèmes existants pouvaient se passer de ces semences traitées », a-t-elle poursuivi.  Le projet FAST a fait ressortir des résultats technico-économiques globalement équivalents (pas de perte de rendement, ni de perte de qualité des récoltes, notamment en termes de carie du blé, ndlr).  Toutefois, trouver des semences non traitées s’avère parfois difficile selon le type de culture.  Enfin, AlterCarot est un programme d’expérimentation visant à créer des systèmes de culture agroécologiques légumiers (dont la carotte) économiquement viables et avec un usage de pesticides en ultime recours, sur des sites expérimentaux en Normandie et Nouvelle-Aquitaine. Parmi les principaux résultats, la baisse d’indicateur de fréquence de traitements phytosanitaires (IFT) comprise entre 34 et 71 % par rapport à la référence régionale. Cette réduction significative s’accompagne toutefois de prise de risque importante : une forte corrélation entre la baisse d’IFT et le niveau de satisfaction des autres facteurs observés est relevée, avec comme conséquence directe, une baisse de rendement et donc, un impact négatif sur l’économie de l’exploitation. Au total, 88 règles de décision ont été formalisées. Reste désormais à voir si elles peuvent être transférables ? 
A.P.